Bon ben chef d’œuvre… La vache, je m’y attendais pas. Surtout venant de Tim Burton, un réalisateur que je trouve très inégal et qui n’a cessé de me décevoir ces dernières années. J’ai honte. C’est la deuxième fois que je vois ce film. La première, c’était quand j’étais gosse, à 8 ans. Je l’avais profondément détesté et j’ai alors jeté mon dévolu sur les deux chef d’œuvres de Joel Schumacher, dont « Batman & Robin » en particulier que je matais en boucle (non, vraiment). Puis, il y a peu, j’ai eu envie de visionner le premier grand film de l’homme chauve-souris « Batman ». J’en avais également des souvenirs assez moyens bien que vagues, et ce second visionnage m’a permis de découvrir que Tim Burton était un bonhomme sacrément couillu pour réussir à imposer une vision aussi loufoque et sombre du chevalier noir à un film destiné principalement aux enfants, ce qui m’a donc poussé à visionner le deuxième opus de la franchise, « Batman : Le Défi », que certains dressent comme étant le plus grand film de superhéros de l’histoire du cinéma. « HA ! HA ! HA ! » m’esclaffais-je, jamais Tim Burton ne pourrait surpasser la maîtrise du « Dark Knight » de Nolan !
Ben, ta gueule, prends-toi la quintessence du style burtonien dans les dents en ouverture. Une Gotham enneigée, sombre à l’esthétique magnifiquement gothique, dans la droite lignée de l’expressionnisme allemand des années 20, un bébé, dont on ne verra jamais le corps, enfermé dans une cage dévore un chat, dans une chambre d’hôtel à l’architecture étrange, ce qui pousse les parents du nouveau-né à le jeter dans les égouts. S’en suit un plan absolument dantesque où l’on voit le panier flotter jusqu’au bout d’un tunnel mystérieux, froid, porté par la musique exceptionnelle de Danny Elfman, aux mélodies surprenantes, mêlant plusieurs nouveaux thèmes aux allures de berceuses, mais marquées par ces chœurs étranges, presque effrayants. Une atmosphère malsaine, dérangeante, glaçante, envoûtante se dégageait de cette séquence. Bigre ! Dès lors, j’ai compris que je m’attaquais à du lourd.
Et j’avais raison ! Le film ne s’essoufflera plus, enchaînera les scènes d’anthologie avec une virtuosité rare à en faire pâlir les réalisateurs de blockbusters actuels, Burton allant jusqu’au bout de sa démarche sans faire un faux pas. Que ce soit la naissance de Catwoman, la première rencontre entre les deux antagonistes, la scène du bal, la séquence finale… Chaque scène est mémorable et multiplie les trouvailles de mise en scène de génie.
Je pense que ce qui m’a définitivement convaincu du génie de ce film, c’est la facilité avec laquelle Burton opère à une déconstruction du conte de fées. Tout au long du film, chaque personnage exprimera ses désirs, ses rêves, et tous ces rêves seront finalement déçus. La naïveté n’a pas sa place à Gotham, si l’on veut réussir, il faut agir durement. La première à en subir les conséquences, c’est la timide et maladroite Selina Kyle, se lamentant sur ses mésaventures amoureuses, espérant un brin de reconnaissance de la part de son employeur et habitant dans un appartement extravagant à la décoration enfantine. Ce qui la conduira inexorablement à la mort, puis à la résurrection, la transformant en femme sensuelle, objet de tous les vices, qui va alors détruire sa vie passée, en saccageant son appartement, déchirant ses peluches, repeignant de noir la peinture rose bonbon de son salon. Le puéril « Hello There » affiché dans sa chambre est désormais « Hell There ». Mais la métaphore ne s’arrête pas là. L’intelligence du film est aussi d’avoir intégré une intrigue politique à l’histoire. Le diabolique Max Shreck va s’allier Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, désireux de vengeance sur la société qui l’a répudié. Ils vont alors mettre en scène une fable moderne du vilain petit canard (véhicule du Pingouin d’ailleurs) afin de jouer avec les sentiments des citoyens de Gotham dans l’optique que le Pingouin devienne maire de la ville. Mais l’issue sera malheureuse. Les desseins machiavéliques du Pingouin seront découverts, et il sera à nouveau exclu et contraint à se cacher dans les égouts de Gotham. On peut également citer la manière dont Bruce Wayne/Batman, idéaliste et naïf, se fera manipuler tour à tour par ses deux ennemis, ne pouvant les vaincre qu’en leur infligeant des coups de poignard dans le dos, le baiser mortel final (scène absolument magnifique), le destin tragique de chaque personnage, les deux méchants du film dont les surnoms de pingouin et de chatte sont assez naïfs…
Ce qui ressort de cette idée finalement, c’est qu’à l’inverse du premier film, « Batman : Le Défi » n’est en rien un film pour enfants. Bien que gothique et sombre, « Batman » comportait un bon lot d’éléments insérés pour les enfants. Les gadgets fous de Batman, les blagues du Joker, ne le rendant pas « trop » antipathique, la romance entre Vicky Vale et Bruce Wayne, le journaliste rigolo Knox… Le film a une identité burtonnienne, mais l’on voit clairement que ses producteurs lui ont donné de nombreuses contraintes. Le succès de ce film a donc encouragé les patrons de la Warner à donner carte blanche à Tim Burton pour la réalisation du deuxième Batman. Je surinterprète peut-être mais j’ai vu ce film comme une mise en abîme de ce contexte de production. Alfred amenant Vicky Vale dans la Batcave sans l’autorisation de son maître ? Personnellement, j’avais trouvé ça bête. Bruce Wayne aussi, il le reproche à son majordome au milieu du film. Le fait que seuls les méchants mouraient dans le premier film (à l’exception d’une présentatrice télé mais dont le sourire cadavérique pourrait prêter à faire sourire les enfants) ? Ici, on veut tuer des enfants et quand quelqu’un exprime son désaccord, une belle abeille de métal dans le bide ! Ça c’est fait ! C’est fou de voir à quel point Burton est décomplexé dans ce film. Les sous-entendus sexuels, mêlés à des blagues de mauvais goût explicites parcourent le film du début à la fin, les personnages sont moralement douteux, Batman tue sans aucun complexe ses ennemis, il les brûle, les jette dans le vide, les explose, les écrase en Batmobile, les morts sont on ne peut plus malsaines… C’est un pur film d’auteur que nous livre Tim Burton, sa mise en scène est exceptionnelle et les symbolismes sur l’identité cachée prenant le dessus sur l’identité officielle sont ici beaucoup plus développés sans la lourdeur passagère du premier volet (Bruce qui dort la tête en bas tel une chauve-souris). On retiendra surtout cette scène du bal costumé où Bruce et Selina se vêtissent de leurs costumes de ville (je ne sais pas quoi dire, magnifique !).
Le scénario du film est exceptionnellement écrit, parfaitement structuré, aux enjeux clairs, allant jusqu’au bout de chacune de ses idées, doté de personnages saisissants, mémorables, superbement interprétés. Je pense avoir rarement vu une équipe d’acteurs jouant de manière aussi cohérente avec le ton du film. Michael Keaton, Danny DeVito, Michelle Pfeiffer, Christopher Walken… Ils sont tous éblouissants.
L’esthétique du film est bluffante, surpasse en tout point la pourtant très bonne direction artistique du premier volet, les décors enneigés apportant un supplément d’ « âme » à Gotham City.
La bande originale est parfaite, accompagnant parfaitement chaque séquence et chaque scène du film avec la grande virtuosité qu’on connaît chez Danny Elfman. Il reprend et réadapte ses travaux sur le premier film pour rendre la musique encore plus saisissante de mystère et de souffle, notamment dans le climax final.
Ce film est riche, de loin le meilleur film de son auteur à mon sens, et c’est sans frémir que j’accorde à « Batman : Le Défi » le statut de chef d’œuvre absolu du film de superhéros.