Des héros très particuliers, on en a eu une pelletée. Du simple flic sans limites au politicien complexe, le cinéma fut un lieu particulièrement fourni en personnages principaux atypiques. On pense notamment au personnage de Yuri Orlov, marchand d'armes cynique dans Lord Of War d'Andrew Niccol. Véritable bijou d'intelligence et d'humour noir, le film de Niccol faisait figure d'œuvre inédite, de par sa capacité à ne pas prendre de gants pour évoquer les dérives du système. Un pari osé, qui s'est paradoxalement soldé par un échec public, malgré d'excellents retours critiques. Mais finalement, il faut croire que sa réputation a suffit à donner l'envie aux autres de le suivre. Et voici donc son petit frère, aussi impertinent que son ainé, qui décide de s'attaquer à l'autre "grande industrie de la mort", à savoir le milieu du tabac. Jason Reitman -fils d'un certain Ivan Reitman (S.O.S Fantômes 1&2)- signe ici son premier essai à la mise en scène. Et déjà un coup de maître. Il livre une réalisation ultra-inspirée, extrêmement bien rythmée qui se différencie de celle d'Andrew Niccol en décidant de ne quasiment voire jamais montrer la cigarette. Là où Lord Of War ne manquait pas de nous ouvrir les portes des arsenaux ou fabriques d'armes, Thank You For Smoking décide de montrer la situation du point de vue "bureaucrate". Le héros du film -Nick Naylor- est un lobbyiste très talentueux pour l'industrie du tabac. Un charme de dingue, une répartie du tonnerre, Naylor est l'incarnation même d'un mal, aussi dévastateur que son frangin Yuri Orlov: l'immoralité. Mais comme c'était le cas pour Lord Of War, on rit autant qu'on est choqué à la vision de ce film brillant. Beaucoup moins cynique qu'il ne laisse présager, le film de Reitman offre une réflexion d'autant plus pertinente qu'elle tape sur tout le monde (les lobbyistes, les anti-tabac, les journalistes, les politiques)...et ce dans la plus grande joie. Reitman a également eu la bonne idée de confier le rôle de Naylor à Aaron Eckhart. Il est fabuleux, se révèlant aussi impeccable dans la peau de l'iconoclaste vendeur de tabac qu'en père divorcé qui cherche à garder de saines relations avec son fils. Le réalisateur se montre aussi un fin dénicheur de second rôle décalé, en décidant de confier d'autres personnages assez discutables à une tripotée de comédiens en grande forme. Imaginez Maria Bello en défenseur de la vente d'alcool, David Koechner en figure de proue de la lutte pour le port d'armes, ou encore Katie Holmes dans un contre-emploi salvateur de journaliste arriviste. Et quel plaisir de retrouver le toujours irréprochable J.K. Simmons en patron de Naylor. Du cinéma vif, intelligent et tordant.