Nick Naylor est un proche parent de Yuri Orlov, le traficant d'arme de "Lord of War" : même personnalité attachante, même cynisme doublé d'une absence totale de mauvaise conscience ; et Jason Reitman emprunte quant à lui à Andrew Niccol l'usage (et parfois l'abus) de commentaires en voix off du héros.
Celui-ci déclare notamment à la fin : "Michael Jordan fait du basket, Charles Manson tue. Moi je parle. Tout le monde a un talent". Il y a aussi quelque chose de proche de Richard Hoover, le père de la famille de "Little Miss Sunshine", dans cette croyance américaine en la puissance d'entreprendre. Car non seulement Nick n'a pas de scrupule, mais il prend même plaisir à être honni par l'immense majorité de ses concitoyens. Il faut le voir, en représentation dans la classe de son fils, réduire à néant une fillette qui avait juste affirmé que sa mère disait que la cigarette tuait, en lui demandant sans se départir de son sourire si celle si était médecin, ou scientifique ? Ou encore, sur le plateau du talk show de Joan Lunden, réussir à rallier à sa cause un garçon victime du cancer en expliquant que l'industrie du tabac n'a aucun intéret à perdre ainsi un client...
Haï par le peuple américain, abandonné par son épouse, lâché dans la tourmente par ses employeurs, il a pour seuls amis deux lobbyistes avec lesquels il a fondé le club des MdM, pour Marchands de Mort : Polly Bailey, qui défend les producteurs d'alcool, et Bobby Bliss, représentant d'une association de marchands d'armes très inspirée de la NRA.
Aaron Eckhart est très bon dans ce rôle de bonimenteur, mélange d'énergie et de fragilité, comme une version obscure de Jimmy Stewart, un Mister Smith qui irait à Washington pour enfumer le Sénat. Il est accompagné par une kyrielle de seconds rôles réjouissants : William H. Macy en sénateur certes du bon côté, mais bien plus antipathique que Naylor, Robert Duval en parrain du tabac sudiste, Maria Melo (le Dr Ana del Amico dans "Urgences") en lobbyiste carnassière, ou encore Sam Elliott en cow-boy Marlboro mourant d'emphysème.
Il y a bien quelques lourdeurs excessivemnt démonstratives, comme cette dispute entre les trois lobbyistes où ils comptabilisent le nombre de morts dont leurs produits sont responsables, ou comme la relation entre Nick et son fils, concession aux family values, et qui motive la rédemption du héros. Mais une nouvelle fois, la comédie américaine réussit à montrer au plus grand nombre, et avec une efficacité certaine, les aberrations et les contradictions des systèmes économique, politique et médiatique de leur pays.
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