"The Bubble", c’est la bulle que tente de maintenir au-dessus d’elle la jeunesse progressiste de Tel Aviv, ville créée par des Européens qui ne connaissaient rien à la Méditerranée, comme Noam l’explique à Ashraf le soir de leur rencontre. C’est une bulle faite de rave, d’alcool et d’insouciance, comme pour mieux ressembler à toutes les jeunesses occidentales, et surtout pour oublier que le pays est en guerre depuis sa création.
Des trois colocs, Yali est le plus engoncé dans cette bulle, puisqu’il refuse même de quitter Tel Aviv et le quartier branché de la Rue Shenkin, comme si au-delà, le pire était assuré. Et effectivement, dès la scène d’ouverture on sait que ce que les jeunes appellent bizarrement « la politique », et qui désigne le conflit isarélo-arabe, aura des conséquences dramatiques sur ce qui ailleurs constitue le sel de la vie : aimer, se marier, enfanter. La brutalité de cette scène inaugurale laisse planer la menace sur les quatre personnages, et l’on devine très vite que le bonheur ne pourra être que fugitif. Car si la guerre se rappelle constamment aux trois jeunes Israéliens, au moins ils peuvent vivre leurs amours au grand jour, dans une société plus tolérante pour l’homosexualité que pour le pacifisme ; pour le Palestinien Ashraf, avouer son amour pour un homme, juif de surcroît, est impensable.
Eytan Fox a raconté que sa mère, décédée depuis, avait œuvré toute sa vie en faveur du rapprochement israélo-palestinien, et l’anecdote que Noam raconte sur la fête qu’elle avait organisée au square et qui avait été boycottée par les extrémistes des deux bords lui est réellement arrivée. Malgré cela, il n’a pas la même aisance pour filmer les deux côtés du mur de la honte ; si on le sent comme un poisson dans l’eau quand il raconte la vie à Tel Aviv, il n’évite pas la caricature quand il tourne à Naplouse, particulièrement avec le personnage du beau-frère islamiste, et on a l’impression de se retrouver dans le cinéma légèrement outrancier de Youssef Chahine.
Par contre, la description de la cohabitation des trois héros israéliens, entre "Friends" et "Clara Sheller", fonctionne à merveille avec les fous rires, les engueulades et les recours au règlement intérieur de la colocation. Les acteurs sont bons, notamment Daniela Wircer qui incarne une Lulu tendre et volcanique, dissimulant ses origines sous un accent digne de l’inspecteur Clouzeau afin de se faire passer auprès de la famille d’Ashraf pour une journaliste française.
Le précédent film d’Eytan Fox, "Tu marcheras sur l'eau", parlait déjà de la difficulté de comprendre le point de vue de l’autre, en l’occurrence celui de jeunes Allemands dont la famille avait participé à la Solution Finale, et on peut voir comme une passerelle entre ces deux films dans la pièce de théâtre que Noam et Ashraf vont voir, et où Lior Ashkenazi, l’acteur de "Tu marcheras sur l'eau", joue un déporté homosexuel à Auschwitz. Aux côtés de réalisateurs comme Raphaël Nadajari ou Dalia Hager et Vidi Bilu, Ethan Fox montre que la relève d’Amos Gitaï est assurée au sein d’un cinéma israélien capable de décrire dans un langage universel les maux et les souffrances de ce pays si singulier.
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