Un projet personnel
Roman Polanski : C'est sans doute mon film le plus personnel pour la simple et bonne raison que j'ai pu puiser de ma propre expérience de cette époque. J'ai vécu les premières années de ma vie dans le ghetto de Cracovie. Dans Le Pianiste, il s'agit du ghetto de Varsovie. Ce qui m'a plu dans cette histoire était qu'elle n'était justement pas la mienne, pas mon histoire trop personnelle. C'était un sujet que je connaissais, un sujet dont je me souvenais parfaitement, un sujet qui me permettait de recréer une époque et des évènements sans pour autant parler de mes proches ou de moi-même. J'avais toujours eu envie de réaliser un film sur cette époque, sur ces évènements. Je ne l'ai jamais caché. En fait, il me fallait juste trouver le bon sujet. Mais, il est vrai que j'avais besoin de prendre du recul pour l'aborder.
Des souvenirs douloureux
En réalité, il m'a été plus douloureux de faire les recherches, de préparer le projet et d'écrire le scénario, avec l'auteur ici présent, que de tourner le film. Ceci dit, pendant les six mois de tournage, il y a malheureusement eu des moments qui m'ont rappelés très vivement certains évènements, qui m'ont ramenés à cette époque.
Le choix d'Adrien Brody
Il est toujours difficile de déterminer des raisons exactes. Quand on écrit le scénario, on s'imagine d'une certaine manière le personnage et on cherche quelqu'un qui corresponde à ça. Adrien Brody se rapprochait le plus de cette image que nous avions créée lors de notre travail sur le scénario. Je voudrais souligner que la ressemblance physique n'était pas un élément dominant. C'était vraiment secondaire. Il était davantage important que l'acteur corresponde plus ou moins à un artiste juif polonais.
Tourner en Pologne
Lors d'interviews, on me posait très souvent la question : "Comptez-vous refaire un film en Pologne ?" Ma réponse était toujours oui. -- "Quand ?" Ça, je ne le savais pas. En règle générale, je répondais : "Quand le moment opportun se présentera." Ce moment opportun a été le jour où j'ai eu le livre entre les mains. Si j'avais besoin d'attendre ? Pas aussi longtemps, non. Or, je ne trouvais pas de matériel qui soit ni trop près ni trop loin de cet événement et de moi-même. Ici, j'avais l'histoire à laquelle je pouvais adhérer complètement. Et, pourtant, ça ne s'est pas passé dans la ville où j'ai vécue. Et, les gens que ça concernait n'étaient pas des gens que je connaissais. Cela aurait été forcément le cas si j'avais fait le film sur le ghetto de Cracovie. J'ai toujours voulu faire un film en Pologne, mais je n'étais pas absolument sûr que cela aurait rapport avec le ghetto. J'aurais pu aborder d'autres sujets, mais ils auraient sans aucun doute traité de cette époque, l'époque de la guerre, ou alors, juste après la Libération.
Une expérience différente
Bien sûr que c'est une sensation différente que de réaliser un film sur un tel sujet. Il est plus passionnant de tourner un film sur un sujet sérieux et éloquent. Je ne sais pas encore quel sera mon prochain projet. Il me sera difficile de revenir à des sujets de divertissement pur. (...) Souvenez-vous que j'ai fait des films tels que La Jeune Fille et la Mort, qui n'est pas que simple divertissement. Je dirais même le contraire. Non seulement est-il plus captivant pour le réalisateur de faire un film sur un sujet louable, mais également pour les gens autour de lui.
Dans Le Pianiste, même les figurants participaient activement au film. Il est impossible de tourner de telles scènes sans que les gens aient réellement envie de les faire. Ils ne le faisaient pas pour l'argent. À plusieurs reprises, nous avons eu 1 200 figurants sur le plateau, qui se levaient à quatre heures du matin afin d'être prêts pour le tournage. Ils étaient tous à l'écoute. C'était fascinant de travailler avec eux parce qu'ils étaient acteurs. J'étais entouré de plus de 1 000 acteurs, qui me soutenaient dans mon travail jusqu'aux dernières lueurs du jour.
Propos traduits et retranscrits par Camille Joubert