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Retour en pleine lumière pour Pierre Lescure, président du jury du 28e Festival de Deauville quelque mois après son éviction hautement polémique de Canal Plus. Entretient avec un véritable personnage du paysage audiovisuel français, passionné d'arts et du septième en particulier.
Président du jury à Deauville après avoir été évincé de Canal Plus en avril, sentez-vous là une forme de reconnaissance, voire de revanche ?
De revanche, non. Revanche contre qui ou contre quoi ? Si c'est contre Messier, celui qui m'a écarté, cela doit lui faire une belle jambe de me voir ici. Et à vrai dire, je m'en fiche. Par contre, que ma nomination au poste de président du jury soit gratifiante, soit une sorte de reconnaissance de mes quelques connaissances, expériences ou points de vue sur le cinéma en général et américain en particulier, oui, je crois que cela veut dire ça. Il y a six mois, lorsque j'étais encore en poste à Canal et Universal, cette fonction aurait été incompatible, car j'aurais été juge et partie.
Bruno Barde, directeur du Festival, a confié qu'il vous avait déjà demandé à plusieurs reprises de faire partie du jury de Deauville. Vos fonctions vous interdisaient donc d'accepter ?
Oui. Il existe tout d'abord un partenariat entre Canal Plus et le Festival depuis deux ou trois ans, ce qui compliquait un peu les choses. Mais surtout, regardez les programmes passés de Deauville. Il y a deux ans, lorsque la fusion entre Vivendi, Seagram et Canal Plus était annoncée, U-571 produit par Universal était projeté. L'année dernière, c'était au tour d'American pie 2 et de Fast & furious. Ces films n'étaient pas en compétition, mais il n'empêche. Je ne me souviens pas qu'un président de chaîne ou de studio ait été président du Festival. Ce ne serait pas bien, je pense.
Vous voilà président d'un jury chargé de juger des films indépendants après avoir soutenu des créateurs tels que David Lynch. Auriez-vous une préférence pour le cinéma dit "d'auteur" ?
Pas vraiment. C'est vrai qu'intimement, je me retrouve plus dans des films tournés sur la Côte Est des Etats-Unis que dans des grosses machines produites à Hollywood. Mais si on entend par "grosses machines hollywoodiennes" des films comme Les Sentiers de la perdition, j'en veux bien tous les jours. Ceci dit, à Canal, on a toujours pensé qu'il fallait aider de grands projets, mettre des parts de co-production dans un Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, et en même temps accompagner ceux qui demain feront Astérix ou Les Sentiers de la perdition. Il faut que les organismes officiels, les télévisions investissent sur des réalisateurs. David Lynch, par exemple, ne voulait pas rentrer dans la logique des grands studios. Je suis très fier qu'Alain Sarde et StudioCanal aient accompagné Mulholland Drive. On m'oppose toujours à Jean-Marie Messier, mais cette logique-là, il l'avait intégré.
En tant que président du jury, quelles sont les qualités que vous aimeriez récompenser dans votre palmarès ? Sont-elles les mêmes que celles que vous voulez trouver dans un projet financé par StudioCanal ?
Ce que je souhaite en tout cas, c'est que je puisse me dire en voyant les films récompensés que ce sont des oeuvres auxquelles j'aurais aimer participer. Et j'aimerais participer au prochain film d'un réalisateur récompensé. Regardez Christopher Nolan et le résultat auquel il aboutit dès son troisième film Insomnia, même dès son premier d'ailleurs, Following, le suiveur.
Les menaces qui pensent sur le groupe Vivendi Universal et donc sur StudioCanal engendrent beaucoup de craintes pour la production française. Les partagez-vous ?
J'ai tendance à faire confiance à l'intelligence des gens. Canal, dont je rappelle qu'il a toujours plus de quatre millions d'abonnés et Canal Satellite près de deux millions, a absolument besoin du cinéma, donc de pérenniser sa relation avec le cinéma. Même si certaines personnes débarquent à Canal en provenance d'autres univers, comme les dirigeants actuels, et se demandent pourquoi le groupe consacre tant d'argent dans le cinéma, j'espère qu'ils lisent les enquêtes sur le nombre d'abonnés et qu'ils se rendent compte que ceux-là en veulent, du cinéma. Et pas que des grands titres. On se s'abonne pas à Canal que pour Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain. Si l'on donne une programmation éclectique, l'abonné sera satisfait, même s'il ne regarde pas tous les films proposés.
Ces craintes ne sont-elles pas le symptôme d'une trop grande importance prise par StudioCanal dans la production hexagonale ?
On ne peux pas à la fois dire que Canal et StudioCanal ont trop d'importance et que Canal doit diffuser 120 ou 130 films par ans. Là, on se fiche du monde, j'appelle cela de la démagogie. Il faut que tout le système de production et de diffusion mis en place entre Canal et le cinéma français, que beaucoup de pays en Europe nous envie, soit pérennisé. Mais en même temps, il faut commencer à réfléchir à d'autres systèmes de financement alternatif qui assureraient le lancement de films que Canal ne peut soutenir. D'autant plus que, comme je l'avais prédit sans être grand clerc, les télévisions font de plus en plus de la télévision et diffusent de moins en moins de films. C'est une évolution logique car les chaînes de télévision vivent de la publicité. Une commission du CNC travaille d'ailleurs sur ce sujet depuis le mois de juin.
Quel est votre avenir proche ? Des rumeurs vous impliquent dans la création d'un DreamWorks européen...
Ces rumeurs sont gratifiantes, mais totalement prématurées. J'ai deux ou trois opportunités qui me font espérer de ne pas travailler qu'en France, de ne pas être loin du cinéma et peut-être de la musique. Je suis en pleine discussions et je ne me déciderai pas avant la mi-octobre. En tous cas, je resterai dans le même métier. Certaines personnes qui faisaient de la pharmacie font désormais de la communication. Moi, je ne sais pas faire de pharmacie...
Propos recueillis par Thomas Colpaert