Avec Taking sides, le cas Furtwängler, le réalisateur hongrois Istvan Szabo traite de l'Allemagne de la dénazification : un major américain (Harvey Keitel) est chargé d'interroger le prestigieux chef d'orchestre allemand Wilhelm Furtwängler (Stellan Skarsgard) sur sa collaboration avec le régime d'Hitler. Avec cette adaptation de la pièce de théâtre de Ronald Hartwood, le réalisateur dépeint deux mondes que tout éloigne. De passage à Paris, il s'est confié à AlloCiné.
Pourquoi avez-vous eu envie de traiter ce sujet ?
J'avais envie de parler des relations entre le monde des intellectuels et celui de la politique, et de la façon dont les personnes les plus éduquées influencent les autres. Ils ont ainsi une grande responsabilité. Je ne veux pas dire qu'un paysan a moins de responsabilité qu'un instituteur ou un artiste. Mais c'est une responsabilité différente.
Vos films traitent souvent de la difficulté de suivre ses idéaux. Pensez-vous qu'il est difficile dans une vie de suivre ce qu'on s'est fixé, de ne pas faire de compromis ?
Pour vivre en société, il faut toujours trouver des compromis. Mais il est important de savoir où sont ses limites. Pour constituer un orchestre, il faut de l'argent. Pour exercer sa passion, il faut résoudre des problèmes matériels. Mais la question est : peut-on trouver un compromis avec le régime nazi ?
Vous sentez-vous plus proche de Furtwängler ou du major Arnold ?
Je me retrouve dans les deux caractères. Arnold a le droit de parler comme il le fait, il représente la vérité. Quant à Furtwängler, c'est un génie, un grand artiste. Mais le personnage avec qui je suis le plus en accord est le colonel russe qui est plus pragmatique qu'Arnold.
Justement, vous avez ajouté, par rapport à la pièce, une scène entre Arnold et ce colonel russe. On y sent toutes les différences de traitement entre la zone russe et la zone américaine. Est-ce vous qui en avez eu l'idée, ou Ronald Harwood, le co-scénariste et auteur de la pièce ?
J'ai suggéré à Ronald Hardwood, dont le scénario était parfait, d'ajouter la scène avec le colonel russe. Elle est très importante car elle pose des questions contemporaines. Elle fait, par exemple, penser à ce qui se passe actuellement en Italie.
Beaucoup de réalisateurs, lorsqu'il y a des personnages de différentes nationalités, choisissent de tourner en anglais comme, par exemple, Costa-Gavras avec "Amen". Vous teniez à ce que chaque personne tourne dans sa langue...
L'un des plus grands problèmes est qu'actuellement, les investisseurs demandent à ce que le film soit tourné en anglais pour trouver des distributeurs. J'ai connu cette difficulté avec Sunshine, mon précédent film tourné en anglais. Je ne peux pas actuellement, même si c'est mon plus grand désir, faire un film en hongrois.
Faut-il raconter l'histoire qui nous tient à coeur dans une autre langue ou ne pas la raconter du tout ? Le problème est que l'Europe n'a pas un système efficace pour sauvegarder les langues européennes. L'Union européenne a réalisé un rapprochement militaire ou encore monétaire entre les pays la composant, mais pas un rapprochement au niveau culturel car c'est plus compliqué. Il faut préserver les particularités de chacun tout en travaillant ensemble...
Comment avez-vous choisi les comédiens ? Comment Stellan Skarsgard et Harvey Keitel ont-ils abordé leur rôle ?
Stellan Skarsgard est un acteur génial. Il a réussi à retranscrire l'ambivalence de Furtwängler. Ce n'est pas un musicien, il avait donc un conseiller pendant le tournage.
Harvey Keitel a lu le scénario et a accepté tout de suite le rôle. Il comprend très bien le personnage d'Arnold. Ancien Marine, il a été fier de porter à nouveau l'uniforme américain. Il a été, en quelques sortes, le conseiller militaire du tournage.
Propos recueillis par Marie-Claude Harrer