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    Tavernier vu par Raspiengeas

    Jean-Claude Raspiengeas, journaliste à "Télérama", est l'auteur d'une biographie sur Bertrand Tavernier. Nous l'avons rencontré.

    Pourquoi avoir écrit un livre* sur Bertrand Tavernier ?

    Jean-Claude Raspiengeas : Le personnage m'inspirait depuis longtemps. Je ne suis pas critique de cinéma, pas particulièrement cinéphile. Son cinéma me touche ainsi que ses engagements. Pour moi, il ne se résume pas à un cinéaste, c'est aussi un citoyen engagé, un intellectuel. Je l'avais croisé à deux reprises en dix ans pendant mon activité de journaliste. C'est là que s'est forgée l'envie d'écrire un livre sur lui.

    Comment s'est déroulée votre collaboration ?

    Mon travail a duré trois ans et demi. Je ne voulais pas faire un livre d'entretiens. Je n'ai eu avec lui que deux discussions formelles, l'une au début et l'autre à la fin mais nous avons voyagé, passé du temps ensemble. Le vrai corps du livre se nourrit d'archives et de rencontres avec une centaines de personnes.

    Justement, il y a beaucoup de citations d'amis, de collègues mais moins de Bertrand Tavernier sur lui-même. Etait-ce pour montrer sa pudeur ?

    Ceci tient à la méthode de travail choisie mais aussi, effectivement, à sa pudeur naturelle. Il parle beaucoup mais ne vous livrera pas immédiatement le coeur intime de ce qu'il est. Quand on est timide, il y a deux stratégies possibles : parler beaucoup ou se taire. Il a adopté la première solution.

    Dans le chapitre consacré à "L'Appât", vous écrivez : "l'homme se bat surtout contre lui-même"...

    La première fois que je l'ai vu dans un débat, c'était justement pour L'Appât. Il était dans un lycée aux Mureaux. C'est quelqu'un qui a un vrai engagement citoyen. Bertrand Tavernier est vulnérable : je l'ai vu à plusieurs reprises s'effondrer, touché par la détresse des autres. Il se considère comme un privilégié. La misère et l'injustice le touchent terriblement.

    Pour chaque film, vous faites une revue de presse des critiques. Bertrand Tavernier y semble très sensible. Il a même failli tout arrêter au moment de "Capitaine Conan"...

    Comme la plupart des créateurs, sa sensibilité est exacerbée au moment du jugement. En enquêtant, j'ai découvert que beaucoup de critiques viennent en projection avec des a priori, un esprit de système qui s'est aggravé. Il y a un certain nombre de critiques, toujours les mêmes, qui a décidé de se le farcir. C'est insupportable pour un créateur.

    Cela a été un des intérêts de cette enquête : je suis arrivé vierge et j'ai lu, j'ai vu comment les critiques ont dérapé. Il y a des gens qui n'ont fait ni livre et ni film et qui jugent... Ce qui ne veut pas dire que les créateurs ne veulent pas de la critique. Tavernier aime le dialogue.

    Vous avez consacré un chapitre au débat lancé par Patrice Leconte sur la critique...

    Quand cette affaire a éclaté, j'étais dans cette réflexion-là. Ce qui m'a frappé c'est que entre les années soixante-dix et quatre-vingt dix, les critiques, sans forcément être favorables, avaient quelque chose de riche. Au début des années quatre-vingt dix, cela a basculé. Les réalisateurs ont eu raison. Ensuite, qu'ils se soient mal organisés, c'est autre chose. Je trouve qu'ils auraient dû continuer.

    Bertrand Tavernier est très fidèle à ses comédiens, que ce soit Philippe Noiret, Philippe Torreton ou Marie Gillain. Leurs témoignages ont-ils été faciles à recueillir ?

    Cela a été extrêmement facile, à part deux ou trois qui ne m'ont pas répondu. Ils étaient ravis qu'on vienne les voir pour parler de Bertrand Tavernier. Philippe Noiret m'a gardé six heures. Ils exprimaient tous beaucoup de reconnaissance pour le cinéaste.

    Bertrand Tavernier ne fait jamais appel à un directeur de casting. Il recrute lui-même ses comédiens...

    Oui. Ils sentent donc dès le départ qu'il a un amour pour les comédiens. C'est d'ailleurs un amour intéressant car Tavernier est quelqu'un qui ne se sent pas bien dans sa peau, il admire leur aisance.

    Tous m'ont parlé d'une atmosphère de bonheur sur les tournages. Un seul s'est mal passé : celui de La Passion Béatrice. J'ai assisté aux deux derniers : c'était très agréable.

    Bertrand Tavernier est également fidèle à ses scénaristes : Jean Aurenche, Jean Cosmos. Le nom d'Aurenche revient sans cesse dans son livre intitulé "Qu'est ce qu'on attend ?". Quel est son importance dans la vie du cinéaste ?

    Aurenche et Tavernier, c'est une véritable histoire d'amour. C'est pour ça que Laissez-passer est un film touchant à bien des égards. Je trouve d'ailleurs que c'est son film le plus personnel. Il disait cela de Coup de torchon. Moi je pense que c'est celui-là. Il y boucle tous ses thèmes. C'est un film qui est une dette de reconnaissance permanente, une déclaration d'amour à ses aînés. Avec Aurenche, ils se sont trouvés, à une époque où les théoriciens de la Nouvelle Vague avaient brisé le scénariste. Cette complicité existe également avec Jean Cosmos qui venait de la télévision et qui était regardé de haut dans le monde du cinéma.

    Dans votre livre, Bertrand Tavernier ne semble avoir aucun défaut. Seul un passage est un peu négatif : c'est lorsque vous racontez ses méthodes totalitaires envers les journalistes lorsqu'il était attaché de presse avec Pierre Rissient...

    On a beaucoup ri avec ça. Les critiques que j'ai rencontrés m'en ont parlé. C'est une façon de faire que je peux comprendre. Il défendait à 98% des films qu'il avait aimé avec sa passion de cinéphile et d'ancien directeur de ciné-club. De plus, les victimes avaient de quoi se défendre. La plupart sont d'ailleurs nostalgiques de cette période, du dialogue qu'ils avaient avec Tavernier. Ils parlaient le même langage.

    Pour réaliser un film, Bertrand Tavernier semble poussé par deux éléments : l'indignation et le fait que le sujet n'ait pas encore été porté à l'écran...

    Les deux éléments sont aussi importants l'un que l'autre. Tavernier transforme ses colères en film. C'est de plus en plus vrai ces dernières années. Et ce sont souvent des sujets non traités : la vie dans une école maternelle d'une ville du Nord, ses documentaires (De l'autre cote du periph', Histoires de vies brisées : les double peine de Lyon)...

    Il vous a expliqué que comme D.W. Griffith, il voudrait qu'une caméra puisse changer la réalité...

    La caméra est un prolongement de lui-même. Chez Tavernier, filmer la réalité est une clé pour mieux comprendre le monde. Mais il ne se fait pas d'illusions sur la fait de changer le monde.

    A la fin du livre, vous évoquez la préparation de "Laissez-passer" et les difficultés pour trouver le financement. Dans quel état d'esprit était-il ?

    Je l'avais vu dans des états de désarroi à la veille de la sortie de ses précédents films. Aujourd'hui je le trouve plus serein. Au moment de la recherche du financement de Laissez-passer, il était fragilisé par la perte de sa monteuse Luce Grunenwaldt et par celle de Claude Sautet. Il allait s'attaquer à un sujet qui n'était pas facile : l'Occupation avec des héros peu connus. En plus, c'est son film au plus gros budget. Il était tendu, pessimiste, mais il s'est battu.

    Propos recueillis par Marie-Claude Harrer

    *Bertrand Tavernier de Jean-Claude Raspiengeas, Flammarion, 544 pages, 20,13 euros / 132,04 francs.

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