Fort du triomphe critique et public de son premier long d'animation, Blanche-Neige et les sept nains, Walt Disney voyait désormais les choses en très grand. Il engagea un bataillon de 1000 animateurs, censés lui permettre de sortir un long métrage tous les six mois.
Trois longs métrages furent ainsi en préparation : Bambi, Fantasia et Pinocchio. Le budget de ce dernier explosa d'ailleurs celui de Blanche-Neige, dont la production avait déjà nécessité l’hypothèque de la maison de Walt Disney. L'échec en salle des (més)aventures du pantin de bois fut très douloureux pour la firme.
Sorti en novembre 1940 aux Etats-Unis, Fantasia asséna un autre coup de massue à Walt Disney, et fut un immense échec en salle. Un échec d'autant plus douloureusement vécu par Disney que le film se voulait être précurseur, projet le plus ambitieux jamais réalisé.
Un film sans dialogues, si ce n'est la parcimonieuse voix off de Deems Taylor; les images animées servant d'écrin à une musique classique dont les morceaux - fameux - sont joués sous la direction de l'illustre chef d'orchestre Leopold Stokowski.
La presse spécialisée et, plus encore, le public, boudèrent l'oeuvre très novatrice, qui exploitait notamment un tout nouveau procédé sonore baptisé Fantasound. Le concept artistique demeura trop compliqué à comprendre. Et, visuellement, Fantasia était (et reste) finalement une œuvre difficile d'accès pour les plus jeunes, même si Mickey jouait les apprentis sorciers au cours d'une séquence très célèbre.
C'est peu dire que le destin de Fantasia fut chaotique. Pour sa sortie initiale, sa durée dépassait les 2h05, à laquelle s'ajoutaient les 15 minutes d'entracte. Cette version reprenant le montage d'origine voulu par Walt Disney ne fut diffusée que dans 12 salles (sur les 16 équipées en Fantasound) jusqu'en janvier 1941.
En janvier 1942, le film est ressorti en salles, sous les auspices de la RKO, qui n'hésita pourtant pas à massacrer le montage initial : coupant toute la voix off et même coupant tout un segment, celui de la Toccata et Fugue en Ré Mineur, le coup de rabot était particulièrement violent. Fantasia est ainsi passé d'une durée de 2h05 à 1h21.
Ressorti en 1944 et 1946, le film ne remportera pas davantage de succès, même si la version diffusée en 1946 réintégrait, moyennant encore quelques modifications, ce qui avait été coupé en 1942. En 1953, nouvelle ressortie, accompagnée par une nouvelle spatialisation du son, désormais en stéréo. En 1956 et 1963, Fantasia fut de nouveau projeté en salle. C'est dire si la firme s'est acharnée à évangéliser les foules devant son œuvre incomprise.
Les accusations de racisme
Le tournant s'opère à la fin des années 1960, dans le sillage du Mouvement des Droits Civiques. Le film véhicule une image raciste de la communauté afro-américaine, et les stéréotypes qui vont avec, dans une séquence que Disney a fait supprimer dans le montage exploité en salle, en 1969. Des coupes franches qui ont d'ailleurs impacté la partition musicale, entraînant des faux raccords tout à fait perceptibles.
Il s'agit en l'occurrence de six plans, mettant en scène deux "centaurettes" du nom de Sunflower et Otica (également orthographié "Otika"), dans le segment consacré à la Symphonie Pastorale mise en musique par la 6e symphonie de Beethoven. Les deux personnages apparaissent comme des servantes de femmes centaures blanches, aux traits stéréotypés.
Si en mars 1958, ce segment de la Symphonie Pastorale fut diffusé, en intégralité, dans le cadre de l'émission Disney hebdomadaire Magic & Music, il fut coupé dès 1963 pour ses diffusions ultérieures à la télévision. Une coupe d'ailleurs validée par Walt Disney, qui contrôlait absolument tout au sein du studio.
Voici les séquences mettant en scène Sunflower et Otica...
En 1990, pour le 50e anniversaire du film, Disney finança une coûteuse restauration du film, en se basant sur la version de 1969. Si le montage sonore fut sensiblement remanié afin de faire disparaître les coupes sonores, les scènes de Sunflower et Otica ne furent pas réintégrées. L'astuce trouvée, contestable au regard de l'intégrité d'une œuvre, fut de zoomer sur l'image sur ces scènes désormais recadrées, de sorte que les deux centaurettes noires n'apparaissaient pas.
Pour le 60e anniversaire du long-métrage sorti en DVD en 2000, Scott McQueen, le responsable en chef des équipes de restauration des films chez Disney, avait supervisé une restauration censée être intégrale, de 2h05, afin que la firme puisse annoncer qu'il s'agissait cette fois-ci de la version originale et uncut du film. Si la qualité des images fut effectivement accrue, le même procédé de zoom fut utilisé pour les scènes problématiques, ainsi que la réutilisation de certains plans, pour compenser les coupes franches.
Dix ans plus tard, le film passera à nouveau par la case restauration, sous l'impulsion de John Lasseter. Le montage est quasi identique à la version de 2010 ; une retouche numérique faisant disparaître le personnage de Sunflower, permettant à la scène de retrouver son cadrage d'origine. Les plans avec Otika sont également retravaillés numériquement. Reste que cette version, sortie en Blu-ray, et qui restitue le plus fidèlement possible les couleurs d'origine, est la plus complète, en tout cas la plus proche, de celle voulue par Walt Disney.