Si le grand public connait nombre d'anecdotes liées au papa de Mickey Mouse, mettant en avant son génie créatif, son esprit visionnaire et son sens aiguë des affaires, bien qu'il ait mis plus d'une fois son entreprise en difficulté financière, il existe aussi de nombreuses anecdotes moins connues, à part évidemment auprès des initiés. En voici une plutôt étonnante.
Très conservateur, Walt Disney s'oppose publiquement, au début des années 1940, à l'engagement américain dans la Seconde guerre mondiale. Mais, à l'instar de nombreuses entreprises dans le pays, il ne tarde pas à contribuer malgré tout à l'effort de guerre à partir de l'entrée en guerre des Etats-Unis.
Une partie du studio Disney est ainsi monopolisée par le gouvernement pour en faire un dépôt d'armes, ou encore un hôpital, tandis que Disney maintient une équipe en place chargée de continuer à faire des longs métrages, dans des conditions très difficiles d'ailleurs, comme Dumbo.
Disney continue donc à produire, mais son travail n'est cette fois pas uniquement destiné à être diffusé auprès du grand public. Il créé notamment des films de propagande pour les Américains, ou des films tactiques pour former les militaires, sur l’importance de l’aviation pendant la guerre, etc.
Parmi ces oeuvres de propagande, on trouve notamment quelques pépites, comme Der Fuehrer's Face (1942), dans lequel un Donald obsessionnel, asservi dans une usine d'armement comme Charlot dans Les Temps modernes, répète "Heil Hitler"...
Le revoici :
La victoire par les airs
C'est toujours dans cette logique que ses studios sortent en juillet 1943 dans les salles obscures un long métrage de propagande, Victory Through Air Power. D'une durée d'1h10 et produit pour 788.000 $, mélageant prises de vue réelles et animation, il s'agit d'une adaptation d'un livre publié en 1942 et écrit par un major russo-américain de l'US Air Force, Alexander P. de Seversky.
Un ouvrage prônant l'importance de la supériorité des bombardements aériens qui eut un écho assez retentissant : il fut publié en effet à peine six mois après l'attaque sur Pearl Harbor par l'aviation japonaise le 7 décembre 1941, qui déclenchera l'entrée en guerre des Etats-Unis. Jusque-là, les commandants militaires estimaient que la puissance aérienne était d'une utilité tactique, c'est-à-dire qu'elle devait essentiellement soutenir les efforts des combattants au sol; alors qu'elle pouvait être employée à une échelle bien plus large.
Lecteur passionné et impressionné par l'ouvrage, Walt Disney supervisa lui-même la mise en chantier de la Victoire par les airs, et le film fut réalisé en 14 mois. Un record, compte-tenu du contexte. Pour l'anecdote, le distributeur des films de Disney à l'époque, la RKO Radio Pictures, refusa de le sortir en salle. Walt Disney décida alors de se tourner vers la United Artists, qui distribua de nombreux courts de la firme aux grandes oreilles entre 1932 et 1937. Ce qui en fait le premier et le seul long métrage d'animation Disney à être distribué par un studio de cinéma autre que RKO ou Walt Disney Studios.
Le voici, ci-dessous. Pour lui rendre totalement justice, l'oeuvre est censée être en Technicolor... Les studios Disney firent d'ailleurs parvenir une copie du film à Franklin D. Roosevelt, le président des Etats-Unis, qui fut, dit-on, impressionné.
La Disney Bomb
Dans ce long métrage de propagande figure l'idée d'une bombe (visible sous forme animée) larguée sur une base navale nazie, qui serait capable, par sa puissance, de suffisamment percer dans un premier temps les fortifications, puis d'exploser dans un second temps. De telles bombes, baptisées Bunker Buster, ont été développées durant la Seconde guerre mondiale. Les Américains développèrent ainsi une bombe du nom de "Tarzon". Les Britanniques eurent comme modèles "Tall Boy" (un monstre de 5 tonnes !), "Grand Slam" et ses 10 tonnes sur la balance... Et la Disney Bomb.
Inspiré par le modèle vu dans le film de propagande, le capitaine de la Royal Navy Edward Terrel conçu un modèle de bombe à propulsion comme une roquette, avec guidage assisté, spécifiquement dédiée à percer le béton armé des bunkers avant de faire exploser sa charge.
D'un poids monstrueux de 2 tonnes, que seuls les forteresses volantes américaines B-17 pouvaient emporter sous les ailes (elle ne rentrait même pas dans la soute !), cette bombe Bunker Buster avait une vitesse d'impact de 1590 km/h, soit un peu plus que le modèle "Tall Boy", qui était de 1210 km/h. Bien qu'elle fut un succès dans sa conception, la Disney Bomb n'était pas aussi précise qu'espéré. Mais son manque de précision était contre-balancé par sa puissance dévastatrice.
Avec une telle force, la Disney Bomb était capable de percer le béton armé sur près de 5m de profondeur avant d'exploser. Très utile pour frapper les gigantesques fortifications nazis en béton armé qui abritaient notamment les bases navales d'où partaient les U-Boot; comme celle qui existe encore à Lorient. Ici d'ailleurs, la Royal Air Force tenta de percer le toit dans un bombardement le 6 août 1944, avec une bombe de 6 tonnes. Sans succès...
La Disney Bomb n'a eu qu'une production limitée à partir de la fin 1944, et fut uniquement utilisée par les forces aériennes américaines sur les théâtres d'opérations en Europe, de février à avril 1945. Son premier largage se fit sur le port hollandais de Ijmuiden, qui abritait deux énormes bunkers pour les sous-marins allemands. 18 Disney Bomb furent ainsi larguées sur la fortification, en février 1945.
Au total, près de 160 Disney Bomb furent utilisées entre les mois de février et avril 1945. La dernière attaque utilisant des Disney Bomb embarquées à bord de B-17 eut lieu le 4 avril 1945, dans un bombardement massif de la ville de Hambourg et ses environs.
Etonnant destin que cette Disney Bomb, née d'un Cartoon développé sous les auspices de Walt Disney, pour devenir au final un authentique, ingénieux et mortel engin de destruction destiné à briser la machine de guerre nazi.