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    La Chute sur Arte : la vive polémique entourant le film sur Hitler
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Sorti en 2005, porté par l'écrasante composition de Bruno Ganz sous les traits d'Hitler, "La Chute", diffusé ce soir sur Arte, a aussi suscité de vives polémiques, en Allemagne puis en France.

    Berlin, avril 1945. Le IIIe Reich agonise. Les combats font rage dans les rues de la capitale. Hitler, accompagné de ses généraux et de ses plus proches partisans, s'est réfugié dans son bunker, situé dans les jardins de la Chancellerie. A ses côtés, Traudl Junge, la secrétaire particulière du Führer, refuse de l'abandonner. Tandis qu'à l'extérieur la situation se dégrade, Hitler vit ses dernières heures et la chute du régime.

    La Chute
    La Chute
    Sortie : 5 janvier 2005 | 2h 36min
    De Oliver Hirschbiegel
    Avec Bruno Ganz, Alexandra Maria Lara, Rolf Kanies
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    4,0
    Voir sur Prime Video

    Sorti en 2005 chez nous, La Chute était adapté de deux ouvrages, Les Derniers Jours d'Hitler, un best-seller de l'historien spécialiste de l'époque nazie Joachim Fest, paru en 2002 ; et "Jusqu'à la dernière heure : La dernière secrétaire d'Hitler", soit les mémoires de Traudl Junge.

    Grand film de guerre signé Oliver Hirschbiegel, le film était porté par un très solide casting, au milieu duquel se trouvait une lumineuse Alexandra Maria Lara sous les traits de la secrétaire du Fürher. Mais c'est bien entendu Bruno Ganz, sous les traits d'Hitler, qui a tout emporté sur son passage. Une composition à la fois magistrale et écrasante, tant le mimétisme avec le sinistre modèle d'origine est absolument sidérant dans le film. Glaçant même.

    Une ressemblance physique qui, de l'aveu même du regretté comédien (décédé en 2019), l'avait tout autant stupéfié, dès ses auditions pour le rôle. La Chute "porte un regard très dur sur la chute du régime. Un regard sans pitié. Et même si certaines situations peuvent donner le sentiment d'humaniser les personnages, et si Hitler n'est pas décrit du début à la fin comme un bourreau, l'idéologie véhiculée par les protagonistes est montrée comme totalement absurde et démente [...]" commentait Bruno Ganz, à l'époque de la sortie du film.

    Faut-il humaniser Hitler ?

    Vu dès sa sortie en salle par 5 millions d'allemands, La Chute n'a pas manqué de raviver des feux mal éteints outre Rhin. N'était-il pas dangereux d'humaniser Hitler ? "Avons-nous le droit de faire le portrait d'un homme responsable de la mort de 40 millions de personnes ?" s'était demandé le quotidien berlinois Tagesspiegel.

    Pour Oliver Hirschbiegel, le danger résidait bien plus dans le fait de conserver de lui l'image irréelle d'un monstre qu'à le restituer dans ses traits d'homme : "C'est une insulte aux victimes de prétendre qu'il n'était pas un être humain (...) Il a su exactement ce qu'il faisait à chaque moment de sa vie, et, avec lui, tous ceux qui le suivaient (...) Si vous le trouvez sympathique, c'est que vous n'écoutez pas".

    "Si on avait fait un film sur Hitler et son chien, il est évident que les amis des chiens l'auraient trouvé sympathique. Ca dépend de l'endroit où on place la lorgnette".

    Un sondage paru dans le magazine Stern semblait lui donner raison : 69% des Allemands y approuvaient le fait que le film montre Hitler sous un jour aussi humain, contre 26% qui désapprouvaient. L'ancien chancelier allemand Helmut Kohl (1930-2017) avait lui-même estimé que "ce film devait être tourné. Et j'espère qu'il sera vu par le plus grand nombre possible de gens".

    De son côté, le cinéaste Wim Wenders, qui avait justement révélé Bruno Ganz dans L'ami américain, avait accusé le film de "minimiser le crime nazi" en refusant de prendre parti. "Lorsqu'on raconte quelque chose, il ne suffit pas de savoir de quoi l'on parle, il faut aussi savoir comment et d'où l'on parle", écrivait-il dans l'hebdomadaire Die Zeit.

    Une polémique qui rebondit en France

    La polémique a inévitablement rebondi en France. "Quand on voit Hitler dans ce film, on veut l'approcher, on veut le comprendre (mais) il ne faut pas s'amuser à comprendre ces gens-là. Les crimes commis par cet homme excèdent toutes les raisons qu'on peut en donner" avait fulminé le réalisateur de Shoah, Claude Lanzmann, sur le plateau de France 2. "Il n'y a rien d'interdit en art mais il y a tout simplement des choses qui sont impossibles en art. Personne, par exemple, ne peut reproduire une chambre à gaz".

    Président de l'Association des fils et filles de déportés de France, Serge Klarsfeld n'était pas du tout du même avis que Claude Lanzmann, ne croyant pas "qu'il y ait de raison de créer une polémique autour de ce film".

    "C'est un lieu commun de dire que l'homme privé ne ressemble pas à l'homme public. Tel grand démocrate peut avoir été grossier avec sa secrétaire et tel dictateur courtois avec la sienne. C'est du blabla" avait-il asséné. Ajoutant : "Si on avait fait un film sur Hitler et son chien, il est évident que les amis des chiens l'auraient trouvé sympathique. Ca dépend de l'endroit où on place la lorgnette".

    "Dans sa tentative de décrire ce huis clos, (le cinéaste) répond à la question "comment" : comment s'est déroulée la dernière douzaine de jours de Hitler, sans se poser la question du 'pourquoi" estimait pour sa part l'historien Jean-Pierre Azéma, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, dans les colonnes du Parisien.

    TFM Distribution

    17 ans après le passage de la caravane de la polémique, Arte diffuse le solide film d'Oliver Hirschbiegel. Un visionnage qu'on vous conseille, auquel on pourra aussi tout à fait adjoindre un conseil de lecture si le sujet vous intéresse.

    L'extraordinaire livre La Fin, de l'historien Ian Kershaw, publié aux éditions du Seuil en 2012. Auteur d'une monumentale biographie sur Hitler qui fait autorité, il exposait dans son livre l'écroulement d'un régime dans les derniers mois de la guerre, en posant ces deux questions : pourquoi la guerre a-t-elle duré si longtemps ? Comment expliquer l’incroyable résistance du régime nazi au milieu des décombres ?

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