Allociné : Touchées est votre première réalisation. Comment êtes-vous arrivée sur le projet ? Est-ce que c'est TF1 qui vous a approché ?
Alexandra Lamy : Philip Boëffard, le dirigeant de Nord-Ouest, avec qui j’avais précédemment travaillé sur un film, a lancé un département télévision et il m’a contacté afin de me proposer le projet. Il m'a expliqué qu'il avait une BD qui s'appelait Touchées écrite par Quentin Zuttion et qu’il voulait que le la lise car il désirait monter le projet.
Au départ, je pensais qu’il allait me proposer l’un des trois rôles féminins, mais il m’a très vite dit qu’il voulait en réalité que je réalise. J’ai donc lu la BD et je l’ai immédiatement recontacté. Avec mes différents engagements, je trouvais que c’était la fiction parfaite pour une première réalisation.
C’était un sujet qui me touche, j’ai donc accepté. Et à partir de ce moment-là, j’ai mis ma peur de côté et pris le risque d’être la réalisatrice de Touchées. Je n’avais plus le choix.
Et comment s’est déroulée cette première expérience en tant que réalisatrice ?
C’était génial. J’ai adoré. J’avais une lourde responsabilité mais je connaissais bien le sujet grâce à tous mes engagements. J’ai tout de même pris le temps pour préparer le projet. J’ai ainsi travaillé avec La Maison des femmes, mais aussi avec l’association Résonnante.
J’ai aussi écouté des podcasts et j’ai parlé avec des victimes de violences dans mon entourage. Je n’ai pas fait que réaliser sur Touchées puisque j’ai aussi participé à l’écriture avec Solen Roy - Pagenault et Quentin Zuttion.
Mélanie Doutey est une de vos amies. Chloé Jouannet est votre fille. Comment s’est déroulé le casting ?
Je crois que c’est Spielberg qui disait qu’un bon réalisateur est quelqu’un qui sait bien s’entourer. J’ai décidé de suivre cette idée. Pour mes actrices, je me suis dit qu’il fallait que je prenne les bonnes personnes.
Pour Mélanie Doutey, au-delà du fait que ce soit une amie, je savais qu'elle était professionnelle et que les sujets abordés dans Touchées lui parleraient. C’était très dur de jouer ce qu’elle joue. Elle a réussi à ancrer la peur dans son corps, elle ne l’a pas simplement joué. Elle n’a pas non plus eu peur plus d’aller loin et de se marquer. Je pense que c’était la bonne comédienne pour ce rôle.
Quant à Claudia Tagbo, j'avais très envie de travailler avec elle. Je l’avais vu dans un téléfilm et je l’ai trouvé formidable. C’est d’ailleurs la première actrice qui m’est venue à l’esprit pour incarner Nicole. Et heureusement, elle m’a fait confiance parce que, si elle avait refusé, je n’avais pas d’autres actrices en tête. Je trouvais qu'elle collait tellement bien au rôle.
Pour Chloé Jouannet, je trouve que c’est une comédienne super qui, comme son personnage, a cette force et cette violence tout en ayant une certaine fragilité. Elle peut être explosive comme elle peut être complètement fermée. Elle est à vif et je me suis dit qu'elle allait être parfaite pour le rôle. Et ça a été le cas. Je trouve que le trio marche hyper bien.
J’ai également choisi de faire appel à Andréa Bescond parce que nous nous sommes souvent retrouvées dans des causes, des engagements et des manifestations. Selon moi, il n’y avait qu’elle pour camper une thérapeute. Elle a aussi su trouver les bons mots et elle n’hésitait pas à me reprendre sur des petits détails.
Par exemple, elle m’a expliqué qu’on ne disait pas “Elle a été tuée” mais plutôt “Il l’a tué”, afin de ne pas rejeter une nouvelle fois la faute sur la femme. Enfin, Olivier Serwar, qui joue le maître d’armes est en réalité le vrai maître d’armes de l’association, qui existe réellement. C'est vraiment son travail.
Lorsque l’on visionne Touchées, on aurait presque envie d'en savoir plus sur la vie des personnages secondaires et ce qui les a amenées à être dans cette association. Est-ce qu'il a été un temps envisagé que le téléfilm soit une série ?
Ça a toujours été un format de 90 minutes. Dans la BD, les autres personnages n’existent pas, ils sont seulement en fond. Et justement, je ne voulais pas de ça. J’ai donc fait un casting pour toutes ces femmes. Pour chacune d’entre elles, nous avons créé une histoire.
C’était super parce que nous avions 10 jours de tournage, et faire juste des silhouettes derrière avec des épées, ça n’aurait pas eu grand intérêt. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de personnes qui m’ont demandé de faire une série parce qu’ils avaient envie de connaître le destin de ces autres femmes.
Comme je suis actrice, j’ai conscience que chaque personnage a son importance. Un figurant peut complètement gâcher une scène. J’ai donc fait passer des castings même pour une seule phrase.
Pourquoi Quentin Zuttion, l'auteur de la BD, a-t-il choisi l'escrime comme forme de thérapie et pas un autre sport combat ?
Quentin Zuttion et Olivier, le maître d’armes, m’ont expliqué que dans l’escrime, tu portes un masque donc tu peux mettre l’image que tu veux sur l’autre personne. Tu apprends la maîtrise de soi, le fait de toucher et d’être touché, la bonne distance, la préparation d’un match et le fait de savoir ce que tu veux faire.
Comme Olivier le dit à un moment donné dans le film : "sous le masque, vous pouvez être qui vous voulez." Le fait de ne pas être vu et de mettre ce que l'on veut sur l'autre permet d’être plus libre. Dans l'escrime, nous pouvons aussi taper tout ce qu’on veut, et mettre la violence que l’on veut sans pour autant faire mal à l’autre. On est protégé.
À travers l’escrime, ces femmes parviennent à se délester de ce que l’on appelle l’énergie meurtrière, qui est la violence qu'elles ont emmagasinée lorsqu’elles ont elles-mêmes subi la violence. D’ailleurs, quand on y pense, les agresseurs ont souvent eux-mêmes été agressés. Ceux qui ont de la violence en eux ont souvent subi de la violence. L’escrime est donc un bon moyen de sortir cette violence pour enfin trouver la paix.
Claudia Tagbo apporte une touche d'humour à la série. Est-ce que c'était la manière dont a été écrit son personnage ou est-ce que c'était de l'improvisation de sa part ?
Non, c'était écrit comme ça. Mais je trouvais cela important qu’il y ait un personnage comme celui de Nicole. Je voulais qu’il y ait des rires parce que c’est comme ça qu’est la vie. Les victimes ne passent pas leur temps à pleurer, au contraire. C’est pour ça que nous sommes toujours surpris quand nous apprenons qu’une personne a subi des violences. Dans la vie, on rit et on pleure.
Il n'y a pas beaucoup de scènes de violence dans Touchées, mais il y en a tout de même quelques-unes qui sont marquantes. Comment s'est déroulé le tournage ?
J'ai essayé de faire en sorte qu'on ressente plus la violence que ce que l’on peut voir à l'image, parce que c'est ça qui m'intéressait. Voir une énième violence d'un homme qui frappe sa femme, nous l’avons déjà vu et entendu. Ce qui m'intéressait, c’était le ressenti de la violence.
Mélanie Doutey sait très bien faire ça. Mais à un moment donné, il fallait tout de même montrer un peu de violence. Ce qui est assez ironique c’est que Franck Libert, qui joue l’ex-mari de Lucie, est très engagé auprès des femmes. Il était donc content de jouer ce rôle afin de dénoncer les hommes qui sont capables de faire ça.
Mais quand il a vu les images, il a été impressionné par la violence de la scène. C’était une image très forte et concrète. C’était d’ailleurs quelque chose de difficile car j’étais sur le fil. Je ne voulais pas tomber dans le cliché, mais en même temps, je ne pouvais pas ne pas montrer de violence.
Vous avez rencontré des victimes de violence conjugale afin de préparer le film. Est-ce que les comédiennes ont aussi travaillé avec des victimes ?
Je pense que toutes les comédiennes se sont enseignées. Je sais par exemple que Mélanie et Claudia ont écouté des podcasts. Chloé a également préparé le téléfilm avec ses amis. Elles ont toutes fait un travail monstre avant de commencer le tournage. Je leur ai aussi conseillé des podcasts, des documentaires, des livres…
Avez-vous montré Touchées à des associations ?
Oui. C’était d’ailleurs quelque chose qui m’a beaucoup stressé. La première fois que je l’ai montré à l’association Résonantes, Diariata N'Diaye, la responsable, m'a dit que Touchée allait être un support incroyable pour eux. Ça m'a soulagé.
J’ai également hâte qu’il sorte et que tout le monde puisse le voir. Nous avons montré le film dans des lycées et c’était très intéressant de voir leur réaction. Je pense que le dialogue sera plus simple grâce à Touchées.
Qui a fait les dessins que le personnage de Tamara esquisse dans le téléfilm ?
C'est la femme de Thomas Rames, le directeur de la photographie, qui a fait les dessins. Elle a fait les beaux-arts et est très douée. Ces dessins n'existent pas vraiment dans la BD mais je trouvais cela intéressant de faire un petit d'œil à Quentin avec ce personnage qui dessine. C'était aussi une façon pour le personnage de s'exprimer ce qui était très intéressant.
Est-ce que l'expérience sur Touchées vous a donné envie de réaliser sur d'autres projets ?
Oui. J'ai très envie de continuer dans ce domaine. J'ai des projets que je commence à développer mais je ne peux pas vraiment en parler pour le moment. Il y en a un que je porte depuis longtemps et que je suis en train de mettre en route. Et puis il y en a un autre que j'ai envie de développer et de faire pour ma sœur (Audrey Lamy, NDLR), qui est une très bonne actrice (rires). Et puis je reprendrai aussi Mélanie Doutey, ça c'est sûr (rires).
Retrouvez Touchées de jeudi 22 septembre à 21h10 sur TF1. Le téléfilm est d'ores et déjà disponible en exclusivité sur Salto.