Qu'on ne se méprenne pas, la Rédac' AlloCiné aime profondément le cinéma de Quentin Tarantino. Ses envolées lyriques nous remplissent de joie et nous suivons bien souvent ses recommandations lorsqu'il conseille telles ou telles pépites oubliées. Et puis, il y a eu ces quelques lignes dans Sight & Sound... QT y écorne François Truffaut, le qualifiant de "amateur empoté".
Nous ne critiquerons jamais Tarantino mais nous nous devons de rappeler ce que le cinéma doit à François Truffaut, et combien nous aimons les films de ce réalisateur mort il y a près de quarante ans. Un hommage s'impose donc. Un hommage en forme de contrefeu à l'embrasement tarantinien : dans la filmographie de haute volée du maître, nous avons choisi de vous parler de sept films. Sept films qui ont changé notre vision du cinéma.
Les Quatre Cents coups
C'est auréolé d'une réputation de critique impitoyable, pourfendeur de la tradition française, que Truffaut se lance dans le cinéma. Et pour être à la hauteur des exigences qu'il a pour les autres réalisateurs, l'impétrant se doit de révolutionner le cinéma français. Au minimum. Et le jeune homme - il n'a alors que 27 ans - est au rendez-vous. Son film est d'une liberté sidérante, et propose un portrait d'enfant à rebours de la joliesse trop souvent associée à cet âge.
S'il n'est pas autobiographique, Les Quatre-Cents Coups n'en est pas moins inspiré de l'expérience douloureuse de son créateur, enfant mal-aimé et rebelle. Côté distribution, il trouve en Jean-Pierre Léaud l'interprète idéal de cet Antoine Doinel en quête d'amour et de stabilité affective. Le film, présenté à Cannes, se voit décerner le Prix de la mise en scène. Ironique pour Truffaut, persona non grata au Festival un an plus tôt pour avoir critiqué avec trop de véhémence les films en compétition. (Vincent Garnier)
Jules et Jim
Deux garçons, une fille… et un film phare de la Nouvelle Vague à l’arrivée. Peut-être pas aussi emblématique que Les 400 Coups, l’un des opus fondateurs du mouvement. Mais nettement plus romanesque. Adapté du livre homonyme d’Henri-Pierre Roché, il met donc en scène Jules (Henri Serre) et Jim (Oskar Werner). Et Catherine (Jeanne Moreau), la femme dont le Français et l’Allemand tombent tous deux amoureux, à l’aube de la Première Guerre Mondiale qui va les séparer.
Au badinage et à la légèreté des premières scènes (où l’on fait la course de manière impromptue, saute dans la Seine et se dessine une moustache) succède la tragédie au retour de la guerre, symbole de fin de l’insouciance. Passant avec aisance d’un registre à l’autre, François Truffaut y instaure le style qui sera le sien par la suite. Non content d’offrir à Jeanne Moreau un rôle sublime, il nous entraîne dans un tourbillon de vie fait de rires et de larmes, dont les images et les émotions nous marquent à tout jamais. Jules et Jim reste sans doute son plus beau film. (Maximilien Pierrette)
Fahrenheit 451
Après avoir résisté plusieurs fois aux sirènes hollywoodiennes, en refusant notamment de réaliser Bonnie & Clyde (qui sera mis en scène par Arthur Penn), François Truffaut jette son dévolu sur Fahrenheit 451. Ce long-métrage sera son unique film tourné en langue anglaise. Il s'agit d'une adaptation du roman éponyme écrit par Ray Bradbury. À noter que le titre fait d’ailleurs référence à la température de combustion du papier. Bien que les effets spéciaux et les décors paraissent un peu datés, l'exploration du thème du totalitarisme par Truffaut reste un sommet du genre.
L'histoire se déroule dans un pays indéfini, à une époque indéterminée, où la lecture est rigoureusement interdite. Cette activité empêcherait les gens d'être heureux. La brigade des pompiers a pour seule mission de traquer les gens qui possèdent des livres et de réduire ces objets en cendres. Guy Montag (Oskar Werner), pompier zélé et citoyen respectueux des institutions, fait la connaissance de Clarisse (Julie Christie), une jeune institutrice qui le fait douter de sa fonction. Peu à peu, il est à son tour gagné par l'amour des livres. (Vincent Formica)
La Mariée était en noir
Quentin Tarantino aurait-il la mémoire courte ? Le cinéaste américain semble en effet avoir oublié combien le film La Mariée était en noir (1967) a grandement inspiré son diptyque Kill Bill ! Adapté d'un roman de William Irish (également auteur de La Sirène du Mississippi), le film de Truffaut suit lui aussi le plan de vengeance mis en place par une jeune veuve dont le mari a été assassiné le jour même de leur mariage.
Dans la version de Truffaut, pas de voyage initiatique en Chine, ni de yakuzas ou d'effusions de sang, mais la crème du cinéma français : Jeanne Moreau dans le rôle principal, tandis que ses victimes sont jouées par les légendaires Claude Rich, Michael Lonsdale, Michel Bouquet et Charles Denner. Un film noir incontournable dans la filmographie de Truffaut qui a par ailleurs pu bénéficier d'une bande originale composée par une autre légende du 7ème art : Bernard Herrmann (Psychose). (Clément Cusseau)
La Nuit américaine
Treizième film de François Truffaut, La Nuit américaine est consacré au cinéma et à la création. Une équipe de tournage est réunie dans les studios de la Victorine, à Nice, pour mettre en boîte un long métrage. C’est l’aventure humaine que représente un tournage de cinéma qui constitue le cœur du film.
Outre l’aspect passionnant de découvrir les coulisses d’un tournage, La Nuit américaine a l’intelligence de se baser sur une aventure collective pour raconter des solitudes. Les rapports entre les hommes et les femmes du film sont souvent superficiels malgré les apparences. Truffaut s’attache à décrire l’isolement du metteur en scène lors de ces rapports, happé par sa création et la gestion de tout ce qui concerne son long métrage. Un classique du cinéma (français) à voir ou à revoir. (Corentin Palanchini)
Le Dernier métro
C'est l'un des plus grands succès de François Truffaut. Plus de 3 millions d'entrées lors de sa sortie en salles en septembre 1980 et dix César récoltés en 1981 dont ceux du Meilleur film, du Meilleur scénario et du Meilleur réalisateur. Il fallait bien cela pour faire oublier les échecs successifs de La Chambre verte (1978) et L'Amour en fuite (1979). Ici, le cinéaste de la Nouvelle Vague s'intéresse à la vie d’une troupe de théâtre parisienne au temps de l’Occupation.
Un récit historique émaillé de nombreuses références - à la danseuse Margaret Kelly, au dramaturge Sacha Guitry ou encore au critique collaborationniste Alain Laubreaux - mais qui relève également de l'intime, l'éternel insatisfait puisant dans ses souvenirs d’enfance pour interroger sa part de judéité. C'est une véritable mise en abyme, la célébration d'un art comme acte de résistance à laquelle on assiste. Le tout sublimé par la première rencontre inoubliable de deux monstres sacrés - Gérard Depardieu et Catherine Deneuve - et la musique vivifiante de Georges Delerue. (Guillaume Martin)
La Femme d'à côté
Il les a vus côte à côte lors d'une cérémonie des César et il a vite compris : entre Fanny Ardant et Gérard Depardieu, il existe cette fameuse et impalpable alchimie. Pour eux, il a donc écrit La Femme d'à côté, l'histoire passionnelle de Mathilde et de Bernard, deux anciens amants ayant autrefois vécu une idylle tourmentée, et qui par le plus pur des hasards se retrouvent voisins. Ils sont tous deux mariés mais leur ancienne flamme, dévorante, va renaître des années après.
Drame romantique par excellence, l'avant-dernier film du grand Truffaut est sans nul doute celui qui crie et décrit le mieux les tourments psychologiques et physiques de la passion amoureuse et... le Désir, présent dans chaque geste, échange ou frôlement. Yeux charbon, voix exaltée, démarche incandescente, la magistrale et encore peu connue Fanny Ardant se révèle sous l'œil du cinéaste dont elle sera la dernière compagne. À ses côtés, Depardieu sorti tout droit de son Dernier Métro, propose une partition plus intime, à la fois sauvage et élégante.
Ces deux grands séducteurs de leur temps incarnent comme personne l'urgence du sentiment, l'étreinte impérieuse presque animale, l'attachement destructeur et son impossible équation (l'ultime "Ni avec toi, ni sans toi"). Tout en sachant rester à bonne distance de son sujet pourtant brûlant, Truffaut parvient en outre, grâce à la maîtrise de son propos, à souligner à quel point le désordre amoureux peut créer le désordre social. Ce chef-d’œuvre, qui a inspiré les plus grands films d'amour "toxique" en France et ailleurs, est un incontournable. (Laetitia Ratane)