Vous venez de voir en salles Top Gun: Maverick et, encore essoufflés, vous vous posez peut-être quelques questions plus ou moins techniques sur les péripéties de Tom Cruise et ses élèves en haute altitude. A quoi sert un call sign ? Peut-on vraiment atteindre Mach 10 ? C'est quoi la manoeuvre Cobra ? Bonne nouvelle : AlloCiné est allé interroger un véritable pilote de chasse pour obtenir les réponses à ces interrogations et à quelques autres.
Rencontre avec le capitaine de frégate Etienne, Commandant adjoint Opérations de la base aéronavale de Landivisiau et pilote de Rafale Marine (chasse embarquée) au sein de la Marine Nationale. Un marin, comme le capitaine de vaisseau Pete Mitchell incarné par Tom Cruise !
Etienne : Oui, exactement, je suis un marin comme lui, dans la Marine Nationale. Et comme lui, après une carrière opérationnelle, je suis instructeur en vol, en l'occurence sur Rafale Marine. Mon quotidien se partage entre la préparation opérationelle, c'est-à-dire que je suis responsable de la piste et du contrôle aérien sur notre base de Landivisiau, et ma fonction d'instructeur en vol, avec comme objectif de former les jeunes pilotes qui viennent d'avoir leur brevet aux Etats-Unis, qui nous reviennent et qui débutent sur Rafale.
Quand on a vu "Top Gun: Maverick", on se pose beaucoup de questions. Nous en avons listé quelques-unes. Tout d'abord, comment se choisit un call sign ? A quoi ça sert ?
Un call sign, dans la Marine, on appelle ça un nom de guerre. Le nom de guerre sert, quand on fait des communications aux radios, si on est intercepté par un ennemi, à ce que ce dernier ne puisse pas connaître notre réelle identité. C'est un peu comme un nom d'emprunt.
Quand on arrive dans la première unité, dans une flotille de chasse embarquée, c'est le groupe qui choisit pour nous notre nom de guerre. Il sera définitif pour le reste de la carrière le jour où on sera qualifié à l'appontage sur le porte-avions.
Le nom de guerre est choisi soit en référence au tempérament d'un jeune pilote, ou à une petite bêtise qu'il va faire. Souvent, c'est un petit jeu de mots sur son nom ou la traduction de son nom en anglais. C'est toujours sur le côté humoristique qu'est choisi le call sign.
Peut-on vraiment atteindre Mach 10 ?
Aujourd'hui, je ne connais pas de pilotes qui l'ont fait. C'est peut-être possible, mais à ma connaissance, ça n'a pas été réalisé. La dernière fois qu'on a envoyé des pilotes très vite, c'était dans les années 50/60 où on faisait des objets pilotés très rapides comme le X-15. Aujourd'hui, ce qui va très vite, ce sont souvent des objets non-pilotés. C'est d'ailleurs le dilemme au début de Top Gun: Maverick, entre avion piloté et avion piloté à distance ou drône.
Marine Nationale
C'est quoi un chasseur de 5e génération ? Et pourquoi Maverick n'en pilote pas un ?
Le chasseur de 5e génération, c'est typiquement le F-35. Les chasseurs, on les classe par grande génération pour les comparer. Le Rafale, lui, est plutôt un avion intermédiaire entre 4e et 5e génération.
En effet, Maverick ne pilote pas le F-35, il pilote le F-18, qui est de 4e génération. Pourquoi il pilote cet avion ? Je pense que c'est dû au scénario. C'est pour montrer que même avec un appareil ancien, moins moderne, on peut quand même réaliser la mission.
Depuis quelle année les femmes pilotes de chasse peuvent-elles participer aux combats ?
Pour l'année, je ne sais pas. En tout cas pour nous, ce n'est pas un sujet. On a eu des Américains sur la base de Landivisiau il y a à peu près un mois, il y avait une femme pilote de F-18 et une femme navigatrice officier systèmes d'armes. Homme, femme... Il n'y a que des pilotes et des navigateurs, ce n'est vraiment pas une question qu'on se pose. Hommes et femmes sont complètement aptes à la fois à piloter un avion de combat et à aller au combat, ça ne pose aucun problème.
A partir de quel âge un pilote ne peut-il plus voler en combat ?
Il n'y a pas d'âge limite. C'est ça qui est sympa : tant qu'on est apte et qu'on est dans un poste où on a besoin de nous pour voler, et bien on continue à voler. Moi, je connais un pilote réserviste dans la Marine, sorti des armées mais qui vient voler et faire instructeur en tant que réserviste, et bien il a plus de 50 ans. Il vole quand même sur Rafale... et très bien !
Les instructeurs sont-ils tous d'anciens pilotes ?
Les instructeurs sont forcément des pilotes qui ont de l'expérience et ont effectué toute une carrière opérationnelle. Ils ont évidemment pour objectif à la fois d'apprendre techniquement les manoeuvres de combat aux jeunes pilotes, mais aussi de leur apporter leur expérience du combat. On leur apporte à la fois des choses très techniques mais aussi des aptitudes, un état d'esprit. Un petit peu comme dans le film, finalement.
Pourquoi, dans certains avions, il y a deux pilotes et dans d'autres un seul ?
Dans Top Gun: Maverick, il y a des avions monoplace et des avion biplaces, dans lesquels il y a un pilote et un navigateur responsable systèmes d'armes. Ce sont des choix à la fois techniques et tactiques des différentes armées. Par exemple, nous, dans la Marine Nationale, nous n'avons que des avions monoplace, que des Rafale monoplace. Le pilote est à la fois en charge de voler et de gérer son système, car le Rafale a un système suffisamment intégré pour que le pilote puisse faire les deux fonctions en même temps.
C'est quoi la manœuvre Cobra que réalise Maverick dans le film ?
La manoeuvre Cobra, c'est une manoeuvre qui est presque plus de show aérien que de combat. Le pilote va tirer très fortement sur le manche pour prendre beaucoup de facteurs de charge, monter très fortement en incidence pour, littéralement, s'arrêter dans le ciel. C'est ce que Maverick fait quand il passe au-dessus de l'autre avion. Ca reste du cinéma. C'est très joli, très spectaculaire, mais je ne connais personne qui l'utilise au combat.
Quels équipements sont contenus dans un siège éjectable pour permettre à un pilote de survivre en territoire ennemi ?
Quand on part en vol, et pour tous les vols d'ailleurs, on a un gilet de sauvetage sur nous. Comme dans le premier Top Gun, c'est un gilet de sauvetage qui permet de rester à la surface si on tombe dans l'eau. Et dedans, il y a une radio, des équipements pour se signaler aux hélicoptères qui viendraient nous chercher après coup.
Sous le siège, il y a aussi d'autres équipements pour pouvoir survivre un petit peu plus longtemps. Il y a quelques rations, un petit peu d'eau, et puis il peut aussi y avoir une arme pour se défendre au sol. Il y a tout pour survivre quand le pilote est tombé au sol, potentiellement dans un territoire ennemi.
Peut-on vraiment apponter sans train d'atterrissage ?
Sans train d'atterrissage, c'est pour le cinéma. On ne l'a jamais tenté, on ne l'a jamais imaginé. Le fait que le siège éjectable ne fonctionne pas, c'est quelque chose qui serait inhabituel, mais on essaierait quand même de quitter l'avion en vol, c'est à dire potentiellement en cassant la barrière, en se mettant sur le dos et en se laissant tomber de l'avion plutôt que de tenter un appontage extrêmement risqué.
Parce que là, on pense aux risques pour l'avion et l'équipage de l'avion mais il faut aussi penser à tous les gens qui sont sur le porte-avions. Le porte-avions, c'est une ville complète avec beaucoup de monde, du carburant, des munitions. Le but étant de ne pas récupérer à tout prix un avion si c'est pour créer des dégats irréparables sur le porte-avions.
Y a t-il souvent des combats aériens dans les conflits actuels ?
Actuellement, non. On est intervenu dernièrement dans des pays qui ne disposaient pas d'aviation ennemie. Mais on continue à s'entraîner. On est toujours en train de se préparer à toutes les éventualités, aux conflits futurs. On s'entraîne tous les jours et d'ailleurs, dans quelques minutes, je vais aller m'entraîner et entraîner de jeunes pilotes au combat aérien.
Est-ce que vous trouvez "Top Gun: Maverick" fidèle à la réalité ?
J'ai envie de vous dire que le quotidien est encore mieux que le film, c'est le passionné qui parle ! C'est du cinéma, mais oui, on ressent l'état d'esprit, le groupe uni, et c'est vraiment ce qu'on retrouve dans les flotilles de chasse de la Marine Nationale avec l'équipage. J'aime bien aussi la relation de Pete Mitchell avec son mécano. C'est très représentatif de ce qu'on fait dans la Marine, c'est-à-dire que le pilote sans le mécano ou le mécano sans le pilote, ça n'a pas de sens. On est vraiment une véritable équipe, donc c'est assez représentatif.
Pour la petite histoire, personnellement, il y a maintenant plus de deux ans, j'ai participé à ma modeste échelle, comme expert, à la traduction de Top Gun: Maverick, afin que les termes utilisés dans la VO soient bien sous-titrés, bien traduits en VF. Il fallait que la traduction de quelques parties très techniques du script soit la plus proche de la réalité du vol et de la Marine, pour qu'il n'y ait pas les petites erreurs qu'on trouve parfois. Donc la traduction est très fidèle à la réalité. C'était une expérience assez drôle.
Ca fait quoi de voir son métier, et presque finalement de se voir soi-même représenté à l'écran ?
C'est du plaisir. J'ai pris beaucoup de plaisir à voir Top Gun: Maverick. On est dans l'avion avec lui, on est sur le pont du porte-avions. Moi, ça me donne envie de me réengager pour vingt ans de plus quand je vois ce film. C'est tellement prenant, on a envie d'y retourner, de revivre ces sensations comme lui les vit à ce moment-là.
Le film permet de rappeler que le personnage fait partie de la Marine. Beaucoup doivent penser que Maverick est membre de l'Armée de l'air...
C'est souvent le cas. Si vous posez la question à beaucoup de Français, pour eux, les pilotes d'avion font forcément partie de l'Armée de l'air. Et bien non, on est de la Marine. On a une connaissance complète à la fois de ce qui se passe en l'air mais aussi de ce qui se passe en mer. Et puis notre métier, c'est d'être pilote sur le porte-avions. On part en mer, en équipage, tous ensemble, on est les marins du ciel comme le dit l'amiral dans le film. Marins quand on est sur le porte-avions et marins du ciel quand on est en l'air.
Vous êtes fan des films "Top Gun ?"
Oui, bien sûr ! J'ai regardé le premier film quand j'étais ado et même après ! C'est toujours un film plaisant. Quand on est passionné d'aéronautique, les images sont belles, ça fait rêver, on est captivé par ces images, par cette histoire. Mais j'ai presque ma petite préférence pour Top Gun: Maverick, qui est un film actuel, plus représentatif de ce qu'on vit aujourd'hui. Je prends beaucoup de plaisir au cinéma, le cinéma nous offre du rêve, et ça nous fait du bien de rêver. Et puis quand on va voler, on en profite, on se dit que ce qu'on a vu au cinéma, ce rêve, on peut le vivre.
C'est une chance absolue d'être Français. Comme les Américains, on a un porte-avions, on a une Marine qui a une aéronautique navale, ce sont des choses uniques. On peut être fiers d'être Français, fiers d'appartenir à la Marine Nationale qui sert des missions avec nos amis américains. On fait les mêmes missions qu'eux, on est Band of Brothers avec nos amis américains, on se forme avec eux, on travaille avec eux, on a les mêmes techniques et procédures qu'eux. Moi, je vis un rêve éveillé depuis vingt ans.
Ravi aussi, j'imagine, que le film puisse susciter des vocations ?
On le verra peut-être dans quelques semaines. En tout cas, si ça suscite des vocations, c'est tant mieux. Ca permet de dire aux jeunes que c'est possible. On peut faire ce métier-là, on peut aller sur un porte-avions et c'est un beau métier. Ce sont de beaux métiers, car il y en a beaucoup. On ne voit pas beaucoup de choses dans Top Gun: Maverick car c'est très "pilote-centré", mais il y a plein de métiers différents, plein de passionnés qui travaillent, et travailler dans un milieu professionnel quand on est passionnés, ça ne donne pas l'impression de travailler.
Propos recueillis par Clément Cuyer le 9 juin 2022 - Remerciements chaleureux au pilote Etienne et à Etienne Baggio pour leur disponibilité, leur gentillesse et leur enthousiasme.
Top Gun Maverick : à la recherche de Tom Cruise sur le porte-avions Charles de Gaulle
