David Cronenberg aime passionnément les acteurs, surtout ceux qui n’ont peur de rien. Il faut bien ça pour répondre aux attentes d’un cinéaste capable de tout. Dans Les Crimes du futur, son vingt-deuxième long métrage, il s’entoure d’un trio en or : Viggo Mortensen, Léa Seydoux et Kristen Stewart. Trois sensibilités aux carrières différentes, mais toujours prêtes à repousser leurs limites à l’écran.
Présentes au 75e Festival de Cannes, où le film est projeté en Compétition officielle, les trois têtes d’affiche se sont confiées à AlloCiné. Ils parlent de leur relation de confiance avec le réalisateur, son style si particulier et le pouvoir d’un cinéma qui sort le spectateur de sa zone de confort. Rencontre sur le toit d'un hôtel cannois.
ENTRER DANS LE MONDE DE CRONENBERG
Lorsque Léa Seydoux reçoit un appel pour rejoindre Les Crimes du futur, elle est dans une file d’attente pour aller voir Crash, autre film du réalisateur, dans un cinéma à Paris. Signe du destin. Initialement, elle devait interpréter Timlin, rôle désormais tenu par Kristen Stewart.
“Mais j’aurais pu jouer n’importe quel rôle pour lui”, lance-t-elle. Les deux actrices signent leur première collaboration avec David Cronenberg. Son immense carrière impose forcément quelques appréhensions, très vite dissipées sur le tournage. “J'étais tellement nerveuse, se souvient Kristen Stewart. Mais il sait comment faire disparaître les peurs car c’est un homme d'une grande douceur et tendre. Ce qui est étonnant lorsqu’on connaît ses films.”
Léa Seydoux le confirme : “C’est drôle parce que quand les gens l’imaginent comme un homme très mystérieux, mais quand on le connaît, c’est une personne très humaine. On a pas du tout parlé du projet parce que, selon moi, quand on fait un film, il faut garder ses secrets pour soi. On a parlé de la vie, de l’amour et ces conversations m’ont aidé à nourrir le personnage.”
Pour Viggo Mortensen, ce film signe ses retrouvailles avec un ami de longue date. Il a tourné à quatre reprises avec lui et lui a même offert un petit rôle dans son long métrage Falling. David Cronenberg y joue... un proctologue, évidemment.
“J'ai une relation spéciale avec lui, précise-t-il. Nous partageons un certain sens de l'humour sur la vie. Il y a une confiance entre nous. Grâce à cela, je suis prêt à tout faire. Je peux faire des choses pour lui que j'hésiterais peut-être à faire avec d'autres réalisateurs.”
SE SURPASSER SUR LE TOURNAGE
En jouant pour David Cronenberg, Léa Seydoux a su prendre le dessus sur sa peur. "J’ai besoin du cinéma et de cette forme d'expression qu’est le jeu pour la transcender, révèle-t-elle. C’est comme avant des montagnes russes, on sait qu’on va avoir cette montée d’adrénaline et c’est toujours le cas pour les films que je fais. Finalement, on devient presque addict à ce sentiment-là."
Kristen Stewart, elle, a été surprise par l'instinct du cinéaste durant les prises : "Il me laissait faire un ou deux essais, je m'apprêtais à recommencer, mais il venait vers moi en souriant pour me dire : 'Non, c'est parfait !' J'étais si surprise car ses films sont tellement précis, mais sur le plateau, c'est du cinéma improvisé. Quand le tournage s'est terminé, je ne voulais même plus partir."
UN AUTEUR AVANT-GARDISTE
Les œuvres de David Cronenberg ont la particularité d’évoluer à travers les époques. Un film incompris à sa sortie peut être redécouvert ou réhabilité des décennies plus tard. Qu’il soit question d’un thriller halluciné, d’une satire ou d’une dystopie, ses récits ont toujours une longueur d’avance sur le monde.
“Il choisit soigneusement ce que ses personnages disent et où il met la caméra, insiste Viggo Mortensen. Plus que pour d’autres réalisateurs, ses films gagnent en profondeur au fil des visionnages. Il est en avance sur la société à bien des égards.”
À titre d’exemple, l’acteur cite Crash, film sorti en 1996 et récompensé par le Prix du jury à Cannes. “Ce projet a suscité beaucoup de controverses, mais je pense que les gens n'y étaient pas préparés. Quand je le revois aujourd’hui, je repère de nouvelles choses. Ce n'était pas juste un désir superficiel de choquer.”
Le scénario des Crimes du futur a été écrit il y a plus de vingt ans et semble plus pertinent que jamais. “Je n'arrivais pas à y croire, s’étonne Kristen Stewart. On a l'impression qu'il a écrit cette histoire en réponse aux trois dernières années.”
De son côté, Léa Seydoux a été séduite par la richesse des sujets abordés à l’écran : “La question de l’environnement, de l’art, les plastiques que nous ingurgitons et ce que l’on laisse aux futurs générations. D’ailleurs, le film s’ouvre sur un enfant. Il représente le futur, mais ce futur est déjà mort. Heureusement il y a un certain espoir, une tendresse qui jaillit dans le film et qui n’était pas visible dans le scénario.”
DÉRANGER LES ESPRITS TRANQUILLES
Bousculer les spectateurs pour mieux les questionner a toujours été l’un des objectifs de David Cronenberg. Kristen Stewart est heureuse de présenter un tel film au plus grand festival de cinéma du monde. “Surtout que je viens d'un pays où l’on parle d'“industrie”, ajoute-t-elle. C'est "l'industrie du film". Ce seul mot évoque l'argent. Il faut que les films rapportent à tout prix. Celui-ci n’a pas pour seul but de divertir, il est fait pour se poser les bonnes questions et nous demander qui nous sommes vraiment.”
David Cronenberg : le roi du body horror ? Le réalisateur préfère parler de body beauty"Chaque metteur en scène a son propre langage et celui de David est tellement personnel, spécial, conclut Léa Seydoux. Je pense qu’il a inventé un genre. Quand on va voir un de ses films, c’est une expérience sensorielle, on est traversé dans son corps. Il est quand même un des rares à provoquer ça.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, le 23 mai 2022.
Les Crimes du futur, au cinéma le 25 mai 2022.