De quoi ça parle ?
Pourquoi Fabrizio Collini a-t-il assassiné Hans Meyer, un industriel de la haute société allemande ? Comment défendre un accusé qui refuse de parler ? En enquêtant sur ce dossier, son avocat découvrira le plus gros scandale juridique de l’histoire allemande, et une vérité à laquelle personne ne veut se confronter.
Une douloureuse introspection
Depuis quelques années maintenant, le cinéma allemand se livre à une passionnante introspection sur la manière dont le pays, au sortir de la Seconde guerre mondiale et avec le poids colossal de la culpabilité qui s'en est suivi, a entrepris de dénazifier la société, son système administratif et judiciaire.
Citons à ce titre le remarquable Labyrinthe du silence, sorti en 2015, qui revenait sur des faits assez méconnus par le grand public, et pourtant essentiels : la traque par la justice allemande des anciens responsables nazis chargés d'administrer le camp d'extermination d'Auschwitz. Traque qui conduisit au procès de Francfort, dans une Allemagne post-nazie des années 50-60, où l'heure n'était justement pas à la repentance des crimes du passé encore brûlant. Un procès exceptionnel qui se déroula durant 20 mois, d'octobre 1963 à août 1965. 20.000 personnes assistèrent à ce procès exceptionnel; 360 témoins venant de 19 pays différents dont 211 survivants d'Auschwitz furent appelés à la barre.
On citera également en exemple un autre solide film, tout à fait complémentaire d'ailleurs du précédent : Fritz Bauer, un héros allemand, de Lars Kraume, sorti en 2016. Un portrait passionnant du procureur de Francfort, Fritz Bauer donc, qui fut à l'origine du procès évoqué ci-dessus, mais qui fut aussi essentiel dans la traque de l'ancien fameux criminel de guerre nazi réfugié à Buenos Aires, Adolf Eichmann.
Si l'on prend le temps de revenir un peu sur ces deux oeuvres, c'est parce que L'Affaire Collini complète intelligemment celles-ci. D'abord en raison du pedigree singulier du film réalisé par Marco Kreuzpaintner. Il est en effet une adaptation d'un roman publié en 2011 et écrit par un ancien avocat réputé, spécialisé en droit criminel et reconveti sur le tard en écrivain à (grand) succès : Ferdinand von Schirach.
Un patronyme bien lourd à porter pour qui connait l'Histoire : c'est le petit-fils de Baldur von Schirach (1907-1974), le chef des jeunesses hitlériennes, responsable de la déportation des juifs de Vienne, condamné au procès de Nuremberg à 20 ans d'emprisonnement. La même peine à laquelle fut condamné Albert Speer, le ministre de l'armement d'Hitler.
Une justice sans mémoire pour des crimes imprescriptibles
En janvier 2012, la ministre fédérale de la Justice, Sabine Leutheusser - Schnarrenberger, mis en place une commission indépendante au ministère fédéral de la Justice, pour procéder à une réévaluation du passé nazi du pays; et cita explicitement l'ouvrage "L'Affaire Collini".
C'est que l'oeuvre, et par extension le film dont il est tiré, évoque une loi inique, baptisée "Loi Dreher", qui sert de toile de fond et de fil conducteur. Eduard Dreher fut durant le IIIe Reich procureur public à la Cour spéciale d'Innsbruck, et avait régulièrement réclamé la peine de mort pour de très petits crimes, même des vols à l'étalage. Après la guerre, il devint fonctionnaire. En 1968, il fut nommé chef de département de la justice criminelle.
Il a largement contribué à l'élaboration d'une loi intitulée "introduction aux infractions administratives", qui contenait des régulations à première vue insignifiantes, et qui fut votée par les membres du Budenstag (parlement) à l'unanimité, en 1968. Mais, comme souvent, le Diable est dans le détail... Car cette loi incluait une phrase qui permettait de prescrire quasiment tous les crimes de l'époque nazie d'un seul coup, dès l'entrée en vigueur de la loi.
Ce n'est que quelques jours après l'avoir votée que les députés découvrirent, horrifiés, les conséquences funestes de cette loi, en lisant un article du journal Der Spiegel. Certains voulurent croire à une erreur involontaire. Les faits ont montré qu'il n'en était rien : Eduard Dreher savait parfaitement ce qu'il faisait.
Cette phrase, insérée au paragraphe 50 du code pénal, concernait les complices des meurtres pour lesquels les mobiles ne pouvaient être prouvés. Par exemple, les nazis ayant tué des juifs, mais pour lesquels il était impossible de prouver que leurs actes avaient été motivés par une haine raciale personnelle. Cette nouvelle disposition stipulait que ces complices de meurtre ne devaient plus être punis pour meurtre, mais uniquement pour homicide involontaire.
Les homicides, volontaires ou involontaires, sont punis en Allemagne avec différents degrés de sévérité : la prison à vie en cas de meurtre, 15 ans de prison pour un homicide involontaire. Cette distinction affecte le délai de prescription. Le meurtre est imprescriptible, tandis que l'homicide involontaire est prescrit au bout de 20 ans. Lorsque cette loi Dreher est entrée en vigueur en 1968, tous les crimes commis par des nazis ont été considérés comme prescrits...
La jurisprudence a rapidement validé cette forme d'amnistie qui ne disait pas son nom, lors du procès d'Hermann Heinrich qui se déroula peu de temps après le vote de cette loi. Ce dernier fut responsable de la sélection et la déportation des juifs de Cracovie dans les camps de concentration d'Auschwitz et Belzec; il était alors accusé de complicité de meurtres d'au moins 37.600 personnes. Il fut pourtant acquitté par la Cour fédérale.
Motif ? L'intéressé savait que ces victimes étaient tuées pour cause de haine raciale, mais il affirmait n'avoir été animé par aucune haine, et prétendait n'avoir fait que suivre les ordres. Ces actes motivant les meurtres étaient désormais prescrits, selon la nouvelle version du paragraphe 50 du code de procédure pénale. Par la suite, la plus grande série de procès contre les anciens employés de sécurité du bureau du Reich, tourna court, enterrant 150.000 dossiers. Très peu de criminels du IIIe Reich furent punis à partir de ce moment là, si ce n'est uniquement ceux contre qui on pouvait prouver des motifs de meurtre; c'est-à-dire des comportements allant au-delà des exécutions d'ordres reçus...