Adaptation du roman du même nom paru en 1942 de l'écrivain hongrois Milán Füst, L'Histoire de ma femme est le nouveau film de la réalisatrice hongroise Ildikó Enyedi. L'Histoire de ma femme raconte les joies, les peines, les découvertes et les désillusions d'un couple atypique. Lui, Jakob, est capitaine au long cours néerlandais. Elle, Lizzy, est une mondaine parisienne. Leur histoire d'amour démarre dans les années 1920 sur un défi fou : Jakob fait un pari avec un ami dans café, celui d'épouser la première femme qui en franchira le seuil et cette femme c'est Lizzy, un être mystérieux, libre et indépendant.
Aujourd'hui en salle, le long-métrage est porté par un trio de choc : Léa Seydoux, Gijs Naber et Louis Garrel. AlloCiné avait pu s'entretenir avec la réalisatrice Ildikó Enyedi et l'acteur Gijs Naber au Festival de Cannes où le film était présenté en Compétition officielle.
AlloCiné : Ildikó, vous avez choisi d’adapter le roman de Milán Füst parce qu’il a eu une place majeure dans votre adolescence. Pourquoi vous a-t-il autant marqué ?
Ildikó Enyedi : C'est la philosophie qui s'en dégage, qui est universelle et qui repose sur des questions qui intéressent les adolescents. Et j'ai gardé cette curiosité d'adolescente. Ces questions sont importantes pour moi et je trouve que le roman les traite d'une merveilleuse manière.
Gijs, est-ce que vous avez lu le livre aussi ? Comment avez-vous façonné votre personnage ?
Gijs Naber : Pendant ma préparation, j'ai lu le livre et puis j'ai essayé de digérer l'histoire et de me familiariser avec le scénario, qui est proche du roman mais différent. Donc, oui, je l'ai lu et c'est une histoire merveilleuse. C'est la lutte de cet homme essayant de se débarrasser de ses démons et essayant de ne pas tout contrôler.
Est-ce que vous vous sentez proche de votre personnage et des réflexions qu'il peut avoir dans le film ?
Gijs Naber : À certains égards, oui. Comme l'a dit Ildikó, le film pose des questions universelles : Qui est-on vraiment dans une relation ? Comment trouver son but dans la vie ? Est-ce que vous êtes quelqu'un qui contrôle tout ou est-ce que vous êtes du genre à vous laisser porter ? Ce qui est drôle, c’est que j’ai incarné ce personnage à un moment dans ma carrière d’acteur où je me posais le même genre de questions.
Et même avant cela, on m'a demandé de jouer dans Casting, un court métrage d'un étudiant d'Ildikó,- ce que j'ai appris plus tard -, appelé Sándor Csoma pour ses examens. Et je me suis dit qu'il fallait que je me laisse aller sans avoir un but particulier et que je tente de nouvelles expériences. Et j'en suis très heureux parce que le court métrage est superbe et Ildikó l'a vu. Et maintenant, je me retrouve dans le film d'Ildikó, présenté au Festival de Cannes qui plus est. Quand j'ai découvert de quoi L'Histoire de ma femme parlait, je me suis dit qu'il arrivait au bon moment.
Outre le livre, quelles ont été vos inspirations pour le film, notamment sur l’esthétique très épurée ?
Ildikó Enyedi : En fait, comme nous sommes tout le temps dans l'esprit de ce protestant honnête et travailleur, nous avons opté pour une simplicité apparente, une sorte de transparence qui est en fait assez travaillé, notamment sur l’éclairage et la photographie, pour appuyer son point de vue. Dans le style, nous voulions quelque chose d'aussi simple que la vie du héros principal. Ça se retranscrit aussi dans son cargo, qui est en métal, bois et cordes et rien d'autre. C'était la force motrice de Marcell Rév, le directeur de la photographie.
C'est un film en sept chapitres, en sept leçons. Et disons que chaque leçon ouvre une nouvelle porte de perception sur la vie. Il y a des forces très égales en jeu au début et puis lentement, les rapports de force changent et Jacob comprend qu’il doit lâcher prise. Et j'espère que le public verra que le film est positif et qu’à la fin, tout le monde pourra se dire qu’il faut lâcher prise et se détendre.
En voyant le film, je me suis demandée si je pouvais être capable de me marier avec la première personne venue, qui entrerait dans une pièce. En seriez-vous capable ?
Gijs Naber : Je ne sais pas, mais c'est une bonne question (rires). C’est vrai que c’est un bon test pour savoir où vous en êtes dans la vie. Et je pense que dans ce film, il pense que c'est la seule chose à faire, épouser la première femme qui rentre dans la pièce car c’est une situation qu’il pense pouvoir contrôler. Et puis son monde s’effondre. Mais ce n’est finalement pas si différent d’un coup de foudre. C’est ce qui passe après qui importe, de savoir si deux personnes restent ensemble et comment elles font pour se comprendre, s’aimer et être en phase. Mon personnage lutte avec ce sentiment mais celui de Léa [Seydoux] aussi. Et il a commencé cette aventure juste comme une blague, mais cela l’a profondément changé. Donc je pense que ça peut nous arriver, pourquoi ne pas essayer des choses parfois et voir ce qu’il se passe ?
Ildikó Enyedi : Cela fait 32 ans que je suis avec mon conjoint et tout s’est passé très vite. En un soir, on parlait déjà d’avoir des enfants (rires).
Gijs Naber : Mais, vous savez, quand on commence à penser à ce qui pourrait arriver, alors on est perdu. Bien sûr, c'est que font naturellement les gens parce que se laisser aller et ne pas réfléchir aux conséquences après une grande décision est l'une des choses les plus difficiles à faire.
Ildikó Enyedi : Jacob, le personnage de Gijs, prend cette décision sur un coup de tête, sur un pari. Ce qui est tout de suite une grande surprise pour lui, c'est que c’est un joueur qui rencontre une joueuse. Donc, au début, c’est une sorte de pacte. Et puis, très vite, ça devient de plus en plus imprévisible et riche. Et cela ouvre de nouvelles portes, même si elles sont parfois douloureuses.
C'est un film en sept chapitres, en sept leçons. Et disons que chaque leçon ouvre une nouvelle porte de perception sur la vie. Il y a des forces très égales en jeu au début et puis lentement, les rapports de force changent et Jacob comprend qu’il doit lâcher prise. Et j'espère que le public verra que le film est positif et qu’à la fin, tout le monde pourra se dire qu’il faut lâcher prise et se détendre.
Comment s’est passé le tournage avec Léa Seydoux ? Est-ce que vous aviez déjà cette actrice en tête pour ce rôle ?
Ildikó Enyedi : Non, mais quand je l'ai rencontrée, - je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi -, j’ai senti une grande empathie, une grande énergie et un grand charisme. Le rôle est très différent de ce que Léa a pu faire auparavant et elle s’est ouverte directement à moi. Et c'était pareil avec Gijs. Je l’ai vu dans le court métrage dont on parlait avant et il y jouait un personnage très différent, en contradiction avec ce qu'il a à jouer dans L’Histoire de ma femme. À travers le film, j'ai vu deux personnalités complexes et intéressantes avec qui j’étais heureuse de partager cette expérience.
Et il y avait quelque chose de vraiment touchant chez eux et ça se ressentait pendant les répétitions. On avait besoin de répéter ensemble et puis séparément. C’était plus difficile pour Léa parce qu’on ne se place jamais du point de son personnage, on essaie de la capturer et de la comprendre à travers le regard de Jacob.
Gijs Naber : J’étais très enthousiaste évidemment à l’idée de tourner avec Léa, je connaissais son travail, notamment La vie d’Adèle, etc. J'étais donc vraiment ravi. Nous avons eu une bonne connexion dès le début grâce aux répétitions et aux conversations que nous avons eues. Nous étions aussi connectés à l’histoire, et ça passait par de grandes vagues d’émotions, comme cette scène où nous dansons et qui symbolise l’amour de nos personnages.
Et nous avions un environnement de tournage très chaleureux. Tout le monde se sentait à l’aise et en famille. À la fin, Léa et moi étions en larmes. Le voyage était dense mais incroyable.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 14 juillet 2021 à Cannes.