The Batman est dans la dernière ligne droite qui le sépare de nos salles obscures, où il sortira le 2 mars. Voici donc la dernière partie de nos entretiens avec l'équipe du film, qui évoque notamment la figure de l'Homme Chauve-Souris et les raisons qui font que sa cote d'amour est intacte. Et qu'il peut survivre et continuer de fasciner d'un reboot à l'autre.
Matt Reeves (Réalisateur, co-scénariste) : Batman est un personnage tenace, qui existe depuis plus de 80 ans. Il y a une raison pour laquelle il continue de résonner aujourd'hui, et je pense que cela tient beaucoup à sa capacité à s'adapter à l'époque dans laquelle nous vivons. Pour les besoins de l'histoire que je voulais raconter, je me suis replongé dans les premiers comic books pour voir d'où il vient. Bob Kane et Bill Finger l'ont créé avec une sensibilité noire.
Nous étions proches de la Seconde Guerre Mondiale [sa première apparition date d'un numéro paru le 30 mars 1939, ndlr] et c'est dans ce contexte que le film noir était né. Il y avait quelque chose dans la noirceur de ce récit, sur cette personne tentant de lutter contre la corruption et qui se débattait dans un monde imparfait, et c'est pour moi ce qui constitue le cœur de Batman. C'est ce qui le rend toujours pertinent et je voulais m'appuyer là-dessus.
Un aspect de l'histoire est incroyablement noir, avec un personnage au moins aussi important que Batman ou sa galerie de méchants : Gotham elle-même. Gotham est une métaphore de notre monde. C'est une ville corrompue où chacun cherche à parvenir à ses fins, et où il est difficile de déterminer ce qui est bien ou mal. Sur ce plan, le film est très actuel. Et vous pouvez différentes manières de dresser des parallèles entre Gotham et notre monde. À ceci près que Gotham a sa propre histoire et ses propres spécificités.
Gotham est une métaphore de notre monde (Matt Reeves)
Dylan Clark (Producteur) : Gotham est un lieu qui reflète nos sociétés. C'est la plus corrompue des villes, mais des éléments renvoient à la façon dont les nôtres sont gérées. Et beaucoup de choses se passent, dans le monde entier en ce moment, avec des élus, des troubles, des changements. La société actuelle est confrontée à des nombreux changements, et il nous a paru opportun de nous pencher sur un personnage dans une telle ville.
Le souhait de Batman est de se confronter aux choses qui doivent être affrontées, de combattre cette injustice. Il fait des choses très suspectes et sombres, et se présente ainsi comme un symbole de la peur qu'il évoque chez certains. Mais il est également un symbole d'espoir. Et le monde a besoin d'un Batman en ce moment.
J'ai le sentiment que nous sommes à un moment où l'on veut qu'un héros soit présent et s'impose. Qu'il n'ait pas peur de se confronter aux maux de la société. Et se transforme lui-même en symbole d'espoir. Nous sommes attachés à Batman dans la mesure où nous voulons tous bien faire les choses et lutter contre les injustices. Nous sommes également impressionnés car son super pouvoir est de réussir à supporter la douleur physique.
Il y a comme une transformation mythologique dans l'idée de voir ce personnage sans super pouvoir faire toutes ces choses et devenir cette créature intimidante et effrayante qui se fait appeler Batman. Et cela explique notamment la connexion avec le public, et sa cote d'amour qui dure depuis plus de 80 ans. C'est pourquoi nous sommes heureux d'avoir pu le montrer d'une nouvelle manière, avec cette idée de vengeance et du personnage qui joue les héros depuis deux ans, que l'on voyait déjà dans les comic books bien sûr.
The Batman n'est pas une origin story, et Bruce n'est pas non plus ce héros perfectionné qu'il devient ensuite. Il n'a pas encore compris tout de son rôle, et montrer sa colère nous paraissait intéressant. Comme dans cette première bande-annonce, lorsqu'il donne des coups supplémentaires à ce type et dit : "Je suis la vengeance".
Le film a alors paru inédit en matière de ton, et donné aux gens l'impression de ne jamais avoir vu le personnage ainsi, en pleine obsession. Notre but est bien évidemment de le sortir de cette situation pour qu'il devienne la lueur d'espoir que représente Batman. Mais c'est dans ce cheminement que notre film trouve sa spécificité.
RÉINVENTER LES PERSONNAGES AU CINÉMA
Zoë Kravitz (Selina Kyle / Catwoman) : J'étais à la fois excitée et nerveuse quand j'ai appris que j'avais le rôle. Peu importe le travail, je suis excitée lorsque j'en décroche un, mais là j'avais du mal à croire que cela arrivait. Et ce qui a vraiment été fou, c'est quand la nouvelle a été annoncée publiquement : j'avais oublié à quel point c'était important pour les autres gens aussi.
Mon téléphone n'arrêtait pas de sonner, et entre les appels, les mails et les textos. J'ai même fini par l'éteindre car c'était comme le jour de mon anniversaire. C'était même plus fou que le jour de mon anniversaire. Et c'est là que j'ai réalisé à quel point ce rôle était important. Pas seulement pour moi mais aussi pour le reste du monde. J'ai vécu quelques jours assez dingues.
Robert Pattinson (Bruce Wayne / Batman) : Il y a quelque chose de très beau ici, et c'est toujours le cas avec chaque série qui a survécu à son propre succès au fil des années, à savoir que chaque acteur qui a endossé le rôle a tout donné pour la saga. Il n'y a pas eu de période creuse, pas plus que Batman n'a été totalement réinventé, car tout le monde l'a toujours aimé. Mais chaque version a ses fans et c'est pour cette raison que j'ai toujours envie de demander aux gens qui est leur Batman ou leur James Bond préféré.
Chaque version est différente car chaque acteur y apporte quelque chose de spécifique. C'est un processus excitant lorsque vous découvrez ce que vous-même pouvez y apporter, et vous ne le savez jamais vraiment avant que le film ne commence.
Paul Dano (Edward Nashton / L'Homme Mystère) : J'ai eu la chance que cette version de l'Homme Mystère, rien que sur le papier, soit très différente de tout ce que j'avais vu ou lu auparavant. Car cela m'a donné beaucoup de liberté sur le plan créatif dès le début. Et c'est assez amusant que d'examiner toute cette énergie qui existe depuis plusieurs décennies dans les comic books. Je me suis amusé à me plonger dedans, y compris les comic books dont le film est proche et dans lesquels il n'y avait pas nécessairement l'Homme Mystère.
Il était toujours amusant et instructif de s'immerger dans l'ambiance de Gotham et l'énergie de Batman. Cela permet de comprendre leur importance et la raison pour laquelle il a eu cette place dans notre culture et la conserve depuis si longtemps. Pourquoi c'est un personnage que l'on peut continuer à réinterpréter. Ce qui est incroyable, c'est que le concept initial de Batman a tellement de potentiel qu'il peut continuer à être revisité, au cinéma comme sur papier.
Jim Carrey a été mon premier acteur préféré. J'étais obsédé par Ace Ventura, Dumb & Dumber ou The Mask, que j'ai vus en 1994, quand j'étais très jeune. Et au final il n'y a aucun point commun entre nos Batman et nos versions de l'Homme Mystère, si ce n'est que je suis un grand fan de lui.
Jeffrey Wright (James Gordon) : Nous avons beaucoup travaillé avec Matt Reeves et, dans mon cas, Robert Pattinson, pour raconter cette histoire. J'étais donc plus concentré sur ce que Rob faisait et sur ce que Matt voulait réaliser que sur ce que d'autres avaient fait avec mon personnage auparavant. Tout en étant conscient des films qui avaient été faits avant, bien sûr. Certains accents ici et là peuvent donc faire écho à quelque chose d'antérieur, ou en être complémentaire. Mais cela restait différent de manière globale.
Et comme Paul l'a dit pour son personnage, l'acteur qui jouait Gordon avant moi m'a énormément influencé. Je ne pense pas qu'un acteur m'ait autant passionné et influencé que Gary Oldman, surtout au début de ma carrière. Quand j'ai découvert Sid & Nancy, je l'ai vu comme une invitation à aller dans des zones où je n'avais pas été convié auparavant, en termes d'intensité et de disponibilité émotionnelle. J'adore l'idée de pouvoir reprendre les rênes de ce personnage. Car j'ai un énorme respect pour lui et je n'essayerais pas de copier ce qu'il a fait.
Le concept initial de Batman a tellement de potentiel qu'il peut continuer à être revisité, au cinéma comme sur papier (Paul Dano)
Zoë Kravitz : Il faut presqu'oublier que l'on joue des personnages qui ont déjà été vus auparavant. Et j'ai suivi ce processus dès le début et ce test d'alchimie avec Robert, que j'ai vu arriver dans ce costume [celui de George Clooney dans Batman & Robin, ndlr]. Il y a quelque chose de surréaliste, et moi je me dis "On est adultes et on fait quoi là ? On se déguise et toi tu es en Batman, mais on doit avoir une conversation sérieuse ?" Il faut réussi à dépasser cela.
Une fois que tu y parviens, tu peux vraiment vivre dans la peau du personnage. Ce qui était également intéressant, c'était de vivre cette période de Covid pendant que nous tournions et voir le désespoir dans lequel le monde était plongé : cela m'a aidée à me mettre dans la peau de cette femme qui observe ce qu'elle croit être sa ville, alors que le monde et la société tels que nous les connaissons s'effondrent.
Ses croyances aussi sont mises à mal, et il était également intéressant de s'inspirer de ce que nous avions vécu avec Donald Trump. Une fois ces enjeux élevés posés, il est plus facile de laisser le reste de côté et se focaliser sur ce dont les personnages ont besoin à un moment précis.
UN BATMAN ACTUEL… DONC POLITIQUE ?
Peter Sarsgaard (Gil Colson) : Chaque élément de notre vie quotidienne est politique, donc le film l'est évidemment. C'est le filtre à travers lequel nous abordons plusieurs aspects de notre vie, donc nous ne pouvons pas l'éviter. The Batman n'est pas non plus enlisé dans la politique. C'est juste que plusieurs personnages, dont le mien, qui travaillent pour le gouvernement ou les pouvoirs publics d'une manière ou d'une autre servent deux maîtres. Et ce ne sont pas nécessairement les personnes que vous voudriez voir à ces postes.
John Turturro (Carmine Falcone) : Pour pouvoir diriger quoi que ce soit, vous le savez, il faut négocier, faire des compromis. Et les gens qui obtiennent du pouvoir ou qui le prennent finissent par être corrompus d'une manière ou d'une autre, à force de vivre avec. Surtout ceux qui vivent avec depuis longtemps. Et l'histoire est presque toujours la même dans les grandes villes : il y a toujours ces éléments en coulisses, et de la corruption car les gens sont avides et ne font peut-être pas assez d'argent.
Sans compter le fait que les gens sont des parasites, et prennent des choses aux autres. À l'origine, les Batman étaient des bandes-dessinées policières, lorsqu'elles sont parues à la fin des années 30. Il y avait alors beaucoup de gangsters car ils étaient très importants à l'époque. Puis le film noir est arrivé après la Seconde Guerre Mondiale, et les comic books ont également changé en fonction de l'époque.
Peter Sarsgaard : Oui et dans ces films, il n'y avait pas nécessairement de bons et de méchants entre les policiers, les membres du gouvernement et tous ces personnages. Nous étions plus dans un entre-deux, avec du bon et du mauvais en chacun. C'est dans ces eaux que naviguent les personnages.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 décembre 2021