S'attaquer à Batman sur grand écran, c'est l'assurance d'être observé de très près par des fans très exigeants (Michael Keaton et Ben Affleck, très vivement décriés lorsqu'ils ont été choisis, en savent quelque chose). Et nombreux sont les éléments attendus de pied ferme : l'interprète de l'Homme Chauve-Souris, son costume, sa voix, sa Batmobile, l'approche humaine et visuelle du réalisateur…
Sans oublier sa vision de Gotham City, qui fait souvent figure de note d'intention. Gothique chez Tim Burton, fluo chez Joel Schumacher, réaliste chez Christopher Nolan, la ville de Bruce Wayne se paye un nouveau ravalement de façade grâce à Matt Reeves. Et dans la seconde partie de nos entretiens avec l'équipe de The Batman, place aujourd'hui à la création de l'univers dans lequel évolue Robert Pattinson. Qui nous fait une révélation très surprenante.
BIENVENUE A GOTHAM CITY
Robert Pattinson (Bruce Wayne / Batman) : 90% du film ont été tournés en studio, mais les décors étaient incroyablement immersifs. Environ huit pâtés de maisons de Gotham City ont été construits dans les studios de Leavesden [en Angleterre, près de Watford, où ont été tournés les Harry Potter notamment, ndlr], et il est presqu'impossible de le savoir si on ne vous le dit pas. Surtout qu'il y avait une ligne de chemin de fer et plein d'autres choses de ce style.
C'était un plateau très très complet. Très bien découpé. Vous aurez du mal à croire qu'il s'agit de décors de studio quand vous verrez le film. Mais c'est pourtant le cas. À tel point que les membres de l'équipe technique, qui étaient anglais, se sont mis à parler avec un accent américain car on avait l'impression d'être dans une grande rue de Gotham (rires) Mais c'est tellement plus facile de travailler ainsi : vous arrivez sur le plateau, et vous n'avez pas à imaginer les décors. Il y avait très peu de fonds verts, et nous avions également cette nouvelle technologie.
Zoë Kravitz (Selina Kyle / Catwoman) : Les écrans LED ! C'est notre chef opérateur Greig Fraser qui a inventé cette technologie [le Volume, ndlr] sur la série Star Wars The Mandalorian. Et c'était incroyable. Notre travail le plus difficile, en tant qu'acteurs, est de faire face à un fond vert et faire croire qu'une chose en est une autre. Cela demande beaucoup d'énergie que de faire croire que quelque chose se produit, alors que ce n'est pas le cas. Vous vous sentez même un peu bêtes, et cela vous retient presque.
Robert et moi partageons une scène sur les toits de Gotham alors que le soleil se couche. Le fait de pouvoir voir et ressentir la ville, et avoir la lumière, c'était… Oh mon Dieu ! J'en étais très reconnaissante car ça nous a vraiment permis de nous concentrer sur ce qu'il se passait sur le plan émotionnel, au lieu de se dire "Tu es face à un gratte-ciel, il y a un gratte-ciel en face de toi" (rires) On en oublie presque l'effet de la lumière sur nous, à tel point que chaque détail, comme des oiseaux, est incroyable. Ça a rendu le monde du film plus réel.
John Turturro (Carmine Falcone) : Lorsque je regardais par la fenêtre d'un décor de bureau ou de cachette, voir toutes ces projections qui avaient l'air aussi réelles m'a impressionné. Je n'avais jamais été sur un plateau comme celui-ci. J'ai été sur beaucoup de plateaux, et je pensais qu'il serait facile pour moi d'imaginer le monde en-dehors des décors. Mais c'était impressionnant.
Peter Sarsgaard (Gil Colson) : Il y a des décors massifs, et le fait d'entrer dans une cathédrale, c'est quelque chose. Mais ce qui change tout, c'est quand vous montez et découvrez le niveau de petits détails dans une chose aussi grande. Tout est très joliment fait, et avec beaucoup de précision. C'était à couper le souffle, tout le temps.
Nous sommes tellement habitués à voir des effets visuels que nous supposons que presque plus rien n'est réel (Matt Reeves)
Matt Reeves (Réalisateur, co-scénariste) : Je voulais que l'on croit à ce qu'il se passe à l'écran. Et j'ai toujours cherché à utiliser un maximum d'effets pratiques. Sur La Planète des singes, nous avons fait en sorte de sortir les caméras, pour tourner à des endroits où la motion-capture n'avait pas été utilisée : sur le premier [réalisé par Rupert Wyatt, ndlr], tout était très mis en scène avec un éclairage cinématographique, donc j'ai eu envie de lumière naturelle, et nous sommes allés en forêt.
Cela ajoutait un niveau de réalité même si, bien sûr, il n'y avait aucun singe sur place. Mais il y avait beaucoup de choses réelles dans le cadre. Et c'est une approche que j'ai essayé d'appliquer ici, comme je l'avais fait sur Cloverfield, où la base de chaque chose était réelle, même s'il y avait quelque chose de virtuel dans le plan. Cela nous permettait d'avoir une référence.
SENS PRATIQUE
Matt Reeves : Dans The Batman, il y a un mélange incroyable de choses que nous avons pu faire, comme les cascades ou les explosions, et de choses qui nous étaient impossibles. Et j'espère que ce mélange créé un niveau de crédibilité et de réalité. Nous sommes tellement habitués à voir des effets visuels que nous supposons que presque plus rien n'est réel. Et je trouve ça fou que l'on parte de ce principe !
Je voulais notamment faire une poursuite très réaliste avec la Batmobile, dont vous avez eu un aperçu dans la seconde bande-annonce. Je la voulais réaliste à 100%. Mais il y a des choses que nous ne pouvions pas vraiment faire lorsque le scène arrive à son apogée, sinon des gens seraient morts (rires) Nous avions des caméras solidement fixées aux véhicules, comme si nous étions dans Bullitt avec Steve McQueen, où la caméra ne fait rien que lui ne peut pas faire.
Et, pour moi, la Batmobile est un emblème de vengeance. Presque comme dans un film d'horreur tel que Christine de Stephen King [adapté par John Carpenter au cinéma, ndlr], où elle créé elle-même la terreur. Je voulais qu'elle puisse sauter à travers le feu, et c'est une image que vous voyez dans la bande-annonce : lorsque le Pingouin regarde dans son rétroviseur et que la voiture saute à travers le feu. Je pensais que cela ne pourrait être fait qu'avec des effets numériques.
Mais lorsque nous avons commencé à travailler dessus avec Dominic Tuohy et Robert Alonzo, mes responsables en matière d'effet visuels et physiques, et de cascades, ils m'ont dit que c'était faisable en vrai. Et nous l'avons fait. Ce plan est réel ! Mais ça me fend le cœur de me dire que nous avons vraiment fait cette cascade, et que les gens vont supposer qu'il s'agit d'effets numériques. Même si le plan se trouve au milieu d'une séquence pleine d'effets spéciaux.
C'est ce que je trouve amusant dans le fait de réaliser des films : parvenir à faire en sorte que lorsque vous le regarderez, vous n'ayez aucune idée que certaines choses résultent d'effets visuels. Et que, à l'inverse, les spectateurs vont penser que des choses réelles sont des effets spéciaux. C'est ce qui est amusant : vous faire croire que tout est réel.
BATMAN FACE AU COVID
Dylan Clark (Producteur) : Notre manière de tourner a été la même que sur La Planète des singes. Nous n'aimons pas être uniquement dans des décors. Nous aimons également être dans des espaces physiques, en extérieur. Et c'était notre plan initial ici : nous avons tourné à Liverpool, autour de Londres, à Chicago… Et c'est devenu beaucoup plus compliqué lorsque le Covid s'est répandu. Nous ne pouvions plus emmener toute l'équipe sur ces lieux, pour des raisons de sécurité, car ne ne savions pas comment tout contenir. Donc nous avons adapté notre manière de tourner.
Et nous avons fait davantage de studio après l'interruption du tournage. Nous avons tourné de janvier à mars 2020, puis repris en août de la même année, en changeant certaines méthodologies. Heureusement, nous avions une équipe incroyablement créative et nos acteurs sont extraordinaires. Résoudre le moindre problème sur le tournage est un travail généralement dévolu à un certain nombre de personnes. Avant le Covid, tous ces gens se réunissaient sur le plateau pour trouver une solution. Avec la pandémie, ça a changé.
Nous avons pu y parvenir, mais c'était plus compliqué. Nous devions nous isoler davantage, la communication se faisait plus souvent grâce à des casques audio. Et nous sommes des personnes sociables par nature donc, normalement, nous nous réunissons, nous nous secouons les uns les autres et nous résolvons des problèmes. Devoir le faire dans nos tentes, isolés, était plus difficile, mais nous devions en passer par là car, au final, il fallait s'assurer que l'environnement était assez sûr pour que les acteurs puissent retirer leurs masques et se perdre dans leurs personnages respectifs, sans s'inquiéter de tomber malades.
Matt Reeves voulait que tout soit vivant pendant la durée de la prise. Que tout se joue en même temps, de façon à ce qu'il puisse utiliser chaque élément (Peter Sarsgaard)
Peter Sarsgaard : Pendant le tournage, nous avions tous ces trucs à cause du Covid : des lunettes de protection, une capuche, un masque… Ce qui rendrait normalement la communication quasi-impossible avec votre réalisateur. Mais nous avions affaire à quelqu'un d'obsessionnel. Vraiment. Pas dans une volonté de tout contrôler et de chercher à ce que les choses soient telles qu'il les avait imaginées. Il faut que cela vive devant lui. Que tout se joue en même temps, de façon à ce qu'il puisse utiliser chaque élément.
Évidemment, je ne dis pas qu'il y a un million de plans-séquences dans lesquels tout se joue pendant cinq minutes sur un seul plan. Mais Matt voulait que tout soit vivant pendant toute la durée de la prise. C'est intéressant car j'ai le sentiment que le réalisateur me lance un défi, et ça me permet de me concentrer activement que de savoir que quelqu'un me regarde vraiment.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 décembre 2021