Los Lobos de Samuel Kishi Leopo
Sortie en salles le 19 janvier 2022
Max, 8 ans et Leo, 5 ans quittent le Mexique pour s'installer à Albuquerque avec leur mère Lucia à la recherche d'une nouvelle vie. En attendant le retour de leur mère chaque soir, qui travaille sans relâche, Max et Leo observent leur nouveau quartier par la fenêtre. Ils doivent apprendre l'anglais sur des cassettes. La condition imposée par leur mère si ils souhaitent un jour réaliser leur rêver: aller à Disneyland ...
AlloCiné : Dans ce film, vous racontez votre histoire, et celle de votre mère et de votre frère. Quels souvenirs gardez-vous de cette période de votre vie ?
Samuel Kishi Leopo (réalisateur) : Le souvenir le plus vif que je garde de cette époque reste le son de la voix de ma mère à travers un magnétophone. Tout le film est un exercice de mémoire : quand j'avais cinq ans, ma mère a quitté mon père et s'est exilée avec mon frère de trois ans et moi aux États-Unis pour tenter de se construire une nouvelle vie. Nous avons traversé la frontière avec nos visas touristiques déclarant que nous allions à Disney. Ma mère est arrivée sans travail, sans logement et aucune connaissance de l'anglais. Nous avons apporté avec nous le strict minimum, quelques jouets et un enregistreur audio.
Quand elle a enfin trouvé un travail, elle a été obligée de nous laisser seuls dans un petit appartement qu'elle avait loué dans un quartier difficile de Santa Ana en Californie, et décidé d'enregistrer des histoires, des cours d'anglais, des jeux, des règles de la maison, etc. sur la bande audio pour que nous écoutions tout ça. Mon frère et moi appuyions sur le bouton de lecture pour écouter notre mère et bientôt cela nous a amené à imaginer plein de choses à partir de ces enregistrements alors que nous attendions son retour. Plus tard, nous avons également commencé à nous enregistrer nous-mêmes, et cet appareil est devenu un outil de communication entre nous trois.
Etait-ce difficile de replonger dans cette période de votre vie ?
Réinterpréter et assimiler en tant qu'adulte ce que j'ai vécu en tant qu'enfant migrant était une partie difficile du processus, surtout en réalisant ce que ma mère a dû traverser pour nous garder à flot pendant les pires moments. Un autre aspect difficile était de parvenir à garder une certaines distance avec ma propre histoire, assez pour laisser les personnages s'épanouir et le film prendre vie dans ses propres termes. Le travail des co-scénaristes Sofía Gómez Córdova et Luis Briones a été crucial dans ce processus. Leur travail a été essentiel pour façonner les souvenirs et les intégrer à un film.
Comment avez-vous choisi vos deux jeunes acteurs, et comment avez-vous travaillé avec eux ?
Nous avons fait des castings dans différentes villes du Mexique : nous avons vu environ mille enfants, et en avons gardé six pour des ateliers de comédie et d'improvisation. Maximiliano Nájar Márquez et Leonardo Nájar Márquez s'y sont démarqués : en plus d'être des enfants talentueux et sensibles, il s'est avéré (miracle de production) qu'ils sont frères dans la vraie vie. Nous avons beaucoup mis l'accent sur la relation entre les acteurs. Martha, Max et Léo ont répété pendant plusieurs mois et nous avons beaucoup travaillé pour instaurer de la confiance. Nous avons également impliqué les parents des enfants dans le processus, et leur aide était essentielle car ils nous ont ensuite donné l'autorisation pour que Martha et les enfants vivent ensemble quelques semaines en famille.
Pendant tout le processus, Martha et moi avons préparé et pratiqué l'improvisation ainsi que des exercices de jeu avec les enfants. Plus tard, la célèbre coach Fátima Toledo a rejoint le processus et nous avons travaillé avec elle pendant environ un mois. Par dessus tout, je pense que l'enjeu majeur dans le cadre des répétitions et du tournage était de toujours être honnête dans nos émotions, de faire comme nous les ressentions et de les laisser couler à partir de là. Jouer la comédie c'est jouer, et les enfants sont des professionnels du jeu.
Martha Reyes Arias est très émouvante dans le film. Elle incarne le courage, la force, la résilience, mais aussi la solitude et la tristesse de toutes ces femmes qui ont tenté de trouver une meilleure vie aux Etats-Unis. Comment avez-vous travaillé avec elle ?
Martha a donné à Lucía la profondeur et le réalisme qui manquaient encore dans les premières ébauches du scénario. Elle a dit qu'elle voulait construire le personnage d'une vraie femme, pas une "maman de publicité". Nous avons travaillé ensemble avec cet objectif en tête dès les répétitions. Elle m'accompagnait en repérages, et nous interrogions les femmes migrantes de la communauté. C'était un acte d'empathie très émouvant. Pendant que nous tournions le film, elle a travaillé pendant ses jours de congé à la même blanchisserie industrielle où travaille son personnage, et elle s'est intégrée parmi les femmes qui y travaillent. Elle a préparé son corps à la fatigue de son personnage avec de longues séances d'exercice et des promenades dans la ville (nous avons toujours pensé que Lucia parcourait de longues distances pour économiser de l'argent sur le transport). Sa vision a nourri la mienne et toutes ses contributions aux répétitions avec les enfants ont eu un effet sur l'écriture du scénario.
A travers elle, c'est une manière de rendre hommage à votre propre mère ?
C'est le cas, et je lui en suis très reconnaissant. Martha m'a aidé à faire cet hommage et à écrire cette lettre d'amour à ma mère et aux nombreuses femmes migrantes pleines de courage.
Le film pointe la question du prix à payer pour "une vie meilleure". Est-ce que cette vie précaire sur le sol américain est meilleure que celle laissée derrière soi, au Mexique ?
Il y a deux phrases de la prière du migrant qui m'émeuvent à chaque fois que je les lis : "Arriver n'est jamais définitif" et "Partir c'est mourir un peu". Comme beaucoup de migrants, nous fuyons la violence, à la recherche d'une vie meilleure. La migration est pleine de douleur mais aussi d'espoir. Certes l'endroit où nous sommes arrivés n'était pas "la terre promise" mais nous étions ensemble et c'était ce qui comptait le plus.
Tout le film se passe quasiment dans cette petite pièce. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie pour créer tout un univers entre ces quatre murs ?
En cohérence avec l'histoire, nous avons essayé de l'aborder du point de vue des enfants. Ils sont la colonne vertébrale de notre histoire. Le défi était de créer le monde des enfants à l'intérieur de l'appartement. De sentir leur isolement mais, quand ils commencent à imaginer, de sentir un grand espace plein de fantaisie. Toutes nos ressources visaient à créer ce regard particulier sur l'enfance, pour lequel nous avions besoin d'avoir une liberté de mouvement sans être empêchés par une caméra lourde pleine de gadgets. C'est pourquoi nous avons choisi l'Alexa mini, une petite caméra qui nous a permis d'avoir une bonne mobilité pour jouer avec les enfants.
Le choix de l'optique a lui aussi été central afin de trouver la bonne esthétique. Nous voulions transmettre l'idée de nostalgie, créer un sentiment de souvenir. Nous avons décidé d'utiliser des lentilles anamorphosées parce que nous recherchions la distorsion qu'elles offrent, les imperfections susceptibles de recréer ce sentiment de nostalgie tout en nous permettant de mettre en évidence des points spécifiques dans le cadre.
La récompense, du moins le but des deux enfants, est d'aller à Disneyland. Est-ce que ça a été la même chose pour vous étant enfant ? Est-ce que vous avez pu y aller ? Quel souvenir en gardez-vous ?
C'est vrai, ma mère nous a aussi promis qu'elle nous emmènerait à Disney, et elle l'a fait ! Elle a réussi à nous emmener ! Ironiquement, je ne me souviens presque rien de cette visite, mais il y a quelques photos dans un vieil album de famille qui témoignent que c'est arrivé. Ce dont je me souviens le plus, ce sont les jeux avec le magnétophone et ma mère nous lisant des histoires après une dure journée de travail. C'était notre "Disney".
Que signifie le titre de votre film, "Los Lobos" ?
Le film s'appelait à l'origine "The Winds of Santa Ana", mais en raison de problèmes budgétaires, nous ne pouvions pas tourner à Santa Ana, en Californie, donc ce titre n'avait plus de sens. Au moment où nous écrivions le film, je me souviens que je lisais le livre Je pensais que mon père était Dieu de l'écrivain Paul Auster. Il y avait une phrase qui disait "Nous sommes tous des animaux blessés" : cela m'a profondément touché et j'ai commencé à imaginer Lucia, Max et Leo comme une famille de loups à la recherche d'un abri où panser leurs blessures et guérir. Pendant les répétitions aussi, nous avions l'habitude de faire un exercice où les enfants et Martha faisaient semblant d'être des animaux sauvages et ils finissaient toujours par jouer les loups en défendant leur domicile. Et c'est précisément ce que font les personnages du film : ils construisent et défendent une maison.