Dans Manipulations, nouvelle série de France 2 diffusée ce soir à partir de 21h10, Maud (Marine Delterme), une femme accomplie sur le plan professionnel et familial mais esseulée dans sa vie affective, fait la rencontre de Mathias (Marc Ruchmann), un homme en apparence idéal. Mais bien vite, ce dernier va se révéler être un pervers narcissique, et manipuler Maud pour l'isoler de ses proches...
Pour Anne Didier, responsable de la fiction chez France Télévisions, ce phénomène de société ne date pas d'hier, mais il est de plus en plus souvent abordé, et de nombreux témoignages de femmes confirment l'existence d'une relation toxique à un moment de leur vie. Pour le diffuseur, il était important de s'emparer de ce sujet avec une série qui ait du fond tout en restant divertissante, "ni glauque ni pesante".
Initiée par le duo de scénaristes Jeanne Le Guillou et Bruno Dega (Gloria, A l'intérieur) et la société de production Storia TV, Manipulations est une série menée par ses personnages, à la fois addictive et surprenante et jouant avec les codes du thriller, avec des références à des films comme Liaison Fatale, "tous ces thrillers des années 1990 où le scénario était roi" commente Le Guillou.
Une mécanique d'emprise très répandue
Le thème de la manipulation affective était un sujet qui tenait à coeur aux deux scénaristes, pour des raisons personnelles mais aussi suite à la découverte d'un documentaire diffusé sur France 2 en 2018, Les pervers narcissiques, une violence invisible.
"Ce qui était fascinant, c'est que toutes les femmes qui témoignaient étaient d'origines sociales différentes, d'âges différents, et ce qu'elles racontaient était tout le temps le même schéma", explique Jeanne Le Guillou. "Souvent, ce sont des femmes accomplies qui réussissent dans leur vie professionnelle, qui sont autonomes financièrement... Et dont l'entourage ne peut pas imaginer une seconde qu'elles puissent être à la merci d'un homme."
Du côté de leurs agresseurs, des profils d'hommes souvent séduisants, charismatiques, mais qui, quand on gratte un peu la surface, ne se sont pas accomplis dans leur vie. "Ils se perçoivent eux-mêmes comme des espèces de losers, et vont aller vampiriser ces femmes accomplies dont ils ont d'emblée perçu la faille, et ils vont justement s'accrocher à cette faille pour les détruire et les déstabiliser."
Une destruction psychique qui fonctionne toujours selon le même processus : les victimes sont progressivement éloignées de leur entourage par leurs bourreaux afin de les isoler, et de leur faire subir ce qu'ils veulent dans l'ombre de l'intimité. "Ces femmes ont mis des années à se sortir de cette emprise. Quelquefois, il y a de la violence qui se rajoute à ça, mais une des femmes disait que les mots sont parfois plus forts que les coups", souligne la scénariste.
"Cette série, c'était une autre façon pour nous de montrer les violences faites aux femmes, et cette espèce de zone grise autour du consentement qu'on voit aujourd'hui surgir dans tous les témoignages, y compris en ce qui concerne les viols : on ne dit pas non, on se laisse faire... Un truc encore flou qui, je le pense, va être acté dans la législation bientôt."
Pour Bruno Dega, il était également important de ne pas montrer une héroïne qui puisse être dénigrée par le spectateur pour ses actions, mais au contraire de faire en sorte que celui-ci puisse se dire que lui aussi aurait pu tomber dans le piège de Mathias. "On démontre tout ce processus petit à petit : comment quelqu'un d'intelligent peut en arriver à se laisser détruire par quelqu'un."
Comprendre le système de pensée du bourreau
Le personnage de Marc se place lui-même en victime face à Maud, en prétendant souffrir d'une maladie traumatique. "Avec Marwen, on a beaucoup travaillé sur le fait de ne pas jouer un méchant. Il ne fallait pas vulgariser ce type de personnage et au contraire, le jouer très premier degré", renchérit Marc Ruchmann. "Tout ce qu'il traverse, tous ses mensonges, notamment sur ses traumatismes déclenchés dans ses reportages, il fallait rendre le personnage crédible et qu'on ait un tant soit peu d'empathie pour lui."
Pour le comédien, le fait de travailler sur ce type de personnages invite à l'auto-réflexion. "On fait toujours des parallèles avec notre quotidien ; on fait un peu plus attention à ce genre de rapports, à ces petites phrases en apparence anodines... Forcément, on se pose plein de questions, et on est obligés de faire attention aujourd'hui à ce genre de situation parce que ça peut nous échapper."
Pour les deux scénaristes, Mathias est un bourreau qui croit à son propre système, à l'instar de nombreux pervers narcissiques. "Ils sont pleinement mythomanes. Ils se sont construits une image, un personnage, et il faut qu'ils en soient convaincus. Ils ne sont pas en face d'eux-mêmes, ils sont dans un rôle de l'ordre de la survie. Dès qu'ils sentent qu'ils pourraient être démasqués, ils rebondissent et trouvent une porte de sortie. Ils déploient une énergie folle pour rester en place."
D'où une certaine impression d'identité vide, de creux derrière la facade. "J'ai eu l'impression, à un moment donné, de travailler deux personnages", se remémore Marc Ruchmann. "En allant tourner la scène de fin du dernier épisode, j'ai dit au réalisateur que j'allais jouer le vrai Mathias, mais je ne l'avais pas encore abordé, ce personnage, uniquement celui qu'il s'invente ! D'un coup, il fallait trouver le vrai personnage, celui qu'il est sans son masque."
S'engouffrer dans les failles
Ce processus de manipulation très insidieux vécu par l'héroïne surgit après une première période de rencontre idyllique avec Mathias, où tout semble parfait. "J'appelle ça la phase de l'éblouissement", ironise Marine Delterme. "La personne arrive et veut vous sauver, elle déclare être la seule à vous comprendre, à vous aimer... Plus cette phase est éblouissante au départ, plus c'est dur de se défaire de cette relation."
Jeanne Le Gillou renchérit : "la personne se rend indispensable. À partir du moment où il a fait ça, c'est impossible de le déloger, voire même impossible d'envisager qu'il puisse vous faire du mal."
Une situation que Marine Delterme a malheureusement expérimenté dans sa vie, lors d'une relation similaire. "Je connais très bien cette situation pour l'avoir vécue moi-même, pendant très longtemps ; donc je sais exactement de quoi on parle. J'ai voulu jouer ce rôle, pas parce que je l'avais vécu, mais parce que je trouvais le scénario extrêmement bien écrit. J'ai reçu ce projet comme un cadeau."
Aux côtés de Marc Ruchmann, qu'elle décrit comme "l'homme le plus gentil et bienveillant au monde", tous deux ont été dirigés avec finesse par le réalisateur Marwen Adballah, qui a su les mettre en confiance dès les premiers rendez-vous de préparation.
"Il nous a vraiment accompagnés et pris par la main, quasi comme un psychologue, il nous a protégés lors du tournage qui s'est déroulé dans l'ordre chronologique, et où chaque semaine nous descendions un palier de plus vers l'enfer" s'amuse l'actrice. Chaque épisode fait monter crescendo le degré de violence de Mathias, qui n'a d'égal que l'habileté des méthodes de déstabilisation qu'il emploie.
En découvrant que la mère de Maud souffre de la maladie d'Alzheimer et que celle-ci craint d'en hériter, il va déplacer des objets de leur domicile dans son dos, cachant par exemple son sac à main dans un placard de la cuisine pour qu'elle pense être en train de perdre la tête. "On se rend compte à quel point, finalement, c'est simple de manipuler quelqu'un."
Pour Jeanne Le Guillou, cela réside aussi dans le fait de dénigrer la parole de la victime, en la remettant constamment en cause et en la faisant culpabiliser. "C'est dire à l'autre, dès qu'elle s'énerve ou dès qu'elle a un sursaut de lucidité : 'mais ma pauvre, tu es complètement folle.' Dès qu'elle ose parler, elle est qualifiée de folle ou d'hystérique."
Mais son tortionnaire se rachete constamment en se confondant en excuses et en promesses de changement qui font douter Maud de ses reproches. "Une gifle, une caresse" résume Marine Delterme. Des coups invisibles forcément plus difficiles à déceler, y compris pour l'entourage.
"Souvent, les personnes qui sont victimes de ce type de relation doutent en permanence, et n'arrivent pas à identifier ce qu'elles sont en train de vivre, étant donné que leurs bourreaux soufflent le chaud et le froid. Si des femmes qui nous regardent sont en train de vivre une relation comme ça, la série va peut-être les aider à regarder leur relation autrement", conclut la scénariste.