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    Les Meilleures : un premier film sur l'homosexualité dans un quartier populaire de Paris à découvrir
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Sortie ce mercredi des Meilleures, premier long métrage de Marion Desseigne-Ravel, qui raconte l'histoire d'amour de deux jeunes femmes dans le quartier de la Goutte d'or à Paris. Nous avons rencontré sa réalisatrice et scénariste.

    Le synopsis : Sur un mur de mon quartier, on a tagué : Le premier qui tombe amoureux a perdu. C'est vrai. Parce qu’après, tout le monde parle sur toi et t’es à la merci. J’ai perdu. Je suis amoureuse d’une fille, je ne sais pas quoi faire…

    Les Meilleures
    Les Meilleures
    Sortie : 9 mars 2022 | 1h 21min
    De Marion Desseigne-Ravel
    Avec Lina El Arabi, Esther Rollande, Kiyane Benamara
    Presse
    3,4
    Spectateurs
    3,4
    louer ou acheter

    AlloCiné : Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre premier long métrage Les Meilleures ?

    Marion Desseigne-Ravel, scénariste et réalisatrice : J'habitais à la Goutte d'or qui est un quartier populaire du Nord Est de Paris. En bas de chez moi, il y avait une association qui proposait de l'aide aux devoirs et qui cherchait des bénévoles. Je me suis retrouvée dans cette association, au départ, un peu par hasard, et j'ai adoré cette expérience. J'y suis restée 6-7 ans. J'ai accompagné toute une génération d'ados qui quand je les rencontre sont en 6ème-5ème, et quand je décide d'arrêter, c'est parce qu'ils ont passé leur bac. Leur vie a pris un autre parcours et donc j'ai passé beaucoup de temps dans cette association, avec ces jeunes, à les voir grandir, à parler avec eux, à être dans les échanges et à m'imprégner aussi de leurs codes.

    C'était pendant la période du mariage pour tous, et pour la petite histoire, ce qui était amusant était que les militants de la manif pour tous venaient tracter à côté de l'association. Je ne sais pas pourquoi. Ils pensaient peut être qu'il y allait y avoir une espèce de convergence des luttes entre les cathos réactionnaires et les musulmants pratiquants, qu'ils allaient tous manifester ensemble. Cela n'a pas eu lieu, mais en tout cas, ils venaient tracter très assidûment, et les gosses arrivaient au cours de soutien scolaire avec des tracts et en parlant de ça.

    L'envie du film est née de là : comment aurait lieu cette histoire d'amour si on la racontait dans ce quartier ?

    Je me souviens d'une séance où l'on n'a pas du tout fait d'anglais, de maths, ou quoi que ce soit... Nous avons parlé que de ça, parce que ça les avait beaucoup interpelés. Leur première réaction à chaud, c'était une réaction de rejet, d'avoir des mots très durs sur l'homosexualité qu'ils condamnaient, et de dire 'chez nous, ça n'existe pas. C'est un truc de blancs, nous, on n'est pas comme ça'.

    Moi, à ce moment là, j'étais en couple avec une femme donc je leur ai dit, et on a commencé à avoir un dialogue. Avec le temps, on a pu créer une sorte d'espace de dialogue, et bien évidemment, ce n'est pas une surprise, mais je me suis rendue compte que s'il y en avait certains qui étaient traversés par des désirs homosexuels, ils ne savaient pas quoi faire et comment cela pouvait trouver cette place. L'envie du film est née de là. Comment aurait lieu cette histoire d'amour si on la racontait dans ce quartier que je connais, avec ces jeunes que je connais. 

    Avez-vous ensuite retrouvé ces a priori dont vous parlez en voulant faire le film, créer une équipe ? Avez-vous rencontré des  difficultés pour pouvoir mettre en place ce projet ?

    J'ai envie de dire oui et non. Cela a été très contrasté. J'ai eu des rencontres hyper fortes comme Lina El Arabi. Lina a vraiment porté le sujet du film sur ses épaules et elle a vraiment embrassé la cause entre guillemets. Toutes les personnes qui ont fini par faire ce film ont été à 100% convaincues par sa nécessité.

    Et à l'inverse, j'ai proposé le rôle de Dina à de nombreuses comédiennes qui l'ont décliné pour plein de raisons. J'ai mis beaucoup de temps à trouver. Elles me disaient qu'elles étaient mal à l'aise parce qu'il y avait une scène de sexe, qui est très pudique, mais qui existe. Je voulais qu'elles s'embrassent et que ce ne soit pas du chiqué. 

    Je m’attendais à ce que ça soit difficile, mais je ne m’attendais peut être pas à ce que ça le soit autant.

    Je me disais dès le casting qu’il y aurait ça. J'ai rencontré des actrices qui étaient mal à l’aise avec ça, des actrices pas forcément mal à l’aise mais qui avaient peur que leur famille ne les soutiennent pas dans ce choix. Enfin, pour le rôle de la petite sœur qui est mineure, j’avais besoin de l’autorisation des parents des comédiennes, j’ai aussi eu pas mal de parents qui m’ont dit : 'non, je ne veux pas que ma fille participe à cette aventure'. Donc, ça a mis du temps oui.

    Je m’attendais à ce que ça soit difficile, mais je ne m’attendais peut être pas à ce que ça le soit autant. Mais à chaque difficulté, je me disais : ça veut dire qu’il faut le faire. On doute toujours quand on écrit de la pertinence que ça va avoir, mais ça montre à quel point ce n’était pas si évident que ça. Cela pouvait créer du dialogue dès la préparation. Cela m’a convaincu qu’il fallait continuer. 

    Toujours à propos d'a priori, celui que d'aucuns pourraient avoir sur votre film est ce que l'on pourrait appeler le "white gaze" ("regard blanc"). C'est un sujet qui revient régulièrement dans l'actualité, qui a notamment été soulevé autour de la sortie des écrits d'Amanda Gorman et de leur traduction française. Est-ce que la question de la légitimité est une interrogation que vous avez eu personnellement ou qu'on a peut être pu vous poser au cours de la mise en place de film ?

    Je me la suis posée à titre personnel. J’ai pas mal lu sur le sujet parce que c’est compliqué effectivement. A aucun moment je n’ai voulu avoir une position surplombante. J’en ai conscience : je ne suis pas maghrébine, je n’ai pas grandi à la Goutte d’or, j’ai grandi ailleurs, et je suis là aussi en tant que spectatrice. Donc j’essaie d’avoir une sorte d’humilité d’apprenante aussi. D’observer, de comprendre, de parler avec des gens. Et de faire un travail de documentation et d’immersion approfondi pour pouvoir commencer à formuler un discours.

    Après, ce qui est compliqué avec cette question de légitimité, -et ça traverse très fort la société en ce moment-, c’est qu'il s'agit d'une question à double facette. Je pense qu'il est hyper important qu’on commence à se la poser, parce que pendant très longtemps, les films ont été faits en grande majorité par des hommes, blancs, et c’est super que le regard change. Parce que d’autres personnes se mettent à prendre la parole sur d’autres spectres de la société, et je ne peux que m’en réjouir.

    Mais j’ai l’impression qu’il ne faut pas prendre l’identité par un trop petit bout de la lorgnette, dans le sens où là par exemple, je ne suis pas maghrébine. Par contre, une adolescente qui découvre son homosexualité, c'est quelque chose que je connais intimement, que j'ai traversé ado.

    Ce que j'ai aimé dans le process de faire ce film, c'était cet espace de dialogue

    Et à l'inverse, par exemple, la comédienne principale, elle ne se définit pas comme lesbienne. Par contre, elle a grandi dans un quartier populaire, elle est de culture musulmane. C'est comme la question des bandes. C'est quelque chose que j'ai traversé également en étant ado, d'appartenir à une bande et d'en partir ensuite. 

    Ce que j'ai aimé dans le process de faire ce film, c'était cet espace de dialogue, comme si le personnage de Nedjma et son univers étaient une sorte de puzzle. J'ai beaucoup parlé avec elles, de comment représenter ces jeunes filles d'un quartier populaire. Et ensemble, on a essayé de créer une image globale du film, qui est cet espace de rencontre.  C'est aussi dans la distance que se créé un regard, en tant qu'auteur, et il faut faire le job d'essayer de comprendre les différentes facettes d'un personnage.

    Bestimage

    Les Meilleures est votre premier long métrage. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours?

    J'ai fait la Fémis dans la section réalisation, parce que j'aimais le cinéma et avais envie d'en faire. J'ai grandi dans une petite ville de province, sans connaître du tout qui que ce soit faisant du cinéma, de près ou de loin.

    Candidater pour cette école, c'était une façon pour moi de rentrer dans ce milieu, me forcer à ça. Je ne savais pas du tout comment m'y prendre. J'ai présenté une école de cinéma de manière assez classique. J'y ai passé 4 ans. En sortant j'ai réalisé 3 courts métrages. Dans la foulée, j'ai commencé à écrire ce long, qui est mon premier film.

    Je viens d'Avignon. Il y a le cinéma Utopia qui a une super programmation qui m'a permis de m'ouvrir à un cinéma d'art et d'essai. C'est quand j'étais au lycée que j'ai commencé à m'y intéresser.

    Etiez-vous déjà, étant jeune, attirée par des réalisateurs que vous aviez identifié ?

    Tout à fait. Dans les réalisateurs que j'ai énormément aimé ado, jeune adulte -on ne le retrouve pas forcément dans les films que je fais, Yi Yi d'Edward Yang a été un choc assez incroyable, sur la puissance du cinéma. C'est un film taïwanais qui se passe dans une langue et un pays que je ne maitrise absolument pas, avec des codes culturels très éloignés de moi, et j'ai été hyper touchée par le trajet de la jeune fille qui perd sa grand mère dans le film.

    Cela m'a appris beaucoup sur la puissance de partage et de rencontre du cinéma. De pouvoir, adolescente, être émue par ce film a priori si éloigné de moi. Kelly Reichardt a également beaucoup compté. Wendy et Lucy est un film que j'aime énormément car je le trouve incroyablement simple, et c'est tellement difficile de faire simple. Il y a quelque chose de très épuré. Je trouve ça magnifique.

    Il y a eu Jia Zhangke aussi qui a beaucoup compté. J'ai toujours aimé un cinéma très ancré dans la réalité que je connais, en France, à l'endroit où j'habitais, mais mes goûts de cinéma m'amènent beaucoup vers l'ailleurs, l'étranger. J'ai peu de références franco-françaises.

    Propos recueillis au Festival du film de Saint Jean de Luz en octobre 2021

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