Lors de la sortie de Matrix en 1999, les spectateurs ont pu découvrir un monde virtuel étrange dominé par la couleur verte. Ainsi, les réalisatrices Lana et Lilly Wachowski, accompagnées du chef-opérateur Bill Pope, opéraient une nette distinction entre le monde réel et ses couleurs sombres, et la Matrice, avec du vert prédominant.
Ce choix d'éclairage a continué dans Matrix Reloaded et Revolutions, les personnages évoluant toujours dans le même monde factice. Dans Resurrections, la Matrice a été régénérée, rechargée, ressuscitée. Elle est très différente de celle qu'on a pu connaître 20 ans auparavant.
CHANGEMENT D'APPROCHE VISUELLE
Lana Wachowski a décidé que cette nouvelle Matrice ne sera pas dominée par le vert, mais qu'elle resplendira de couleurs, prenant le contre-pied de la trilogie originale. La cinéaste ne rappelle donc pas Bill Pope, qui était d'ailleurs amer de la tournure prise par les opus 2 et 3 : "Tout ce qui était bon dans le premier film est devenu mauvais dans les derniers", martelait-il en juillet 2020.
La couleur dominante de Matrix était le vert, parce que les vieux ordinateurs montraient du texte vert sur fond noir.
La réalisatrice engage alors John Toll et Daniele Massaccesi, duo qu'elle connaît bien pour avoir travaillé avec eux sur Cloud Atlas, Jupiter Ascending ou Sense8.
"La couleur dominante de Matrix était le vert, parce que les vieux ordinateurs montraient du texte vert sur fond noir. Donc, la Matrice était verte", explique Massaccesi dans les colonnes de Première. Pour Resurrections, Lana Wachowski demande aux directeurs de la photographie de s'inspirer du peintre Le Caravage, célèbre pour son style oscillant entre lumières vives et ténèbres.
On s'est éloignés du vert pour chercher ces magnifiques couleurs. On voulait créer une belle réalité qui n'existe pas.
"On s'est éloignés du vert pour chercher ces magnifiques couleurs. On voulait créer une belle réalité qui n'existe pas. Voir du beau. L'histoire n'est plus monochrome, elle se déploie comme un arc-en-ciel. Ça ne parle pas d'une seule personne, mais de toutes les personnes", analyse Daniele Massaccesi.
RÉVOLUTION DU STYLE MATRIX
Ce dernier a d'ailleurs repris seul les rênes de l'image de Matrix Resurrections après le départ de John Toll en raisons de problèmes de santé au sein de sa famille. Après une approche visuelle très pragmatique, story-boardée et très maîtrisée dans la trilogie originale, Lana Wachowski souhaitait prendre un virage à 180 degrés.
Ainsi, la réalisatrice et son chef-opérateur ont privilégié l'improvisation sur le plateau : la spontanéité dans le choix des cadrages et l'utilisation de la lumière naturelle ont été le credo des deux artistes.
"J'ai travaillé quelques jours sur Speed Racer puis sur Cloud Atlas. C'était probablement la première fois que Lana et Lilly Wachowski tournaient en décors réels", se souvient Massaccesi dans une interview accordée à IndieWire.
"Elles étaient un peu inquiètes du manque de contrôle, mais ont finalement réalisé qu'elles aimaient la qualité de la lumière naturelle et la possibilité de capturer des moments uniques. Elles ont également réalisé qu'il fallait saisir les heureux hasards lorsqu'ils se produisent - il faut être prêt à profiter du moment où quelque chose de non préparé survient et nous paraît bien", précise-t-il.
Lana Wachowski a donc changé sa manière d'appréhender sa mise en scène sous l'impulsion de Daniele Massaccesi. Après leur collaboration sur Sense8, la cinéaste a totalement embrassé la vision de son directeur de la photo, lui laissant carte blanche sur le style visuel du 4ème opus de Matrix.
UN DUO COMPLICE
"Elle a dit qu'elle voulait beaucoup utiliser la Steadicam et je me suis vite rendu compte qu'elle était toujours derrière moi, ses mains sur mes épaules, me chuchotant à l'oreille. Nous avons commencé à construire cette relation où je pouvais savoir, rien qu'au mouvement de ses doigts, ce qu'elle voulait que je fasse. Nous n'avions même pas besoin de parler. Ainsi, il était plus facile de saisir ces moments, ces accidents, parce qu'elle était juste là avec moi", confie Massaccesi.
"Même lorsque je filmais, nous parlions toujours de l'éclairage, car il influençait nos déplacements avec la caméra. Elle m'a beaucoup, beaucoup soutenu, même si nous savions tous que ce tournage allait être difficile", ajoute-t-il.
Chaque fois qu'il éclaire un plateau, le chef-opérateur aime donner aux acteurs autant de liberté que possible. "Je ne règle pas une lumière qui ne fonctionne qu'à un seul endroit. Si un acteur veut bouger d'une manière inattendue, je l'y autorise. Je suis pleinement conscient de la difficulté de leur travail, qui consiste à créer des émotions délicates sous le regard d'une centaine de personnes", explique Daniele Massaccesi.
Pour le technicien, il faut aller là où l'émotion nous porte. Selon lui, cette flexibilité aide à capturer des moments uniques. "Si vous tournez dix prises, ces dix prises seront toutes différentes, et elles seront plus naturelles que si vous planifiez trop ou si vous réfléchissez trop", conclut-il.
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