Après Les Enfants Loups et Miraï ma petite sœur, Mamoru Hosoda revient avec Belle, un tout nouveau film d’animation à couper le souffe. Cette revisite 2.0 du conte de La Belle et la Bête raconte la double vie de Suzu, une adolescente complexée dans la vie réelle mais une icône musicale suivie par 5 milliards de followers dans le monde virtuel de U. Son équilibre fragile est bouleversé lorsqu’elle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante.
Rencontré lors de la présentation du long-métrage d’animation au dernier Festival de Cannes, Mamoru Hosoda est revenu pour AlloCiné sur son travail, ses inspirations et ses envies avec ce dernier film, enfin sorti dans les salles de cinéma.
AlloCiné : Quelle était l’idée de départ de Belle ?
Mamoru Hosoda : L'inspiration principale est évidemment La Belle et la Bête, cette histoire française écrite au XVIIIème siècle. J'adore cette œuvre et ses différentes adaptations, comme le film réalisé par Jean Cocteau mais aussi la version de Disney de 1991.
En fait, quand le film Disney est sorti, je commençais à peine à travailler dans le milieu de l'animation. Et quand j'ai vu La Belle et la Bête de Disney, il était tellement extraordinaire que ça m'a conforté dans l'idée de travailler dans l'animation. Je voulais donc rendre hommage à ce film mais je ne savais pas comment.
Je tenais à ce que l'histoire se déroule dans notre présent et c'est comme ça que j'ai eu l'idée de mêler cette œuvre au monde d'Internet. Cette idée que la Bête a deux facettes ou deux visages pouvait coller à notre dualité entre notre vie réelle et notre vie sur Internet. Le vrai moi et mon compte des réseaux sociaux sont deux visages différents, c'était mon idée de départ.
En transposant l'histoire de La Belle et la Bête dans le monde virtuel, vous enclenchez une conversation sur l'utilisation des réseaux sociaux, ce qu'ils peuvent nous renvoyer comme image, mais aussi sur ce paradoxe entre leurs effets néfastes et leurs effets positifs...
Le sujet de l'Internet ou des réseaux sociaux est quelque chose qui m'intéresse depuis longtemps. Il y a 20 ans, j'avais déjà réalisé un film sur ce thème et je continue à traiter ce sujet. Avec Belle, c'est la troisième fois.
Aujourd'hui, au Japon, on parle beaucoup du côté négatif des réseaux sociaux, des cyberattaques, du cyberharcèlement, des commentaires haineux de personnes qui n'en feraient jamais dans le monde réel. Dans la vie réelle, ces attitudes sont pointées du doigt, mais dans le monde virtuel, les gens osent beaucoup plus adopter des comportements aussi méchants.
On a tendance à plutôt parler de l'aspect négatif des réseaux sociaux mais je suis persuadé qu'il y a beaucoup de positif aussi, comme on le voit dans le film. C'est seulement dans le monde virtuel que l'on peut connaître quelqu'un qu'on ne connaît pas en vrai et que l'on peut même sauver une personne qu'on ne connaissait pas.
On peut tout à fait aussi avoir une sorte de solidarité entre des anonymes. Contrairement à ce qu'on imagine, des choses impossibles dans la vie réelle peuvent être réalisées dans le monde virtuel. C'est ce que je voulais dire à la jeune génération. J'espère qu'elle saura utiliser les réseaux sociaux de manière positive.
Au début, comme j'aimais tellement la version de Disney de La Belle et la Bête, je voulais carrément faire une comédie musicale où tout est chanté. Mais c'était très difficile donc je n'ai utilisé que quatre morceaux chantés. Cela n'empêche pas que je suis très content du résultat.
Comment avez vous imaginé l’univers virtuel de U ?
Tout le monde utilise Internet mais personne ne sait comment il est représenté visuellement. Je me suis vraiment imaginé dans ce monde, parce quand on parle d'Internet on pense à la page d'accueil de moteurs de recherche, mais on ne sait pas ce qui se passe visuellement à l'intérieur. C'est un univers totalement libre et je voulais exprimer cette liberté sur laquelle on a beaucoup réfléchi avec mon équipe.
J'ai beaucoup travaillé avec Eric Wong, un jeune artiste conceptuel anglais. Il n'avait aucune expérience en cinéma. En fait, je l'ai trouvé et contacté sur Internet parce que j'aimais beaucoup son travail. La manière de travailler convenait aussi parfaitement au contenu du film. J'ai travaillé aussi avec Jin Kim, un vétéran des studios Disney, pour le design du personnage de Belle. Je voulais que la production soit globale avec des personnes de tout horizon et de toute origine.
Est-ce que vous avez rencontré des difficultés dans la construction du film ?
Au début, comme j'aimais tellement la version de Disney de La Belle et la Bête, je voulais carrément faire une comédie musicale où tout est chanté. Mais c'était très difficile donc je n'ai utilisé que quatre morceaux chantés. Cela n'empêche pas que je suis très content du résultat car je voulais vraiment que les chansons soient les éléments qui touchent le plus les personnages et le public.
Dans tous vos films, l'enfance, la famille et l'apprentissage sont des thèmes très récurrents. Là, vous ébranlez un peu vos schémas habituels dans Belle et vous questionnez ces notions avec un beau message sur le fait que la famille est finalement celle que l'on se crée. C'était important pour vous ?
Vous avez totalement raison, c'est vraiment ce que je pense. Alors évidemment, la famille est très importante mais dans la réalité, toutes les familles ne peuvent pas être heureuses. Pourtant, on cherche toujours l'amour d'une famille. Quand on regarde les personnages secondaires du film, les dames qui chantent sont un peu comme des mères pour Suzu parce qu'elles s'inquiètent pour elles. L'ami d'enfance de Suzu la protège aussi.
Les personnages cherchent à combler des manques dans leurs vies et se tournent vers l'entraide, la solidarité, le partage pour trouver ce sentiment et récupérer ce qu'ils ont perdu. Aujourd'hui, la famille classique n'existe plus. Il y a différentes situations mais tous les enfants ont besoin de l'amour d'une famille, de parents.
C'est un film qui est autant destiné aux enfants qu'aux adultes, qui sont des enfants qui ont grandi finalement. Les adultes doivent se poser les bonnes questions et chercher à rendre les enfants heureux. C'est un très grand défi.
Est-ce qu'il y a d'autres contes français qui pourraient vous inspirer pour d'autres films à l'avenir ?
J'adore tellement La Belle et la Bête que j'ai du mal à en citer d'autres (rires). En fait, c'est une histoire qui a eu tellement d'adaptations et chaque oeuvre montre l'évolution de notre société. C'est une oeuvre excellente à adapter. Mais peut-être que je vais encore reprendre La Belle et la Bête comme inspiration pour en faire un autre film totalement différent.
Vous avez un parcours très riche dans l'animation et depuis que vous avez pris votre indépendance avec votre propre studio d’animation Studio Chizu, vous vous concentrez uniquement sur vos propres films originaux. Est-ce que vous pourriez pour certaines occasions revenir à la réalisation de films de franchise comme Digimon ou autres ou même des séries ? Est-ce que vous pourriez revenir à ce genre de projets ?
Tant que le projet m'intéresse, peu importe qu'il s'agisse d'une adaptation, d'une série ou d'un film de commande. Pour l'instant, je suis concentré sur mes propres films originaux dont je pense que la société actuelle a besoin. Pour atteindre ce but, j'ai besoin d'écrire l'histoire moi-même et d'être libre.
C'est le studio Chizu, que j'ai cofondé, qui me permet de travailler comme ça. Et ce studio n'a jamais produit de films de commande jusqu'à aujourd'hui. Et pour l'instant, comme on ne fait pas ce genre de films ni de spots publicitaires, ce n'est pas forcément évident au niveau financier (rires).
Je tiens beaucoup à ce statut d'indépendant et c'est le seul moyen de réaliser des films en tant qu'art. Si on fait des films de commande, on est forcément influencé par les investisseurs. Pour l'instant, je n'ai que la pure motivation de réaliser des films pour créer des oeuvres d'art.
Une dernière question, si vous deviez créer votre propre avatar dans le monde de U, comment est-ce que vous l'imagineriez ?
J'ai plutôt envie de vous poser la question à vous parce que je ne sais pas (rires). Bon, j'ai peut-être une idée. J'ai une petite chienne qui a un problème à l'une de ses pattes et elle a du mal à marcher sans prothèse. Dans l'univers de U, elle pourrait flotter. Donc j'aimerais peut-être imaginer un avatar d'un personnage d'accompagnateur pour ma chienne dans cet univers virtuel.