La sortie d'un nouveau film de Steven Spielberg est un événement en soi. Surtout que, pandémie oblige, plus de trois ans se seront écoulés entre Ready Player One et West Side Story, ses deux derniers opus en date.
Pour les fans et connaisseurs de l'œuvre du papa d'E.T., cette nouvelle adaptation du show de Jerome Robbins, Arthur Laurents et Stephen Sondheim, déjà porté à l'écran par Robert Wise en 1961, est plus qu'une simple ligne supplémentaire dans sa filmographie. C'est en effet la concrétisation d'un très vieux rêve de comédie musicale.
En décembre 2011, alors que Cheval de guerre et Les Aventures de Tintin s'apprêtent à sortir, coup sur coup, aux États-Unis, Steven Spielberg annonce à CNN son envie de franchir le pas. De danse : "J'adorerais diriger une comédie musicale à l'ancienne, dans laquelle les personnages se parlent et puis chantent", déclare-t-il alors. "Je suis un immense fan des comédie musicales hollywoodiennes, mais je n'ai pas trouvé le bon sujet, le bon livret ou la bonne musique pour me jeter dans l'une d'elles. Mais un jour je le ferai."
Ce "Un jour" commence à prendre forme le 5 mars 2014, lorsque Deadline annonce que la Fox a acquis les droits de West Side Story en vue d'une nouvelle adaptation, et que Steven Spielberg est intéressé pour la mettre en scène. Comme Bernardo Bertolucci en 1996, lorsque Disney envisageait de produire une version modernisée de la comédie musicale, dont l'action aurait été transposée pendant les années 90.
Si le projet est tombé à l'eau, ce ne sera que partie remise pour Disney, qui récupère le West Side Story nouveau dans son giron suite à son rachat de la Fox, devenu effectif le 20 mars 2019. Soient quelques semaines avant le coup d'envoi des prises de vues, qui ont eu lieu entre le 1er juillet et le 27 septembre de la même année à New York.
Car s'il est évoqué pour la première fois en 2014, le projet ne donne plus signe de vie jusqu'en janvier 2018, lorsque paraissent des annonces de casting. Un signe que le film est sur la bonne voie et que la patience des cinéphiles est sur le point d'être récompensée. Celle de Steven Spielberg aussi.
ONCE UPON A TIME IN THE WEST SIDE
Amoureux du genre depuis sa tendre enfance, le réalisateur a plus d'une fois flirté avec. Et ce dès la fin des années 70. Devenu la nouvelle coqueluche d'Hollywood grâce aux Dents de la mer et à Rencontres du 3ème type, il décide que son projet suivant sera à la fois une comédie, un film de guerre et un musical.
Sorti dans les salles américaines le 14 décembre 1979, après un tournage mouvementé et harrassant, 1941 n'est au final "que" une comédie et un film de guerre, genre qu'il parodie allègrement en plus de citer ses propres Dents de la mer dans la scène d'ouverture. Très mal reçu par la critique, le long métrage est un échec relatif en salles, mais Steven Spielberg ne met pas longtemps à s'en remettre puisqu'il embraye sur Les Aventuriers de l'Arche perdue.
Pendant le tournage du premier volet de la saga Indiana Jones, ses envies de comédie musicale reviennent au galop et il contacte le scénariste Gary David Goldberg pour qu'il lui écrive le scénario de Reel to Reel, que l'on peut traduire par "De bobine en bobine". Soit l'histoire, semi-autobiographique, d'un réalisateur appelé Stuart Moss, engagé pour diriger le remake du film de SF Les Envahisseurs de la planète rouge.
Les prises de vues devaient avoir lieu en 1983… mais sous la direction de Michael Cimino. Avant que le projet ne tombe définitivement à l'eau et que Steven Spielberg ne se tourne vers Indiana Jones et le Temple Maudit.
Où l'on peut sans doute ressentir une trace de l'abandon de Reel to Reel à travers la scène d'ouverture dans le cabaret. Avec le court extrait d'un spectacle dans Hook (hommage à la nature initiale de pièce de théâtre de "Peter Pan"), la séquence a longtemps fait figure de seule incursion du cinéaste dans la comédie musicale.
Et ce alors que deux de ses films, La Couleur pourpre et Arrête-moi si tu peux, ont été transposés avec succès sur les planches, et qu'il a produit la série musicale Smash, sur les coulisses d'un show de Broadway consacré à Marilyn Monroe. Il fallait juste s'armer de patience pour ce metteur en scène chez qui la musique a toujours joué un rôle central.
Qu'il s'agisse des partitions iconiques de John Williams qui, associées aux images de Spielberg, en décuplent la force et les émotions. Ou de ces quelques notes qui permettent aux extra-terrestres et aux humains de communiquer dans Rencontres du 3ème type. Surtout que le cinéaste a une idée précise en tête depuis de nombreuses années.
Lorsque Steven Spielberg affirme en 2011 ne pas avoir trouvé LA bonne comédie musicale pour se jeter dans le grand bain, ce n'est pas tout à fait vrai. Si l'on en croit cette featurette parue dans le cadre de la promotion de West Side Story, le metteur en scène a toujours rêvé de diriger une adaptation du show de 1957. "Le défi était de trouver la comédie musicale dont je pouvais m'emparer", explique-t-il. "Et je ne pouvais pas oublier mon enfance."
"J'avais 10 ans lorsque j'ai écouté l'album de West Side Story pour la première fois. Et il ne m'a jamais quitté. J'ai donc pu réaliser ce rêve et la promesse que je m'étais faite : 'Tu dois faire West Side Story'" Que le réalisateur des Dents de la Mer se retrouve à diriger un film dans lequel un gang s'appelle les Sharks montre que la vie ne manque pas d'humour. Mais l'œuvre de Jerome Robbins, Arthur Laurents et Stephen Sondheim s'accorde parfaitement avec l'humanisme qui traverse sa filmographie depuis un demi-siècle, d'un genre à l'autre.
"La question des divisions entre les personnes qui ne se ressemblent pas est aussi vieille que le monde. Celles entre les Sharks et les Jets, qui ont inspiré la comédie musicale de 1957, étaient profondes. Mais pas autant que les divisions auxquelles nous faisons face aujourd'hui."
"Au milieu de la période de développement du scénario, qui a pris cinq ans, les choses se sont amplifiées. Ce qui, malheureusement, a rendu cette histoire de tensions raciales - pas seulement territoriales - plus pertinente pour le public d'aujourd'hui que pour celui de 1957."
DE WEST SIDE AU WESTERN ?
En s'emparant ainsi de la comédie musicale préférée de sa mère pour en faire un film dédié à son père, Steven Spielberg n'a donc pas seulement réalisé son rêve en même temps qu'un voyage nostalgique dans le temps grâce auquel il réunit ses parents, dont le divorce a marqué son enfance et sa filmographie.
Comme plusieurs critiques l'ont souligné, son West Side Story fait par moments écho à Munich (déjà co-écrit par le scénariste Tony Kushner) dans sa manière d'évoquer l'Amérique du présent à travers cette histoire d'enfants perdus (il n'y a pas ou peu de figures parentales à l'écran) dans laquelle la violence répond à la violence de façon graduelle, vaine et incontrôlable.
Des luttes que l'on pourrait sans mal voir transposées dans un western, et ce n'est peut-être pas un hasard. Dans une interview donnée pendant la promotion de West Side Story, Steven Spielberg a révélé qu'il s'agissait là du dernier genre classique auquel il rêvait de s'essayer, maintenant qu'il avait enfin rayé la comédie musicale de sa liste. Et qu'il avait plusieurs projets en développement dans ce registre.
Une manière de boucler la boucle pour celui dont le premier long métrage s'intitule Duel, avant de s'éloigner vers le soleil couchant, tel Indiana Jones à la fin de sa dernière croisade ?