"Le 15e jour de ce mois de mars, vers 5h du matin, il a entendu une explosion comme un coup de feu, et s'est réveillé pour se retrouver dans un lit étrange, dans une ville qu'il ne connaissait pas". Non, il ne s'agit pas d'une ligne extraite des (més)aventures de l'agent Jason Bourne, créé par le prolifique romancier Robert Ludlum, et formidablement adapté sur grand écran par Doug Liman avec La Mémoire dans la peau, dont la saga vient tout juste de débouler sur Netflix.
Il s'agit pourtant bien d'un Bourne, authentique celui-ci, mais qui a vécu au XIXe siècle, et dont le patronyme serait la source d'inspiration de celui du roman d'espionnage. Né en 1826 et mort en 1910, Ansel Bourne était un prêcheur évangélique américain du Rhode Island.
Il est resté célèbre dans les Annales de la médecine parce qu'il fut l'un des tous premiers cas d'étude scientifique documenté de personne souffrant d'amnésie dissociative, qui aurait commencé chez lui de manière partielle vers 1857. Pasteur évangéliste dans une vie, et "simple" fabriquant tenancier d'une petite boutique dans une autre, sous le nom de A.J. Brown.
Le 15 mars 1887, il se réveilla donc un bon matin sans savoir où il était et sans se souvenir de ce qu'il avait fait les deux mois précédents, pensant toujours être en janvier. Après être rentré chez lui avec l'aide de son neveu, le professeur de psychologie William James, de l'Université d'Harvard, et Richard Hodgson, un fameux parapsychologiste, se rendirent chez lui pour l'examiner. Sous hypnose, Ansel Bourne révéla qu'il pouvait basculer d'une personnalité à l'autre, sans jamais que les deux ne se rencontre.
Amnésie dissociative sélective
Jason Bourne souffre aussi d'amnésie dissociative. De manière intéressante, un psychiatre, le Dr Reef Karim, chercheur à l'Université de UCLA en Californie, fut sollicité pour s'exprimer sur le cas du personnage, dans les suppléments DVD du film. Voici son diagnostic.
"Jason Bourne présente tous les symptômes d'un état de dissociation amnésique. Si vous demandez à un psychanalyste ce qu'est une amnésie dissociative, il vous répondra qu'inconsciemment, le patient souffre d'un conflit, qu'il est sous l'emprise d'une forte impulsion. Jason est obsédé par son boulot : tuer quelqu'un. Mais inconsciemment, il sent qu'il ne devrait peut-être par faire cela, que ce n'est pas bien. Dans ce cas, quand on change de comportement, il arrive qu'on oublie ce qui nous a tant traumatisé" explique le scientifique.
Qui ajoute : "S'il s'agit d'amnésie dissociative, on ne se rappelle plus qui on est. C'est quasiment un procédé de défense. Un besoin de se séparer de soi-même, pour qu'il lui soit plus facile de se regarder en face. Dans le film, il s'agit d'une amnésie dissociative sélective. Ils lui font oublier qui il est, mais lui ont laissé une mémoire kinésthésique".
Lorsqu'une personne a une mémoire kinesthésique, les gestes d'un individu doivent primer dans son apprentissage pour stimuler sa concentration. Son corps retient les informations, car en quelque sorte, un kinesthésique se souvient de ce qu'il fait. Pour travailler sa mémoire, le kinesthésique doit effectuer des mouvements.
Et c'est peu dire que, dans ce registre, les gestes transformant Jason Bourne en machine à tuer, lui reviennent bien rapidement dans les épreuves qu'il traverse, comme un automatisme...