Il y a treize ans, Christian Bale faisait ses premiers pas dans un western grâce à 3h10 pour Yuma, avant d'exploser le box-office et de gagner ses galons d'icône de la pop culture avec The Dark Knight considéré, aujourd'hui encore, comme l'un des meilleurs films de super-héros jamais réalisés.
Une décennie plus tard, l'acteur gallois, oscarisé en 2011 pour son rôle dans Fighter, remet les pieds dans l'Ouest sauvage dans Hostiles, afin de convoyer un chef Indien sur ses terres. L'occasion pour lui de retrouver Scott Cooper, qui l'avait déjà dirigé dans Les Brasiers de la colère, mais surtout de s'offrir l'un de ses plus beaux rôles (et l'un de ses plus personnels), au sein d'une carrière qui ne manquait pourtant pas de qualité.
(Re)voici la bande-annonce du film, diffusé ce soir sur France 3 à 21h05...
Révélé par Steven Spielberg et son Empire du Soleil en 1987, Christian Bale a mis quelques temps avant d'occuper le premier plan. Né en 1974, soit la même année que Leonardo DiCaprio, il a longtemps été en concurrence avec ce dernier, et avait même auditionné pour être le Jack Dawson de Titanic.
Recalé par James Cameron, qui ne voulait pas avoir deux acteurs britanniques pour jouer des Américains, il reste à quai et doit attendre le début des années 2000 pour, enfin, exploser. Si American Psycho, le film, n'est pas aussi marquant que le roman dont il s'inspire, son interprète principal fait sensation et c'est notamment grâce à son incarnation de Patrick Bateman qu'il décroche le rôle de... Batman.
Après un enchaînement Equilibrium - The Machinist, qui prouve ses capacités en matière d'action et montre jusqu'où il peut aller sur le plan physique pour un rôle, Batman Begins sort dans les salles mondiales en juin 2005, et lance une grosse décennie au cours de laquelle le comédien va explorer divers degrés de la figure du héros.
Il y a d'abord l'Élu, sans doute l'aspect le moins convaincant, qu'il aborde dans dans Terminator Renaissance puis Exodus, et où son destin est de sauver l'Humanité ; les personnages qui se rêvent en héros mais déchantent vite, brisés ou floués par leur entourage et leur environnement, point commun de ses prestations chez David O. Russell (Fighter puis American Bluff) ; ou encore les héros par nécessité, contraints de se dresser face à l'ennemi, comme dans Flowers of War ou 3h10 pour Yuma.
Chez Christian Bale, il n'est donc pas question de jouer les preux chevaliers, sans peur et sans reproche, et c'est justement dans leurs ambiguïtés que ses héros se révèlent intéressants. Voire lorsqu'ils marchent sur une corde raide, entre le Bien et le Mal, comme son Batman, et les personnages qu'il incarne chez Scott Cooper : le Russell Baze vengeur des Brasiers de la Colère, et le Joseph Blocker d'Hostiles.
Trois rôles parmi les plus beaux et forts de sa carrière, ce qui n'est sans doute pas un hasard, car c'est dans cette configuration que l'acteur exprime le mieux ses qualités physiques et psychologiques. Il est d'ailleurs facile de dresser des parallèles entre le Bruce Wayne de The Dark Knight Rises et le Capitaine du western Hostiles.
D'un côté comme de l'autre, il paraît usé, brisé par des années passées au service d'un idéal (faire régner la justice à Gotham City et mener la guerre contre les Indiens d'Amérique) qui l'a conduit à des actions controversées : dans Batman Begins comme à la fin de The Dark Knight, où il endosse le statut de Chevalier Noir en même temps que la responsabilité des crimes de Double-Face, son statut de héros est sans cesse remis en cause. Surtout lorsqu'il manque de franchir la frontière qui sépare justice et vengeance pour mener sa croisade, et dérape en détournant le sonar créé par Lucius Fox (Morgan Freeman) pour en faire un outil de surveillance de masse.
Sans compter le fait que c'est sa présence qui provoquerait l'arrivée du Joker et de Bane, comme le laisse entendre James Gordon (Gary Oldman) à la fin de Batman Begins, en évoquant la surenchère à l'oeuvre chez les méchants depuis l'avènement de l'Homme Chauve-Souris.
Des actions du personnage naissent un flou, puisqu'il est à la fois la cause d'un déchaînement de violence et sa solution. Cette même dynamique anime le personnage de Joseph Blocker dans Hostiles et son déchirement se lit dans ses yeux. Il est en effet vu comme un héros depuis le camp américain, et comme un barbare à travers les yeux du Chef Yellow Hawk (Wes Studi), qui fût l'un de ses ennemis les plus retors et qu'il reconduit sur ses terres, afin d'expier ses fautes et enterrer la hache de guerre.
BRUCE WAYNE, JOSEPH BLOCKER, CHRISTIAN BALE : MÊME COMBAT ?
Comme l'explique le synopsis officiel d'Hostiles, les protagonistes du film sont "façonnés par par la souffrance, la violence et la mort". Et c'est aussi ce qui relie les meilleurs personnages de la carrière de Christian Bale : Jim (Empire du soleil), Patrick Bateman (American Psycho), Trevor Reznik (The Machinist), Bruce Wayne (la saga Dark Knight), Jim David (Bad Times) ou Dicky Eklund (Fighter), pour n'en citer que quelques-uns. Et donc le Capitaine Joseph Blocker. Plus calme, pour ne pas dire éteint par moments, et dont le regard trahit autant la fatigue que le claudiquement et les cicatrices sur le corps de Bruce Wayne dans The Dark Knight Rises.
À l'écran, le long métrage se déroulait huit ans après les faits survenus dans l'opus précédent. Pour les spectateurs, ce troisième et dernier épisode de la trilogie signée Christopher Nolan est sorti huit ans après le tournage de Batman Begins.
Coïncidence ? Pas forcément, car l'usure de Bruce Wayne peut dès lors se voir comme celle de son interprète, de retour afin de conclure l'histoire et que l'on ne reverra plus, par la suite, dans un blockbuster de cette trempe, lui qui aurait, selon la rumeur, refusé un pont d'or de Zack Snyder et la Warner pour reprendre le rôle de Batman et aller se dresser face à Superman.
Le jeune homme soulagé et débarrassé du fardeau que représentaient le masque et la cape de l'Homme Chauve-Souris, aperçu par Alfred Pennyworth (Michael Caine) à la fin de The Dark Knight Rises serait tout aussi bien le Bruce Wayne dirigé par Christopher Nolan qu'un Christian Bale heureux d'en avoir terminé avec un rôle qui lui a beaucoup demandé sur le plan physique, et l'a propulsé sur le devant de la scène médiatique. Pour le meilleur lorsqu'il est devenu l'un des acteurs les plus demandés d'Hollywood, et le pire quand son coup de sang sur le tournage de Terminator Renaissance lui est revenu en pleine figure comme un boomerang, alors que le film de McG approchait des salles obscures.
Un incident que certains ont vu comme la preuve de l'intensité et de l'implication du comédien sur chacun de ses rôles, quand d'autres n'ont rien perçu de plus qu'un comédien colérique et lunatique. Et il en va de même, de façon plus extrême certes, pour son personnage dans Hostiles, vu de deux façons différentes selon le camp dans lequel on se situe, et qui peut apparaître comme un portrait en creux de son interprète, capable d'incarner ses rôles avec une profondeur totale sur le plan psychologique, comme le précisait Scott Cooper dans l'interview qu'il nous a accordée.
Remplacez l'Ouest Sauvage de 1892 pour le Hollywood actuel, et la guerre au sein du film par les combats qu'il a menés, avec un investissement total (et parfois physique), pour rester au sommet de l'industrie cinématographique, et vous verrez le long métrage d'un autre oeil.
FINIS LES HÉROS POUR CHRISTIAN BALE ?
Ce n'est peut-être pas un hasard si, comme Joseph Blocker a quitté le front, Christian Bale a été un peu plus en retrait, absent des écrans depuis la sortie de Knight of Cups fin 2015. Il y a bien eu sa participation à La Promesse, sorti en novembre 2017 en France, mais celle-ci était bien plus secondaire que ce que l'affiche laissait penser.
Plus de deux ans se sont donc écoulés avant ce retour en haut de l'affiche, dont la puissance, déjà importante, paraît décuplée par ce qu'il dit de son acteur principal, capable de nous clouer à notre fauteuil lorsque son personnage est pris sans une spirale de violence, puis de nous arracher des larmes par la seule force de son regard dans la séquence finale, alors qu'il entre dans une nouvelle époque.
Un rapide coup-d'oeil aux projets de Christian Bale permettait d'ailleurs de renforcer le parallèle avec Blocker : outre le biopic sur Dick Cheney mis en scène par Adam McKay (moyennenant une nouvelle prise de poids à la clé), il donnait de la voix dans le Mowgli d'Andy Serkis, sous les traits de la panthère Bagheera. Une façon animée de délaisser les rôles de héros pour ceux de mentors, à l'image de ceux qu'il tenait dans The Big Short.
Le fait qu'il ait été en lice pour le rôle finalement tenu par Woody Harrelson dans Solo : A Star Wars Story va dans ce sens, auquel cas Hostiles apparaissait bien comme la conclusion d'une décennie passer à jouer les héros dans tous leurs états, et dont il serait sorti usé.
Et c'est en cela que Scott Cooper, qui affirmait écrire en ayant un acteur ou une actrice en tête, a sans doute offert à Christian Bale l'un de ses plus beaux rôles avec Hostiles. Un personnage fort dans un film qui ne l'est pas moins, où la beauté des grands espaces et de la musique contraste avec la brutalité des montées de violence, et dans lequel le Gallois délivre une nouvelle prestation pleine d'intensité.
Laquelle devient un peu plus émouvante quand on y décèle des liens avec la carrière de celui qui a su s'affirmer comme l'un des meilleurs Batman vus sur grand écran (si ce n'est le meilleur), mais surtout un comédien qui a marqué la dernière décennie par son intensité et son investissement total, capable de disparaître derrière ses personnages sans se répéter pour autant.