Pourquoi étiez-vous le réalisateur idéal pour aborder un tel sujet ?
Peter Jackson (réalisateur de la série documentaire The Beatles: Get Back) : Et bien tout d'abord, je suis fan des Beatles. Je suis né en 1961, et j’ai grandi dans la même décennie que celle durant laquelle le groupe a enregistré ses albums. Je n’ai malheureusement pas d’anecdote à vous partager sur cette époque, car mes parents n’ont jamais acheté le moindre album des Beatles. Mais je me souviens avoir acheté avec mon argent de poche vers 1972 l’Album bleu qui est un best-of de leurs chansons. Cétait d’ailleurs le tout premier album que j’achetais avec mon argent, et c’est ainsi que je suis devenu un fan des Beatles.
Je pense qu’il était vraiment nécessaire d’être fan du groupe pour réaliser ce film, parce qu’il a fallu s’approprier environ 150 heures de rushes ! Les caméras n’ont pas tout capté, mais les micros ont pu enregistrer énormément de conversations, donnant l’impression d’être en 1969 et d’écouter des discussions de l’époque. Être fan des Beatles m’a permis de saisir les nuances et les détails de ces conversations.
C’est pourquoi il était nécessaire d’aimer le groupe, afin de replacer dans leur contexte les extraits de ces discussions.
Qu’avez-vous appris grâce à ce documentaire ?
Si j’avais une critique à émettre à l’encontre des Beatles, c’est que ces images m’ont fait réaliser à quel point le groupe était peu préparé au moment d’enregistrer leurs chansons. Le fil rouge du documentaire est la préparation d’un concert enregistré dans une émission de varitété, on ne parle pas du concert finalement organisé sur le toit d'Apple Corps, mais d’une émission en plateau. Leurs précédents concerts étaient organisés par leur manager Brian Epstein qui s’occupait de tout : la réservation des dates, la logistique etc.
Mais ce dernier est décédé en 1967, et ils devaient désormais se débrouiller sans lui. L’autre homme de l’ombre du groupe est George Martin, qui assistait à tous leurs enregistrements en studio à Abbey Road. Le documentaire a été enregistré pendant des répétitions, il n’étaient donc pas au studio d’enregistrement, mais à Twickenham parce que le producteur Denis O’Dell avait réservé le studio pour le tournage de son film The Magic Christian (dans lequel apparaît Ringo Starr, ndlr) et l’a donc mis à la disposition du groupe pour filmer leurs répétitions.
Ils ont donc abordé ces sessions de travail sans leur équipe de soutien habituelle et en regardant les images aujourd’hui, je ne comprends toujours pas qui est censé assurer la préparation de l’émission dans laquelle ils sont censés apparaître. Les quatre Beatles agissent comme si quelqu’un était en coulisses pour se charger de toute la logistique du concert, ce qu’a plus ou moins dû faire Denis O’Dell, en tout cas de manière officieuse, puisqu’il était déjà très occupé par la préparation de son film The Magic Christian.
Comment s’est déroulée le montage du film ? Avez-vous pu le diffuser à Paul McCartney, Ringo Starr et aux héritiers des autres Beatles ? Quels ont été leurs retours ?
J’ai bénéficié de la même liberté que Michael Lindsay-Hogg, le réalisateur du documentaire Let it Be. Ils n’avaient pas apprécié son travail, donc ils ont mis de côté ses rushes pendant cinquante ans ! De manière générale, les artistes n’aiment pas qu’on regarde par dessus leur épaule.
Quand le tournage a commencé, les Beatles étaient censés enregistrer une émission de variété et dévoiler quatorze nouvelles chansons. L’idée était donc de montrer les coulisses des répétitions pendant 30 minutes, avant de diffuser la totalité du concert pendant une heure. Donc Michael a abordé le tournage comme s’il allait tourner des images d’ambiance destinées à figurer en prologue de son documentaire.
Au final, il a tourné beaucoup plus d’images que prévu et à un moment donné quelqu’un, j’ignore qui, a décidé d’utiliser ces rushes pour monter un film totalement indépendant du concert. Après A Hard Day’s night et Help!, les Beatles devaient encore tourner un film pour honorer leur contrat portant sur trois longs métrages, donc d’un point de vue pratique ce documentaire allait les libérer de leurs obligations.
Les Beatles n’ont pas aimé Let it Be, mais ce n’est pas pour autant un mauvais film, d’autant que j’ai eu l’occasion de le revoir maintes fois au cours des dernières années. Il ne mérite pas sa mauvaise réputation. Quand j'ai découvert les rushes du film, je ne savais pas à quoi m’attendre malgré mes échanges avec Michael Lindsay-Hogg qui m’a raconté toutes les coulisses du tournage, les demandes contradictoires que lui transmettaient Paul McCartney et John Lennon...
Je n’ai jamais pu échanger avec Paul et Ringo sur ce sujet, mais il m’a semblé que de l’eau avait coulé sous les ponts depuis cette époque. Ils ne semblent plus concernés par leur image, comme ils l’étaient il y a cinquante ans. Quand je leur ai montré le résultat final, je m’attendais à recevoir des retours pour enlever des scènes ou des passages les concernant. Et cela ne m’aurait pas vraiment surpris, c’est même tout à fait normal et logique. Mais aucun n’a émis de retour. Pas une seule demande.
Dans un sens c'est courageux de leur part, car nous allons dévoiler des images qui vous les révéler à l’état brut au public. Quand Let it Be durait seulement 90 minutes, ils ont cette fois-ci une version plus développée, qui va montrer qui ils sont vraiment. Ou en tout cas, l’image que je me suis faite d’eux durant le montage, en découvrant ces 150 heures de rush. Disney m’a demandé de supprimer tous les jurons du film, ce que Ringo et Olivia (la veuve de George Harrison) ont refusé, car cela enlèverait toute l’authenticité de ce qu’étaient les Beatles.
Désormais, les Beatles ne sont plus dans le contrôle de leur image, ils n’ont plus à s’inquiéter de ce qu’ils renvoient au public, de ce qu’ils incarnent, ils sont déjà dans l’Histoire et c’est donc pour cela qu’ils sont davantage disposés à montrer au public qui ils sont vraiment.