Qu'on se le dise : l'Histoire du 7e Art est jalonnée d'exemples de projets de films inaboutis pour raisons diverses et variées, parfois obscures ou non. Témoin par exemple l'adaptation de Dune qu'Alejandro Jodorowsky carressait de faire, avant que son projet pharaonique ne tombe à l'eau. Une histoire brillamment retracée dans le formidable documentaire Jodorowsky's Dune, sorti en salle en mars 2016.
Une liste de projets inaboutis à laquelle il faut adjoindre la version que George A. Romero aurait pu réaliser de l'adaptation de la licence vidéoludique Resident Evil, dont le nouveau volet cinématographique, Resident Evil : bienvenue à Raccoon City, vient justement de sortir en salle. L'histoire sur le projet avorté de Romero est d'autant plus savoureuse que le nouveau film mis en scène par Johannes Roberts synthétise le récit du premier et second volet de la saga vidéoludique.
Resident Evil 2, de la publicité Live au (presque) film
Le début de l'histoire se déroule pourtant sous de bons auspices. En 1998, le cinéaste est contacté par l'éditeur de jeux vidéo Capcom pour réaliser une publicité Live destinée au marché japonais, afin de promouvoir la sortie du nouveau titre de sa désormais fameuse licence : Resident Evil 2.
Faire appel à l'auteur de La Nuit des morts-vivants, le film fondateur par excellence du sous-genre des films de zombies, est tout trouvé. Se déroulant dans le couloir de cellules d'un commissariat abandonné, ce Spot de publicité de 30 seconde met en scène deux acteurs, que sont le regretté Brad Renfro et Adrienne Frantz, que les fans du Soap Amour, gloire et beauté connaissent bien.
Ci-dessous, la publicité en question...
"Chaque détail comptait pour lui" a confié Adrienne Frantz à Variety; "je me souviens qu'il m'avait même montré comment armer le fusil à pompe correctement !" L'actrice fut en effet frappée par le souci de Romero de recréer fidèlement certains aspects de la licence vidéoludique, même pour une publicité de 30 secondes.
Quoi qu'il en soit, le résultat a fini par taper dans l'oeil d'Executive de chez Sony Pictures, au point que la Major lui passe commande d'un script pour une future adaptation de la licence sur grand écran, que Romero réaliserait également.
A l'époque, le choix d'un tel metteur en scène pour cette future adaptation fait sens. "Avoir Romero attaché à ce projet a donné une vraie légitimité aux fans de films d'horreur. A l'époque, si vous pensiez aux zombies, vous pensiez automatiquement à Romero. Son implication garantissait la venue d'un certain nombre de spectateurs pour voir un tel film" explique pour sa part Rob Kuhns, qui a d'ailleurs signé en 2013 un documentaire sur l'influence et l'importance de La Nuit des morts vivants dans la culture Pop avec Birth of the Living Dead.
Il faut également ajouter à cela que le premier jeu Resident Evil rend aussi largement hommage au cinéaste, ne serait-ce que dans le choix des cadrages et son ambiance; le Game Designer du jeu, le légendaire Shinji Mikami, ne s'en est d'ailleurs jamais caché, lui qui a découvert à l'âge de 15 ans le film de Romero et fut durablement marqué par cette découverte.
Pour Romero, ce projet tombe aussi à pic et devrait le remettre en selle. Il a en effet travaillé pendant près de dix ans pour le compte de New Line Cinema, à développer des scripts et des projets, qui n'ont malheureusement jamais vu le jour. A cette époque, sa dernière réalisation date de 1993, avec La Part des ténèbres, adaptation de l'oeuvre de Stephen King.
Romero finalement débarqué du projet
Romero écrit son script en six mois. Ayant pour cadre le fameux manoir Spencer, cadre de l'intrigue du premier volet de la saga vidéoludique, le film doit aussi mettre en scène deux personnages emblématiques de la franchise : Chris Redfield et Jill Valentine. Contrairement à ce que sera le film de Paul W.S. Anderson, le script de Romero reste extrêmement fidèle à l'univers du jeu, et-ce jusque dans le choix de certaines créatures qui doivent être présentes à l'écran, comme le serpent géant (et manipulé génétiquement) Yawn, que l'on affronte à deux reprises dans le premier jeu et qui a donné quelques sueurs froides aux joueurs de l'époque. C'est d'autant plus surprenant que, n'ayant pas joué à la licence, Romero a notamment beaucoup travaillé en décortiquant la vidéo d'un assistant filmé en train de jouer sur de longues sessions de jeu.
Pourtant, en dépit de cette fidélité à la mythologie de la licence, Sony et Capcom torpillent le scénario de Romero. La raison ? Elle sera donné -et simplement- plus tard par Yoshiki Okamoto, producteur chez Capcom : "le script de Romero n'était pas bon, donc Romero a été renvoyé". Le cinéaste a semble-t-il d'autant plus mal vécu ce rejet que la licence vidéoludique reprenait -pour ne pas dire pillait- sans complexe des idées et éléments de ses films de zombies...
Quoi qu'il en soit, le film a fini par atterrir entre les mains de Paul W.S. Anderson. Réalisé avec un budget d'environ 30 millions de $, le film en rapportera un peu plus de 100 millions. Plutôt rentable donc, même si les fans ont hurlé à la trahison de la licence.
Assez ironiquement d'ailleurs, le succès du film d'Anderson, -outre le fait d'obtenir le feu vert pour une suite-, a aussi contribué à susciter à nouveau l'intérêt des spectateurs pour les films de zombies. C'est l'une des raisons expliquant que George A. Romero a pu réaliser en 2005 son Land of the Dead, plutôt réussi d'ailleurs.
En 2019, Capcom accompagnera la sortie de son formidable remake de Resident Evil 2 d'un trailer live, pensé comme un hommage à celui que réalisa 21 ans plus tôt le maître de l'horreur, qui nous a hélas quitté en 2017 à l'âge de 77 ans.