Synopsis : Au coeur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier entraîne l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. En parcourant les sommets habités par des présences invisibles, les deux hommes tissent un dialogue sur notre place parmi les êtres vivants et célèbrent la beauté du monde.
AlloCiné : Quel a été le le temps nécessaire pour mener à bien ce film, La Panthère des neiges ?
Marie Amiguet, coréalisatrice : Vincent Munier qui est à l'origine de cette idée de film a commencé ses premières images au Tibet en 2010. De 2010 à 2018, il avait accumulé déjà six voyages avec beaucoup d'images animalières et de paysage. Mais il n'y avait pas d'histoire. Après il m'a contacté pour l'accompagner là-bas. Il a proposé à Sylvain Tesson de venir qui a dit : "donnez moi une bonne raison de ne pas venir !". Nous sommes partis tous les quatre. Mon vrai rôle, c'était vraiment de filmer leur rencontre, filmer la rencontre entre la littérature et la photo.
Nous avons fait deux voyages au Tibet. Le premier en février 2018, d'une durée d'un mois. Nous étions quatre : Sylvain, Vincent, Léopold notre assistant et moi. Nous y sommes retournés un an plus tard, en 2019. ca a été assez long ensuite. Il y a eu une première version du film que j'ai monté de manière très artisanale. Une version d'1h15 qui ensuite a un peu servi de tremplin pour se dire "ok, on tente d'aller au cinéma". Donc nous avons remonté un vrai film de cinéma. Pas juste un film de retour de voyage.
Il y a eu deux ans de remontage, pas à plein temps. Il y a eu 8 mois de montage toute seule. Ensuite nous avons fait appel à un monteur professionnel, Vincent Schmidt. Le projet s'est étalé sur trois ans me concernant.
Comment avez-vous fait pour capter tous ces échanges entre Sylvain Tesson et Vincent Munier pour qu'ils soient si spontanés ? Avez-vous dû "tricher" un peu ?
Marie Amiguet : Non, pas du tout triché. J'ai horreur de faire de la mise en scène. C'est pour ça que j'aime le documentaire. C'est capter des instants qui ne sont pas prévus.
Je savais que Vincent voulait avoir une conversation avec Sylvain, lui poser des questions. Ils ont discuté pendant 1h30, et comme ça on a fait la même chose sur un autre affût. Parfois je lançais une question et ça lançait un dialogue. Mais il n'y a rien d'écrit. On est sur le vif.
Il y a de très beaux échanges et une belle complémentarité entre eux...
Marie Amiguet : Vincent ne savait pas comment cela pouvait se passer avec Sylvain. Ils ne se connaissaient pas si bien que ça, même s'ils s'étaient déjà croisés. On ne sait pas comment ça peut aller. Mais au bout de deux jours, je les filmais et ils étaient à fond comme deux gamins, comme s'ils se connaissaient depuis 10 ans. C'était très agréable.
Il y a tout de suite eu une complicité très forte. Je crois que Vincent était très heureux de partager ce qu'il aime faire, et Sylvain était d'une réceptivité sans borne. A la base, Sylvain avait convoqué Vincent au Tibet pour qu'il lui écrive quelques petites légendes pour son livre photo, c'était ça le prétexte. En échange, il faisait le pari de lui montrer la panthère des neiges, animal qu'il rêve de voir.
Au bout d'une semaine au Tibet, Sylvain a dit à Vincent qu'il était fort inspiré, qu'il écrirait bien un récit. Le livre et le film sont vraiment imbriqués, mais ce n'est pas une adaptation du livre. C'est vraiment ce même voyage, duquel est tiré le récit de Sylvain, et notre film, sachant que nous avons quand même refait un tournage de trois semaines l'année suivante pour compléter. C'est là que nous avons vu les ours, la visite de la grotte avec les empreintes, la panthère...
Vincent Munier : Sylvain et moi nous étions croisés dans des festivals d’aventure. Nous avions discuté. Il m’avait dit son envie de découvrir un peu l’affût.
Pour terminer tout le travail que j’avais fait en amont au Tibet, je voulais vraiment avoir ses textes, prolonger ça et puis il y a eu l’idée de ce film. Je me suis dit : "allez, tentons de l’emmener !" Tout en utilisant les images que j’avais tourné auparavant, essayer de mélanger cette poésie du sauvage, et puis ce dialogue entre nous.
J’étais un petit peu angoissé, ce n’était pas gagné. Cela s’est remarquablement bien passé. Sur le terrain, il a été extrêmement discret, patient. Il avait ses yeux qui brillaient comme un gamin. Besogneux aussi. Il travaille énormément.
J’avais beaucoup apprécié ses précédents livres, mais j’ai trouvé que Sur les chemins noirs était un peu différent et qu’il y avait en filigrane un discours un peu écologique. Je me suis dit que c’était génial, qu’on avait besoin d’un passeur comme lui. Nous, on se nourrit de cette beauté, mais on est aussi très affectés, et c’est ce que je dis dans le film par le fait qu’on ne respecte pas et qu’on détruit le vivant. Nous avons besoin de faire passer des messages encore plus loin. Le talent de Sylvain Tesson vient chercher les mots exacts pour décrire ce que nous pensons et n’arrivons pas à exprimer. On s’est dit que cette complémentarité image-mot, c’était sûrement quelque chose qui fonctionne.
Vincent Munier, on a l'image de vous comme étant quelqu’un de très solitaire...
Oui c’est le cas, et pour les voyages précédents. J’ai convié Marie et Sylvain pour cloturer un peu tous les voyages que j’avais fait avant en solitaire, où j’avais filmé la panthère, les yaks, tous ces animaux incroyables. Je ne pouvais pas faire juste un documentaire animalier. J’avais vraiment envie de clôturer avec un talent comme lui.
Mais je me suis en condition évidemment. Nous étions trois ou quatre sur le terrain, et ce n’est pas pareil que quand on est seuls, même si on se séparait. Je m’étais conditionné et ça s’est super bien passé.
Il y a vraiment des séquences folles dans ce film. Quel est pour vous le souvenir le plus fort? Peut être la chose la plus inespérée?
Marie Amiguet : Beaucoup de choses sont inespérées quand on observe des animaux. On croisait des loups presque tous les jours. C'était de grands moments d'émerveillement. De voir des loups qui n'avaient pas peur de l'homme et qui s'arrêtaient pour nous regarder.
J'ai vraiment adoré toute cette partie du voyage où l'on a rencontré cette famille de nomades. J'ai besoin de ces rencontres dans les voyages. C'est ça qui fait qu'on tisse des liens et qu'on a l'impression d'être un peu plus ancré sur place, et ne pas faire que passer. J'ai adoré voir Sylvain avec ces gosses : un gosse parmi les gosses ! C'était au bout de deux semaines, et c'est à partir de là que tout s'est passé. Les enfants la panthère... Tout a été crescendo, comme dans le film.
Vincent Munier : Même si j’avais déjà vu la panthère auparant sur de précédents voyages, c’est quand même la scène de fin car on était sûrs de rien. On n’était vraiment pas sûrs de la voir. C’est fou comme elle est arrivée. Toutes les étoiles étaient alignées pour nous car c’était trois jours avant la fin du voyage. De vivre ça avec eux, c’était très fort.
Tout seul, évidemment, les émotions sont très personnelles, très fortes, très exacerbées. Le but de ce voyage était le partage. On le voit à la fin, je suis extrêmement ému de pouvoir un peu leur offrir entre guillemets. Car c’est la panthère qui a décidé de la rencontre, de cette vision magique.