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    Passion simple par Danielle Arbid : "J'essaye de filmer des émotions, pas des corps nus"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Le best-seller d'Annie Ernaux "Passion simple" devient un long métrage, écrit et mis en scène par Danielle Arbid ("Peur de rien"), à l'affiche ce mercredi. La cinéaste revient sur ce projet au long cours dans un entretien qu'elle nous a accordé.

    Près de 30 ans après sa première publication, le roman autobiographique d'Annie Ernaux, Passion simple, est enfin porté à l'écran. C'est la cinéaste Danielle Arbid qui s'est emparée de ce projet, avec passion. Un projet au long cours, dont le financement a été complexe, et la phase de casting également. Plusieurs actrices ont été pressenties avant que Laetitia Dosch ne s'impose dans ce rôle intense d'une femme qui vit une relation passionnelle et charnelle.

    Il y a l'attente, les retrouvailles, l'étreinte, la passion... Danielle Arbid s'approprie avec grâce et justesse de ce récit qu'elle a souhaité adapter de façon à ce que chacune et chacun puissent y mettre sa propre histoire. Nous nous sommes entretenus avec la cinéaste.

    AlloCiné : Diriez-vous qu'il s'agissait d'un défi d’adapter ce roman, et est-ce cette part de défi qui pouvait rendre le projet d’autant plus excitant à mener à bien ?

    Danielle Arbid, scénariste et réalisatrice : J’ai l’impression que le défi était pour les autres. Par exemple, pour les financements. A chaque fois qu’on présentait ce film, j’avais l’impression qu’ils voyaient cette histoire et le fait d’adapter ce livre comme improbable. Mais à partir du moment où j’ai décidé de l’adapter, je l’adaptais, si j’ose dire, pour les bonnes raisons ; sinon, je n’aurais pas pu l’adapter, pas eu le courage.

    Le choc de la première lecture.

    Je l’ai adapté, d’abord, parce que c’était un choc de le lire en 2007. Ma première rencontre avec ce livre était à travers le visage d’Annie Ernaux. J’avais l’impression de voir un visage à la Lady Diana, un visage beau, et en même temps, très vulnérable. C’était un choc de découvrir son visage en 1991 au moment où je l’ai vu affiché dans la rue. Cette photo d’elle a dégagé pour moi un mystère, et des années plus tard, quand je l’ai lu en 2007, j’ai compris ce mystère.

    Du coup, ça m'a parlé, et j'ai gardé longtemps ce livre dans ma poche. Je l’offrais à tous mes amis tombés amoureux, alors que ce n'était pas tout à fait une histoire très heureuse à la fin. C’est une passion très forte et qui laisse des stigmates.

    C’est une passion très forte et qui laisse des stigmates.

    J'ai décidé de l’adapter en 2014, et non pas en 2007 quand je l'ai lu la première fois. Ma première rencontre avec Annie Ernaux a aussi été un choc. On s’est vues, et elle était formidable, puisque je l'ai sentie fragile... Je l’aurais sentie beaucoup plus sûre d'elle-même, ou de son prestige, ou de son assise, je ne l’aurais pas adapté. C’est cette fragilité que j’ai sentie dans cette photo, que j'ai retrouvée dans ce livre, cette douceur, ce courage aussi.

    J'ai voulu adapter ce livre parce que je trouvais que c’était une femme très courageuse, qui raconte une histoire de soumission, mais elle a la tête haute. Ce n'est pas une victime. C'est une femme qui garde la tête haute, et c’est ma définition du féminisme. Peut être que je le suis, sans avoir à le prouver.

    Ce sont des femmes qui n'ont pas peur. Annie Ernaux dans le livre, dans tous ses livres, et dans sa vie, n’a pas peur.

    Les grands livres sont intemporels et universels.

    A partir du moment où j’avais ces choses très sûres en moi, adapter le texte devient facile, parce que ce n'était pas un hommage à sa personnalité. C’est pour ça que les gens disaient : mais comment peut-on oser adapter ce livre ?

    Moi, ce qui m'intéresse, c'est que ce livre peut être adapté à tout le monde, en fait, par des gens du monde entier. C’est ça, sa grandeur.  Les grands livres pour moi, c’est là où on peut trouver sa place, ce sont des ouvrages qui ne sont pas des objets fermés. Ils sont intemporels et universels.

    J'ai mis mon histoire dans ce livre. Laetitia Dosch, quand elle le joue, elle me dit c’est mon histoire aussi. J'espère que le spectateur y mettra sa propre histoire. Ce film n'est pas un hommage. Sinon je ferais un documentaire sur Annie Ernaux, ou en tout cas, je m'effacerais. On ne peut pas partir du principe de s'effacer devant un livre et de faire un bon film.

    Passion Simple
    Passion Simple
    Sortie : 11 août 2021 | 1h 39min
    De Danielle Arbid
    Avec Laetitia Dosch, Sergei Polunin, Lou-Teymour Thion
    Presse
    3,6
    Spectateurs
    2,4
    Streaming

    Y avait-il eu d'autres tentatives d'adaptation depuis tout ce temps ? Comment Annie Ernaux a-t-elle accueilli le projet ? A-t-elle rapidement accepté ? 

    Je n'écris pas un film avant d'avoir l'option des droits du livre. Elle a demandé à voir mes deux premiers longs métrages, Un homme perdu et Dans les champs de bataille.

    Elle m'a envoyé un mail magnifique où elle me dit qu'elle est très fan de mon travail et surtout d'Un homme perdu qui l'a touchée profondément. Un homme perdu est un film qui a été en partie rejeté d'un point de vue moral et qui est assez difficile. Ca parle de deux hommes qui se baladent au Moyen-Orient et qui ont des relations avec des prostituées. Ils sont aussi aussi vulnérables que ces femmes.

    Donc, d'une certaine manière, ça m'a rassurée. Je me suis dit voilà une femme qui comprend la vulnérabilité des gens. Je me suis alors dit que je pouvais adapter son livre, qu'on pouvait se retrouver. Après, elle m'a dit : "Mais vous êtes sûre que vous voulez adapter ce livre? Parce que j'ai eu un tel mauvais accueil quand il est sorti." Elle m'a envoyé la revue de presse...

    La presse était très dure à l'égard d'Annie Ernaux au moment de la sortie du livre Passion simple

    Effectivement, elle était très dure à l'égard d'Annie Ernaux, du livre. Il y avait des gens qui le défendaient, mais il y avait beaucoup de journalistes qui l'attaquaient. Il y en a un qui avait écrit : "La pauvre petite Annie qui se prend pour Emma Bovary" ou "C'est quoi cette femme qui passe ses après-midi au lit après avoir raconté l'histoire de ses parents? Comment elle tombe à ce niveau-là, de parler de sexualité alors qu'elle m'a raconté des histoires plus sociales ?" C'est comme si le sexe et sa vie personnelle la dénivelaient... Comment cette femme peut s'encanailler quoi ! Elle peut presque devenir parisienne.

    Donc cette approche lui est refusée dans les journaux. La presse a été humiliante. Et quand j'ai lu cette revue de presse, j'ai décidé encore plus de l'adapter parce que je me suis dit "Wow. J'ai envie de la défendre, de défendre ce livre". La revue de presse qui l'attaquait m'a excitée. Peut-être que certaines voix vont s'élever pour dire la même chose pour le film. Et pendant le financement du film, c'était pareil. On me demandait : "Mais qu'est ce qu'elle fait cette femme à part attendre cet homme ?" Ce que je trouve beau, c'est de voir comment on s'efface quand on rencontre quelqu'un. On se donne, complètement.

    Maurice Pialat a voulu l'adapter au moment de sa publication

    Et pour répondre à la première question, Annie Ernaux m'a raconté que Maurice Pialat voulait l'adapter au moment de sa publication. Il voulait tourner chez elle, et elle a refusé qu'il vienne chez elle tourner le film. Ça ne s'est pas fait. Annie Ernaux m'a dit que c'était le seul à avoir voulu l'adapter.

    Elle a vu le film et elle m'a dit "je me suis oubliée". Pour moi, c'était le plus beau compliment. J'espèrais juste qu'elle ne soit pas triste en voyant le film, et elle en est très heureuse.

    Pour moi, Annie Ernaux, c'est d'abord du style

    Je trouve que c'est une écrivaine très stylisée. C'est d'abord le style que je vois, et pas l'engagement social, etc. Pour moi, d'abord, Annie Ernaux, c'est du style. Elle a créé une façon d'écrire à travers soi, de passer par soi pour atteindre l'autre qui est assez unique, très précise et en même temps très fantaisiste. Pour créer ce style, il faut avoir beaucoup de fantaisie. Il y a de la beauté et du courage. 

    Comment filmer l'attente, filmer l'ennui sans être ennuyeux ? Comment filmer le sexe, filmer une passion charnelle ? Qu'est-ce qui vous a guidé pour le travail de mise en scène ?

    Je voulais tourner en pellicule, mais ça prend plus de temps, notamment la mise en place des lumières qui est plus longue. Mais tout est très précis, très écrit. Les scènes de sexe sont très détaillées pour les acteurs. Tout ça est très clinique, d'une certaine manière. Le moindre plan est écrit, préparé. Mais on n'avait pas la possibilité d'improviser quoi que ce soit.

    Le moindre plan est écrit, préparé.

    Je travaille beaucoup sur la photographie. Mon scénario est rempli de photos. Chaque séquence m'inspire un moment. Je m'en inspire, je les montre à mon équipe et on se retrouve à la poésie de l'image. Quant à la lumière, il était important d'avoir un film très lumineux. C'est une chance de tomber amoureux, et je voulais filmer cette chance. Donc on a beaucoup travaillé avec Pascale Granel sur la lumière.

    C'est une chance de tomber amoureux, et je voulais filmer cette chance.

    Pour filmer les scènes de sexe, je dois avoir l'impression d'être la première spectatrice du film, et vivre ce qu'ils vivent. C'est vraiment chercher la grâce. Pour trouver ce moment gracieux, dans ces scènes, il faut beaucoup parler avant. On cherche le moment le plus magique. Mon travail consiste à trouver comment filmer une émotion. J'essaye de filmer des émotions, pas des corps nus.

    Propos recueillis par téléphone en décembre 2020

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