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    Danielle Arbid : "Avec Peur de rien, je voulais raconter une histoire heureuse, lumineuse, libre"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Rencontre avec Danielle Arbid, réalisatrice et scénariste de Peur de rien. Ce récit initiatique "heureux et lumineux" raconte l'arrivée d'une Libanaise à Paris dans les années 90, avec un vent de liberté enthousiasmant.

    Ad Vitam

    AlloCiné : Diriez-vous que Peur de rien est un récit initiatique ? 

    Danielle Arbid, réalisatrice et scénariste : Au début, je suis partie de moi pour raconter quelque chose que je ne vois pas au cinéma. Une histoire de quelqu’un d’étranger qui arrive en France, et qui a une autre histoire, qui a un rapport à la France de salut.

    Je voulais raconter une histoire heureuse, lumineuse. C'est le résultat des 25 ans que j'ai passé ici, qui est assez lumineux, assez heureux, malgré toutes les difficultés. C’est ce que je retiens. 

    Jusqu'ici mes films se passaient au Moyen-Orient, même s’il y avait des Français – par exemple, Un homme perdu était avec Melvil Poupaud -, il y avait toujours l’Orient qui était là. Je vis quand même en France depuis 25 ans, il était temps que je me coltine la réalité française. Je ne peux pas vivre en fantasmant un monde que je ne vis plus au quotidien. Donc c’était l’idée de faire un film sur la France.

    Pour moi il fallait commencer par l’arrivée, par le choc d’être là. Par la première sensation, la première rencontre avec la France. D’ailleurs le film s’appelait avant "Faire connaissance avec la France". C’était programmatique !

    Quand on est jeune, on se découvre soi même à travers les autres. On est chamboulé, on ne sait pas qui on est, on ne sait pas ce qu’on aime. On va où le vent nous amène

    J’ai essayé de me mettre dans la peau de celle qui est arrivé dans les années 90 et qu’est ce que j’ai ressenti à mon arrivée. A l’arrivée, on a d’autres impressions des gens, on ne sait pas comment ils sont. Une sorte de mélange d’appréhension, de timidité, de peur de savoir où on va, et de liberté absolue quand même. De peur de rien. Comment pensent les gens ? Comment trouver ma place ? Ca raconte aussi l’histoire de tous ces gens qui arrivent et qui ont un grand fantasme de ce que peut être l’avenir dans un pays que vous découvrez.

    Je ne suis pas née avec la France, je l’ai découvert à l’âge de 18 ans. C’était l’idée de raconter cette découverte. Une découverte avec un regard moderne si j’ose dire. Moderne dans le sens de quelqu’un qui est jeune. Quand on est jeune, on se découvre soi même à travers les autres. On est chamboulé, on ne sait pas qui on est, on ne sait pas ce qu’on aime. On va où le vent nous amène.

    Ad Vitam

    C’est un film que je voulais heureux, assez libre, ouvert à la rencontre. Mon personnage se découvre tout en découvrant le pays. Ce pays est important dans ma vie. Je l’ai adopté ou il m’a adopté. Il y a quelque chose de l’ordre de la rencontre qui s’est passé avec la France.

    Je voulais raconter cette histoire aussi pour dire aux Français que la rencontre peut être belle. Elle n’est pas forcément douloureuse ou nostalgique. Quand on a 18 ans, on est tourné vers l’avenir. Ce film regarde l’avenir. C’est une fille qui cherche un monde idéal. Je ne dis pas que la France est un monde idéal. A travers les rencontres, elle cherche un idéal dans lequel se reconnaitre, à travers les hommes, l’amitié, les cours.

    Le film trouve un certain écho avec l'actualité, depuis les attentats du 13 novembre. Pas seulement pour son titre. Je ne sais pas si c'est quelque chose dont on vous parle beaucoup, mais personnellement il m'a rappelé à cet esprit post-attentat, vantant la liberté d'aimer, de faire la fête, de vivre en France... Je ne sais pas si c'est quelque chose qui vous touche qu'on puisse percevoir le film aussi ainsi...

    Je suis très touchée, oui. D’autant plus que le titre, je l’avais décidé l’année dernière, avant tous ces événements malheureux. Ca résonne avec l’actualité, oui. On ne va pas se soumettre à ce sentiment de peur. Il faut vivre malgré tout et c’est comme ça que l’on gagne.

    On ne va pas se soumettre à ce sentiment de peur. Il faut vivre malgré tout et c’est comme ça que l’on gagne.

    Le sentiment de Peur de rien vient beaucoup du fait que quand on est dans des difficultés, on s’affranchit complètement. Ou bien l’on se soumet à ce sentiment de peur et de panique, et on arrête de vivre. C’est un sentiment de jeunesse, d’éclat, de force de ne pas avoir peur.

    Ca résonne aussi avec l’actualité de l’immigration d’une certaine manière. Tous ces gens qui arrivent avec l’espoir, qui traversent des montagnes et des mers. Ce sont des aventuriers des temps modernes pour arriver là, pour avoir une nouvelle vie. Il faut avoir l’énergie de le faire, la volonté, la foi. Ce sont des gens, en fin de compte, très optimistes ; ils croient en un avenir meilleur. Ils veulent se battre pour l’avenir de leurs enfants. Ça veut dire aussi qu’on rêve d’Europe, de France, pour la liberté.

    J’avais envie de rendre hommage à ces gens qui tendent la main, qui sont généreux, accueillants.

    Après, ce que je voulais raconter, c’est un sentiment très personnel qui va de moi à vous. J’avais envie de rendre hommage à ces gens qui tendent la main, qui sont généreux, accueillants. Ca passe aussi par les auteurs : c’est un film très référencé. J’ai rencontré autant Marivaux, Proust et Genet à la fac. Ils servent à quelque chose, ce n’est pas juste pour potasser ou briller en société.

    EXTRAIT - Peur de rien : "à la bibliothèque"

    Il y a une place importante accordée à la musique aussi (Etienne Daho, Carte de séjour, Franck Black…). Comment avez-vous choisi cette bande son pour votre film ?

    J’écoute beaucoup de choses, des choses très différentes. La musique quand j’étais petite au Liban,  pendant la guerre, ça me faisait rêver, m’échapper de mon quotidien. Il me suffisait d’écouter une musique que j’aimais et ça me faisait sortir, comme une fenêtre. Quand je mettais un disque, j’avais la sensation de changer de vie.

    La musique quand j’étais petite au Liban,  pendant la guerre, ça me faisait rêver, m’échapper de mon quotidien.

    Je voulais que le film soit ponctué par des musiques, mais pas des musiques illustratives qui seraient plaquées. Les musiques tiennent une place. C’était un budget pour le film, mais jamais je n’y aurai touché.

    C’était essentiel, au même plan que la lumière d'ailleurs. Avec ma chef opératrice Hélène Louvart, on tournait en fonction de la lumière. Parfois, on arrêtait une scène, on la tournait à nouveau ou on changeait le dispositif. Il fallait de la lumière partout, de la lumière naturelle.

    Ad Vitam

    Comment avez-vous trouvé le rôle principal du film, Manal Issa ?

    J’ai fait un casting de 700 filles. J’avais une assistante qui profilait des visages sur Internet et elle est tombée sur elle. On l’a fait venir. Il se trouve qu’elle était la plus proche du rôle. Elle était d’ici et en même temps, elle était de là-bas. Elle comprenait les allers-retours, les bascules, ce qu’on pouvait venir chercher ici… Elle vivait les mêmes choses que le rôle. Elle est assez viscérale et en même temps sensible. Elle est très juste.

    La bande-annonce Peur de rien, à l'affiche ce mercredi

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris le 1er février 2016 

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