En 1979, Michael Cimino est le cinéaste le plus courtisé d'Hollywood, après la moisson d'Oscars effectuée par son chef-d'oeuvre absolu, Voyage au bout de l'Enfer. A peine deux ans plus tard, il devient un véritable paria. Que s'est-il passé entre les deux ? La Porte du Paradis, dont on célèbre ce 22 mai le 40e anniversaire de sa sortie en salle en France.
Pour tout dire, certains ne pardonnent toujours pas à Cimino -quand bien même le cinéaste nous a quitté en 2016- cette cruelle démystification de l'Ouest américain, ni d'avoir provoqué la faillite de la United Artists, le mythique studio fondé par Charles Chaplin, D.W. Griffith et Mary Pickford, en raison de ses multiples dépassements de budget.
Tout au long du tournage, Michael Cimino a fait preuve d'un perfectionnisme frisant la mégalomanie. Il y avait déjà quatre jours de retard sur le planning après cinq jours de tournage, car il n'était pas rare que le cinéaste fasse 50 prises d'une même scène.
Au final, le tournage s'est étalé sur 165 jours. Cimino alla jusqu'à faire refaire les espacements entre les édifices d'une rue parce leurs écarts n'était pas le bon, ou repeindre une prairie qu'il jugeait pas assez verte... Les rumeurs enflèrent bien vite, comme celle où on l'accusa d'avoir dépensé 50.000 $ en cocaïne sur le tournage.
Le montage fut tout aussi épique puisque Cimino, possédant le "Final cut", posta un garde armé devant la salle de montage qui avait pour ordre de ne laisser entrer aucune personne en provenance d'United Artists. Le studio fut horrifié lorsqu'il découvrit le tout premier montage du film, issu de 220h de rush, d'une durée de 5h25. Cimino expliqua même avoir fait une concession en coupant déjà 15 min dedans.
La durée du film était de toute façon inexploitable, et Cimino ramena sous la contrainte le montage à 219 min. Ce montage ne fut projeté qu'une fois à l'occasion de la première à New York le 19 novembre 1980. Assassiné par la critique, le film ressorti en salle six mois plus tard, dans un montage de 149 minutes. Mais le mal était déjà fait : la mauvaise publicité et les critiques assassines de la première avaient déjà ruiné la carrière du film.
En 2013, nous avions eu le plaisir et honneur de longuement nous entretenir avec l'immense cinéaste, venu en France pour accompagner la ressortie de son chef-d'oeuvre maudit, dans une version remontée par ses soins. "Ce n'est pas une restauration, c'est une reconstruction !" nous avait-il lâché, comme pour mieux souligner encore les mutilations faites sur son oeuvre d'une beauté sidérante et écrasante, qui reste, 40 ans après sa sortie, un des plus grands films du cinéma américain.
Cet échange fut aussi pour lui l'occasion de revenir sur les violentes critiques faites à son film à l'époque, surtout les critiques américaines, mais aussi d'évoquer ses influences, sans oublier bien entendu de glisser quelques mots sur son film précédent, Voyage au bout de l'Enfer. Magie d'une rencontre où le temps nous a paru comme suspendu.