Les cinéphiles du monde entier n'ont pas fini de pleurer la disparition du réalisateur Michael Cimino, début juillet dernier. Immense cinéaste, secret et rare en interview, il reste un des rares exemples dont la trajectoire ascendante à Hollywood fut stoppée net dans sa course; en l'occurence par le terrible échec de la Porte du Paradis. Comme le rappelait dans une tribune hommage Vincent Paul-Boncour, le PDG de l'éditeur - distributeur Carlotta, qui avait travaillé avec Cimino à la ressortie en salle en France de la version restaurée et intégrale de La Porte du Paradis en 2013, "Cimino, c'était notamment deux titres fulgurants, Voyage au bout de l'Enfer et La Porte du Paradis, qui explosent la plupart des cinéastes d'avant lui, de son époque ou d'aujourd'hui. Deux films qui en valent cinquante dans la filmographie d'autres réalisateurs".
Si Cimino n'avait plus réalisé de film depuis son Sunchaser, sorti en 1996, il n'était pas pour autant inactif. Loin de là même. On sait par exemple qu'il a longtemps cherché à mettre sur pied une adaptation du fameux roman de Malraux, La Condition humaine.
A ce titre, le magazine Sofilm, dans son numéro 44, revient de manière passionnante sur les projets avortés de Cimino, en compagnie de Vincent Maraval, le patron de Wild Bunch, qui a bien côtoyé le cinéaste. "Gallimard m’avait déjà fait lire le scénario, ils en étaient fous. Ils n'avaient donné les droits qu’à Cimino car ils adoraient son script. Et c’était en effet le script d’un très grand film" raconte Maraval; "mais le monter aurait été impossible sans star majeure avec son nom attaché pour "effacer" celui de Cimino. [...] L'autre problème, ce n’était pas le budget, mais le temps. Avec lui, la qualité s’allie avec le temps. [...] Sauf que le temps, c’est de l’argent au cinéma. C’est pour ça que faire des petits budgets avec lui, c'est très difficile".
Un autre projet sur lequel Cimino travaillait s'intitulait Cream Rises, qui se focalisait sur la vacuité de l'existence de deux filles "un peu à la Paris Hilton et Nicole Richie complètement déconnectées de la réalité". Au bout d'une heure de film plutôt statique, l'une des deux devait se faire tuer par une des mauvaises rencontres nocturnes, tandis que la survivante revenait à la campagne avec un oncle tendance Cow Boy, que devait jouer Christopher Walken. De là un renversement des valeurs, la jeune femme abandonnant sa vision superficielle de la vie. "Pour le rôle principal, Cimino avait pensé à Taylor Swift, mais je lui ai répondu que son nom m’étant inconnu, je ne voyais pas comment monter un film avec elle. Quelques mois plus tard, elle devint une star planétaire. J’aurais dû donner plus de priorité à ce projet pour l’accélérer, car on prenait notre temps et finalement il meurt et puis merde..." poursuit Maraval.
Le script de Cream Rises fut également lu au sein de la chaîne TV Arte, qui livrait en 2014 sa vision du potentiel film : "Nous avons eu la chance de lire il y a deux ans déjà un scénario de Michael Cimino intitulé « Cream Rises », une histoire violente et désenchantée dans la Californie d’aujourd’hui autour de l’amitié de deux femmes marginales, l’une plus âgée que l’autre. Prostitution et alcoolisme. Avec la mort au bout du chemin. Un projet très « destroy » que l’on pouvait lire comme une version féminine et encore plus nihiliste du Canardeur. On l’avait dit au principal intéressé, qui n’avait pas refusé ce rapprochement, ce retour aux sources. Si seulement Cimino pouvait réaliser ce film..."
Parmi les autres projets évoqués par le PDG de Wild Bunch figure aussi One Arm, une sombre histoire d'un boxeur perdant un bras dans un accident de voiture; le projet de Biopic de Che Guevara, qui devait être réalisé par Terrence Malick puis par Steven Soderbergh; ou encore un autre projet qui faisait sacrément envie. Celui d'un film qui devait raconter l'Histoire de l'Amérique du point de vue des natives américains. "Un film sur le génocide et ensuite sur une vie à la fois protégée, dans les réserves, et humiliée par la bonne conscience américaine confrontée au crime originel. Le film devait donc se faire dans leur langue, autrement cela aurait été comme une trahison, mais ça l’empêchait de compter sur des stars, raison pour laquelle il n’avait pas pu le faire".
Vu le brûlot que fut en son temps La Porte du Paradis et sa cruelle démystification de l'Ouest américain, on imagine effectivement que cette histoire sur le génocide indien aurait à coup sûr tapé là où ca fait mal dans la mauvaise conscience de l'Amérique...
Ci-dessous, notre (longue) interview de Cimino, réalisée à l'occasion de la ressortie de "La Porte du Paradis", en 2013.