De quoi ça parle ?
Paris, automne 2015. Philippe Dayan reçoit chaque semaine dans son cabinet à deux pas de la place de la République, une chirurgienne en plein désarroi amoureux, un couple en crise, une ado aux tendances suicidaires et un agent de la BRI traumatisé par son intervention au Bataclan. A l’écoute de ces vies bouleversées, le séisme émotionnel qui se déclenche en lui est sans précédent. Pour tenter d’y échapper, il renoue avec son ancienne analyste, Esther, avec qui il avait coupé les ponts depuis près de 12 ans.
En Thérapie, tous les jeudis dès le 4 février à 20h55 sur Arte et en intégralité sur arte.tv
C'est avec qui ?
Après sept longs métrages, Eric Toledano et Olivier Nakache s'attellent à leur première réalisation de série, coécrite avec les scénaristes Vincent Poymiro, David Elkaïm, Pauline Guena, Alexandre Manneville et Nacim Mehtar. Les trente-cinq épisodes de la série sont coréalisés à dix mains par Nakache et Toledano avec Mathieu Vadepied (également directeur artistique de la série), Pierre Salvadori et Nicolas Pariser. Devant la caméra, Frédéric Pierrot campe Philippe Dayan, un psychothérapeute qui perd pied face à ses patients : Ariane (Mélanie Thierry), une chirurgienne bouleversée par les victimes du Bataclan et qui ne lui est pas insensible, Adel (Reda Kateb), brigadier des forces d'intervention affecté par la nuit des attaques qui refoule ses émotions, Camille (Céleste Brunnquell, révélée dans Les Eblouis), une jeune athlète ayant provoqué un accident de la route, Damien et Léonora (Pio Marmaï et Clémence Poésy), un couple bourgeois en crise, et enfin Carole Bouquet dans le rôle d'Esther, son ancienne amie et "contrôleuse" thérapeutique.
Ca vaut le coup d'oeil ?
Attention, cet article contient des spoilers !
Unité de lieu : un fauteuil et un divan dans un salon cossu du 11ème arrondissement de Paris. Unité de temps : une séance de thérapie par jour, condensée en une vingtaine de minutes. Unité d'action : le travail thérapeutique d'un psychanalyse face à ses patients. Ce minimalisme dans le concept et la mise en scène d'En Thérapie, adaptation de la série BeTipul créée par le showrunner Hagai Levi en 2005, permet de nous immerger dès les premières minutes dans l'intimité des personnages qui défilent dans le cabinet d'un psychiatre. Tandis que la série originale, adaptée depuis dans de nombreux pays, racontait le traumatisme de soldats israéliens revenant de Cisjordanie, son homologue français choisit pour toile de fond les attentats du 13 novembre 2015. Elle se déroule à Paris, quelques jours après les faits, entre les quatre murs du cabinet de thérapie.
D'une simplicité folle, sans musique, les épisodes se déroulent en huis clos, et nous focalise entièrement sur les échanges entre le thérapeute et ses patients, quasiment en temps réel. Des dialogues ciselés, d'un naturel et d'une spontanéité troublants, où pointent parfois des lapsus et des erreurs de prononciation, mais surtout des silences évocateurs. Une partition en or pour ces acteurs et actrices de cinéma, qui livrent ici toute la dimension de leur talent.
A partir d'un fil conducteur simple, illustré de façon littérale par un fil de laine qui se décompose sur fond d'images d'archives familiales dans son très beau générique (dont la musique est composée par Yuksek), En Thérapie nous rappelle les deux principes fondamentaux des séries : l'inscription dans le temps et l'attachement aux personnages. Ces derniers se livrent pourtant sans filtre, révélant leurs parts sombres, leurs défauts, leurs errances. Mais le principe même de l'écoute, incarnée par le personnage de Frédéric Pierrot, permet de créer un sentiment d'empathie vital chez celui ou celle qui les regarde. Captivés par leurs témoignages, nous sommes peu à peu frappés par la difficulté de la parole à jaillir; par les mécanismes du silence, de la culpabilité et de la honte qu'on intégrés ces patients tout au long de leur vie, souvent dès l'enfance.
Au-delà du traumatisme collectif suscité par les attentats du 13 novembre, la série fait écho avec l'actualité des différents mouvements #MeToo et la libération de la parole des victimes de violences sexuelles ou, plus récemment, des victimes d'inceste et de leur difficulté à témoigner. Les récits d'Ariane (Mélanie Thierry) et Camille (Céleste Brunnquell), qui traitent directement de cette thématique, sont à la fois déchirants et révoltants. Celui d'Adel (Reda Kateb), brigadier de la BRI traumatisé par l'intervention au Bataclan et la vue des corps sans vie, renvoie à un autre massacre, plus intime, inscrit dans l'histoire de sa famille en Algérie et dans une histoire que la France peine encore aujourd'hui à assumer. Mais il faut, de la même façon que leur thérapeute, dépasser ses préjugés et ses attentes de spectateur pour découvrir leur vérité cachée derrière leurs systèmes de défense, leurs méfiances à l'encontre du thérapeute, leurs joutes verbales et leur colère trompeuse. Une vérité qui ne peut être dévoilée qu'au prix du temps et de l'écoute.
Cette posture de spectateur actif dans lequel nous place la série permet que ces récits, à la fois personnels et collectifs, nous touchent en plein coeur. Ils questionnent notre rapport à l'autre, à l'intime, à nos peurs et nos traumatismes, tout en réussissant l'exploit de parvenir à vulgariser le champ de la psychanalyse. Une série passionnante à suivre en ces temps troublés, et dont on ressort presque apaisés. Mais certainement pas indemnes.
On décrypte En Thérapie avec Olivier Nakache et David Elkaïm dans l'émission Spotlight D'Allociné :