Après Firefly et le remake de V, Morena Baccarin poursuit son petit bonhomme de chemin dans la science-fiction sur petit écran, en s'illustrant dans un épisode de la saison 2 de The Twilight Zone : "L'Interruption" ("Downtime" en VO). Soit l'histoire d'une femme à qui tout réussit, mais qui se met à douter de la réalité qui l'entoure. Un récit sur lequel la comédienne, vue également dans Gotham et Deadpool, revient à notre micro.
AlloCiné : A quel point l'implication de Jordan Peele a-t-elle compté dans votre envie participer à "The Twilight Zone" ?
Morena Baccarin : Ça a beaucoup joué car je suis très fan de son travail, même si la proposition qui m'était faite avec cet épisode était assez séduisante en elle-même. Mais je trouve qu'il fait un travail fantastique, sur la série comme ailleurs. Je ne peux pas dire que j'ai tout vu de ce qu'il a fait, mais une bonne partie oui.
Qu'est-ce qui a été marquant pour vous, dans cet épisode, aussi bien au niveau de ses thèmes que du tournage ?
J'étais fascinée par l'idée d'avoir un personnage qui, au début, paraît si heureux et plein de succès dans sa vie, pour ensuite voir son monde s'effriter petit-à-petit et révéler que la réalité de Michelle n'existe pas. J'aime ce concept car nous lions souvent les notions de bonheur et de succès à notre représentation du monde extérieur, et c'était une manière intéressante de développer cette idée. Et le tournage, dans ces villes iconiques de Vancouver et son île, avait des allures de trip : tout est soigné et propre au niveau des bâtiments, et tout à coup vous avez des personnes qui regardent vers le ciel avec la bouche ouverte. C'est très déconcertant, comme lorsque vous avez le sentiment que tout le monde est conscient de la même chose, mais pas vous. Au début on se dit qu'on a de la chance, puis on se rend compte que l'anomalie, c'est nous. C'est à la fois effrayant, et cela demande beaucoup sur le plan émotionnel.
Notre identité se définit-elle par rapport à la réalité qui nous entoure directement, ou notre cheminement interne ?
Le sujet principal de "L'Interruption", qui oppose intelligence artificielle et réalité, est encore plus parlant en cette période de Covid-19 où l'on cherche des manières de s'évader. Le voyez-vous différemment aujourd'hui par rapport à l'époque où vous l'avez tourné ?
Bien sûr ! Lorsque nous avons commencé à travailler dessus, nous avons réfléchi à divers concepts et types de réalités et d'échappatoires. Et aujourd'hui, nous pratiquons une forme d'auto-médication avec les jeux vidéo, internet… Même notre manière de consommer l'information est différente. Nous vivons une époque dans laquelle il faut y réfléchir à deux fois lorsque l'on veut faire quelque chose qui implique d'autres personnes, et cela peut conduire à des visites virtuelles de musées, ce qui n'est pas très éloigné de ce dont parle l'épisode. C'est très étrange, mais cela appuie son propos.
Quelle est pour vous la morale de votre épisode ?
Il y en a plusieurs, selon moi. Mais la principale concerne notre identité, qui nous sommes au fond de nous-mêmes : notre identité se définit-elle par rapport à la réalité qui nous entoure directement, ou notre cheminement interne ?
Que représente "La Quatrième dimension" pour vous en général ?
Je me rappelle avoir vu quelques épisodes de la première série quand j'étais plus jeune, et ça m'avait forcément parlé. J'ai eu les réactions que nous avons tous devant, à savoir que c'est inquiétant mais que vous ne pouvez pas vous arrêter de regarder. C'était donc excitant de pouvoir en faire partie.
Qu'est-ce qui différencie cette version de la série des précédentes ?
Nous avons davantage accès à la technologie, ne serait-ce que pour filmer les choses, ce qui rend l'ensemble un peu plus inquiétant encore. Mais j'imagine que les scénarios de fin du monde de l'originale devaient être difficiles à tourner à l'époque. Et le hasard fait que le monde d'aujourd'hui a des allures de Quatrième Dimension, alors que nous sommes isolés les uns des autres, mais cela prouve la pertinence de la série sur le plan social.
Vous vous êtes souvent illustrée dans le domaine de la science-fiction et c'est encore le cas ici. Est-ce votre genre préféré ou un hasard ?
Un peu des deux je pense. Tout a commencé avec Firefly, qui a ensuite donné envie aux gens de me caster dans ce registre. Mais je trouve que la science-fiction aborde des sujets intéressants ou donne naissance à de vrais bons personnages féminins, et je trouve que cette façon de repousser les limites n'est pas forcément à l'œuvre dans tous les genres. Le monde de la SF est fantastique et peut se révéler émancipateur, surtout pour les femmes.
Quel est le rôle de l'art et du divertissement dans la période que nous vivons actuellement ?
Ils peuvent viser deux objectifs : bien évidemment passer le mot, éduquer et donner aux gens qui ont besoin d'être vus et entendus une plateforme, un espace ; et permettre de s'évader. Pour moi, La Quatrième Dimension atteint ces deux objectifs, car c'est divertissant et assez parlant pour que chacun s'y reconnaisse. Sans évoquer ce qu'il nous arrive de manière frontale, mais en utilisant un langage commun. C'est très précieux.
Lorsque Jordan Peele a annoncé "The Twilight Zone", il a expliqué qu'il avait le sentiment que notre monde était en quelque sorte devenu "La Quatrième Dimension". Ressentez-vous la même chose ?
Maintenant oui (rires) Je ne sais pas si c'était déjà le cas avant, mais au vu de ce qu'il se passe aujourd'hui et de l'isolation dans laquelle nous vivons, nous pouvons très bien écrire une série dans laquelle se pose la question de la réalité : est-ce le fruit de notre imagination ? Allons-nous nous réveiller pour constater que rien de cela ne s'est produit ? Il y a de quoi s'amuser et être créatif par rapport à ce à quoi nous sommes actuellement confrontés. Le monde a, en général, des allures de Quatrième Dimension à cause de notre conscience de ce que nous sommes et de notre place dans l'univers. Lorsque vous réfléchissez aux concepts d'autres galaxies, et de l'emplacement de la Terre, quand on se demande si nous sommes vraiment seuls dans l'univers, on retrouve l'esprit de la série. Mais c'est encore plus le cas aujourd'hui.
Vous ne rencontrez pas des gens en leur racontant tout sur vous d'emblée, donc pourquoi le feriez-vous avec des posts ?
Les réseaux sociaux ont eux aussi des allures de "Quatrième Dimension", et notamment en ce qui concerne la "cancel culture", lorsque des gens découvrent des choses qui changent la vision qu'ils ont de leurs idoles. Votre épisode y fait-il référence dans sa manière de montrer l'image que nous donnons de nous-mêmes, notre façon de nous présenter différemment de ce que nous sommes ?
Ça ne m'avait pas sauté aux yeux, mais je pense que c'est vrai. Les réseaux sociaux mettent une pression injuste en demandant aux gens d'être immédiatement transparents alors que cela n'est pas possible en vrai. Vous ne rencontrez pas des gens en leur racontant tout sur vous d'emblée, donc pourquoi le feriez-vous avec des posts ? Je sais bien que certaines personnes disent qu'elle se présentent telles qu'elles sont vraiment, mais chacun ne poste que ce qu'il veut et ce qui reflète le meilleur de lui-même, et on ne peut pas lui en vouloir.
Êtes-vous sensible à la diversité à l'œuvre dans ces deux saisons de "The Twilight Zone", aussi bien au niveau du casting que des histoires ?
Oui, mais cela se produit dans le monde en général. Les gens se sentent davantage représentés. Et c'est important, car c'est la réalité dans laquelle nous vivons. Je n'ai pas vu tous les épisodes de la saison 2, mais rien que dans le mien, en sachant que j'ai moi-même la peau foncée, il n'est pas question de race, mais de montrer la société telle qu'elle est. La série a été comme mise à jour, elle est en phase avec l'époque actuelle.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 22 juin 2020
La saison 2 de "The Twilight Zone" est disponible sur myCANAL, et ses épisodes sont diffusés chaque vendredi soir à 23h, à raison d'un par semaine, sur Canal+ Séries.