Aperçu dans la saison 8 d'American Horror Story, Billy Porter est surtout la star de Pose, autre bébé de Ryan Murphy lancé en 2018. Un show qui met en lumière les minorités et la communauté LGBTQ+ dont l'acteur est devenu l'une des voix emblématiques outre-Atlantique. En attendant la saison 3, c'est dans The Twilight Zone, reboot produit par Jordan Peele, qu'il s'illustre le temps d'un épisode au cours duquel un homme découvre qu'il peut prendre possession du corps d'une autre personne située à proximité en un clin-d'œil. L'occasion de s'entretenir avec le comédien, au cœur d'une actualité brûlante.
AlloCiné : "The Who of You" est un épisode incroyablement opportun, avec cette idée d'un homme Blanc qui s'approprie le corps d'autres personnes pour satisfaire ses besoins égoïstes puis refuse de revenir à la raison. C'est une bonne métaphore de la situation que nous vivons actuellement, développée avec beaucoup de subtilité, ce qui est assez rare pour l'époque.
Billy Porter : Ce que j'aime avec La Quatrième dimension et qui est inscrit dans son identité, c'est que la série a toujours été ancrée dans le domaine de la parabole. Elle a toujours reposé sur cette idée de créer des histoires qui tendent un miroir à l'humanité, en posant ces questions simples que nous devrions nous poser, mais de façon créative. C'est, pour moi, assez proche de ce à quoi la Bible était initialement destinée, avec des métaphores, des paraboles et des morceaux d'histoires qui peuvent parfois nous permettre de nous voir différemment et faire face à une partie de l'humanité à laquelle nous ne nous sentons pas connectés. Il y a donc la possibilité de raconter ces histoires de manière subtile, même si l'époque n'est effectivement pas à la subtilité (rires) Il n'y a qu'à regarder ce qui se passe dehors, c'est assez évident. Et moi-même, je ne fais pas dans la subtilité (rires) Je cherche à dire la vérité de la façon la plus facilement compréhensible.
Quels souvenirs gardez-vous de la première version de "La Quatrième dimension", et en quoi celle-ci est différente ?
J'étais très jeune et je regardais la série tard le soir, avant que les programmes ne s'arrêtent, à deux heures du matin, lorsqu'il n'y avait encore que trois chaînes. Je regardais le dernier des programmes et c'était souvent La Quatrième dimension. L'horaire était parfait, car quoi de mieux qu'une série qui s'exprime à travers des paraboles et vous donne des conseils pour avancer dans la vie, prendre des décisions humaines et mieux voir le monde avant d'aller se coucher, pour mieux la digérer pendant la nuit. J'y ai trouvé un lien avec mon éducation religieuse, avec cette idée de parabole, et j'aime le fait que cette nouvelle version ait conservé l'esprit de l'originale, tout en la modernisant pour l'adapter aux problèmes que nous rencontrons dans cette culture.
Notre génération, et pas seulement aux États-Unis, vit une période de transfomation. Une transition. Un référendum entre le Bien et le Mal.
Comme vous l'avez dit un peu plus tôt, vous savez vous faire entendre pour défendre les droits de la population noire-américaine et des personnes LGBTQ+. En quoi cet engagement influe-t-il sur vos choix de rôles, y compris dans une série telle que celle-ci ?
Étant un artiste Noir et queer, j'ai passé la majorité de ma vie et de ma carrière à créer un espace pour que mon identité se fasse voir. Pour que les histoires partant de mon point de vue puissent être racontées. Il a fallu du temps pour que cela arrive, mais je suis reconnaissant d'avoir pu vivre assez longtemps pour voir le jour où moi, Billy Porter, je peux être authentique et exister auprès du grand public. Ça c'est la bonne nouvelle, ce changement. Mais j'espère que nous pourrons poursuivre, en tant qu'artistes, dans cette voie. Que nous pourrons continuer à raconter les histoires des tous les types de personnes, car je sais que l'art possède la capacité d'atteindre le cœur et l'esprit des gens et de les changer intérieurement. Je n'ai jamais perdu l'espoir que nous y parvenions. Et je suis même honoré de savoir que j'ai cette responsabilité, que j'accepte avec fierté et humilité.
Au vu de tout ce qu'il s'est passé en 2020, surtout aux États-Unis, seriez-vous étonné d'apprendre que nous vivons désormais dans la Quatrième Dimension ?
(rires) J'ai déjà dit plusieurs fois que j'avais l'impression de vivre dans la Quatrième Dimension. Et ce depuis le jour de la victoire d'Orangina 45 [Donald Trump, ndlr]. Quand il est entré dans la course à l'élection présidentielle, je pensais d'abord impossible qu'il gagne, mais c'est la façon dont il était traité, dont ses propos étaient rapportés et la manière de le présenter comme un clown au début qui me terrifiaient le plus. Et c'est ce qui m'a fait penser qu'il était possible qu'il gagne. Car nous ne faisions pas attention. Et j'ai maintenant l'impression que nous vivons dans la Quatrième Dimension, que notre humanité est en jeu. Notre génération, et pas seulement aux États-Unis, vit une période de transfomation. Une transition. Un référendum entre le Bien et le Mal.
Cela m'inspire comme jamais, car j'ai longtemps craint que les réseaux sociaux et la télé-réalité ne nous aient rendus insensibles aux images terrifiantes qui, jadis, ont nourri plusieurs mouvement comme le Civil Rights Movement, alimenté par la manière dont le gouvernement manipulait les médias, tandis que les activistes LGBTQ+ sont motivés par la façon dont ces mêmes médias sont utilisés. J'avais peur que nous ayons perdu l'impact de ces images et la manière dont elle peuvent transformer l'opinion publique. Que la mort de George Floyd ait ravivé cette flamme, que les gens soient de nouveau dans la rue à demander à ce qu'on les écoute, c'est encourageant, inspirant et cela me donne beaucoup d'espoir.
Depuis ses débuts en 1959, "La Quatrième Dimension" s'est appuyée sur des éléments fantastiques et de science-fiction pour exprimer les peurs et craintes de son époque, et c'est encore le cas dans la nouvelle version. Pensez-vous que les métaphores et les paraboles sont des manières plus efficaces de parler de nous-mêmes qu'en le faisant de façon plus réaliste ?
C'est le morceau de sucre qui aide la médecine à couler, comme l'a dit Mary Poppins il y a des années de cela. J'ai le sentiment que lorsque nous pouvons raconter des histoires sous la forme de métaphores et de paraboles, cela permet de ne pas donner l'impression que l'on humilie ou que l'on blame les gens. Cela ouvre un espace dans lequel nous pouvons simplement présenter des faits, et permettre aux personnages à qui l'histoire s'adresse de prendre leurs propres décisions. C'est une méthode très puissante, même si je pense que, par les temps qui courent, nous pouvons nous permettre d'être un peu plus précis et directs. J'y crois et une bonne partie de mon travail créatif actuel consiste à trouver des manières d'être explicite.
Comment la nouvelle manière de consommer des contenus et des films, via des plateformes notamment, aide-t-elle à aborder les nouvelles questions de morale, d'éducation et d'éthique ?
Lorsque j'ai fait mon coming out à ma mère, qui était très religieuse et pentacostale [courant évangélique chrétien né aux États-Unis au début du XXe siècle, ndlr], nous étions bien évidemment opposés sur la question de l'homosexualité par rapport à ce qu'en disait la Bible. Cela a duré des années, et je l'ai exposée à différentes formes d'art, car je pensais que cela l'aiderait à comprendre : des livres, des films, des pièces de théâtre… Et c'est grâce à ces diverses expériences que j'ai pu assister à son évolution en temps réel. C'est puissant de voir ces formes se connecter à notre humanité, et cette nouvelle version de la série le fait très bien.
Avez-vous eu des discussions avec Jordan Peele, et en quoi l'importance acquise par sa voix vous aide-t-elle en tant qu'artiste ?
Jordan a d'abord réussi à se faire un nom à Hollywood, avant de créer un espace pour que les personnes de couleur puissent y prospérer, dans des domaines dans lesquels nous n'existions pas auparavant. Et je pense que voir un homme Noir à la tête de cette série associée aux Blancs pendant si longtemps en élargit grandement sa portée. Aujourd'hui, The Twilight Zone peut vraiment parler à n'importe qui, car lorsque nous y voyons une réflection de nous-mêmes, nous pouvons plus facilement nous plonger dans cet espace. Je suis d'ailleurs très content qu'il m'ait inclus dans cet espace qu'il a créé (rires)
ATTENTION - La question ci-dessous porte sur une scène précise de l'épisode, et peut donc contenir un potentiel spoiler. Veuillez alors passer votre chemin si vous ne l'avez pas encore vu, pour mieux revenir ensuite.
Dans une scène de l'épisode, Ethan Embry nous offre sa meilleure imitation de Billy Porter. Avez-vous dû le coacher pour en arriver à ce résultat ?
(rires) Je dois vous avouer que je ne l'ai pas vu faire cela sur le plateau. C'est un épisode très déroutant à lire et à tourner, car on se demande sans cesse qui est devenu le personnage principal à un moment précis, et quels attributs il a hérités de la personne en question. Nous avons eu une seule session de travail ensemble : pendant une demi-heure, nous avons échangé sur mes scènes et il m'a donné la réplique, sans "m'incarner" pour autant. Et je pense que c'est en m'observant qu'il a trouvé comment m'imiter. Je ne sais pas s'il a vu d'autres de mes travaux, ou s'il m'a écouté parler sur les réseaux sociaux, mais quand nous avons vu l'épisode avec mon mari, j'ai halluciné : "Oh mon Dieu ! Mais c'est moi !" (rires) C'était très drôle, et très réussi.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 19 juin 2020
La saison 2 de "The Twilight Zone" est disponible en intégralité sur myCANAL, et diffusée au rythme d'un épisode tous les vendredis soirs (23h) sur Canal+ Séries :