Adorables - réalisé par Solange Cicurel
Emma et Victor sont les parents de Lila. Alors qu’elle fête ses 14 ans, Lila commence sa crise d’ado et passe d’une enfant parfaite à une adolescente insupportable. Victor tente d’apaiser les tensions mais entre mère et fille, la guerre est déclarée ! Tous les coups sont permis et plus question d’être adorables...
AlloCiné : Adorables va au-delà de la simple "comédie d'été". En quoi ce film vous a touchés ?
Elsa Zylberstein : Ce qui m’a intéressée, c’est que c'est au départ la crise d’adolescence d’une fille, pour finalement découvrir que c’est la mère qui fait sa crise d’adolescence. Ça devenait une guerre des roses entre une mère et une fille. Les parents étant séparés, ils ont chacun leur manière d’éduquer leur fille : et à travers la manière dont mon personnage éduque sa fille, elle réalise que sa mère a fait des erreurs avec elle, qu’elle n’a pas réglé ses problèmes avec sa mère, et qu’elle va aller se plaindre et, comme une ado de 17 ans, péter un boulon avec sa propre mère et faire littéralement sa crise d’adolescence.
Lucien Jean-Baptiste : Et moi, comme c’est la guerre, je suis l’ONU. Le casque bleu. (Rires) J’essaie de temporiser. Et puis malheureusement, comme beaucoup de pères ou de mecs, j’ai un peu le beau rôle : il doit voir sa fille un week-end sur deux, c’est une position facile de dire à la maman "tu gueules trop". C’est normal, lui ne s’occupe pas de grand-chose au quotidien. C’était intéressant de montrer cet aspect des choses.
Elsa Zylberstein : Je dis toujours qu’il faut du drame dans la comédie et de la comédie dans le drame, et je trouvais que ça allait loin dans les délires à ce niveau-là. Quand mon personnage fait sa crise d’adolescence, ça va loin dans sa folie, elle n’a plus de retenue, il y a un côté almodovarien, femme au bord de la crise de nerf, qui vacille, qui n’a plus de limite, qui rencontre un mec, qui est troublée, qui a tout à coup 17 ans… Il y a une implosion intéressante. Et puis socialement, ce que ça dit sur les familles, les relations mère-fille et père-fille, je trouvais ça vraiment profond.
Est-ce que la présence d'une femme derrière la caméra, en la personne de Solange Cicurel, a aidé à amener cette profondeur et cette subtilité sur ce sujet précis ?
Lucien Jean-Baptiste : C’est vrai qu’il y a un côté film de femmes, mais dans le bon sens du terme. Il y a beaucoup de jolis portraits de femmes, entre la grand-mère, les copines, la mère et la fille, qui montrent les difficultés que peut avoir une femme aujourd’hui à devoir gérer son travail, sa relation avec ses parents, sa relation avec ses enfants… Cette responsabilité et cette charge portée par les femmes aujourd’hui. C’était intéressant à ce niveau-là. Et c’est vrai que le fait que ce soit Solange Cicurel donne une vision plus profonde et sérieuse que si ça avait été moi à la réalisation, par exemple.
Elsa Zylberstein : Et surtout, elle a vraiment vécu ça avec sa fille. Quand j’ai lu le scénario et que je lui ai demandé si ça n’allait pas trop loin, elle m’a dit que tout était vrai ! Le fait que ce soit réel et véridique dans cette relation entre une ado et une mère, la porte s’est ouverte. Il y a une véracité, un vrai sujet entre les mères et les filles, et à partir de là tout devient possible, avec cette originalité qui est que la mère fasse une crise d’adolescence à son tour. Sinon des films d’ado on en a vu plein, de LOL à La Boum. Et très réussis. Mais là, ce qui est original et qu’on n’a jamais vu, c’est que c’est la fille de 40 ans qui fait sa crise d’adolescence.
C'est aussi un film sur le mal qu’on peut parfois se dire quand on s’aime...
Elsa Zylberstein : C’est vrai. Tout d’un coup, il faut percer l’abcès, et ça va loin dans la détestation parce qu’elles s’aiment. Et ce film est plein d’amour justement. Elles ne savent plus comment se dire "Je t’aime" à ce moment-là, et malgré le fait que mon personnage soit psychanalyste, elle n’a pas les clés pour s’occuper d’elle-même. Elle conseille les autres, elle a une bonne écoute, mais quand ça arrive dans sa famille elle n’a pas forcément les armes.
Lucien Jean-Baptiste : Moi, j’assistais à leurs échanges comme à des finales Nadal-Federer ! (Rires) Je n’étais qu’acteur sur ce film, donc j’avais tout loisir d’observer l’engagement de chacune et en particulier d’Elsa qui se jetait dans ces scènes avec une authenticité incroyable. C’est vrai qu’en famille, on s’autorise des mots qu’on ne s’autoriserait pas avec des amis ou des inconnus. Parfois, en famille, ça va très loin. Et là-dessus le film est très juste.
Dans le film, on découvre une jeune actrice, Ioni Matos, pour qui vous avez été une maman et un papa de cinéma. Comment l'avez-vous accompagnée dans cette expérience ?
Lucien Jean-Baptiste : Du fait de mon personnage, qui est un peu médiateur, je pouvais l’accompagner avant les scènes. C’était peut-être plus dur pour Elsa, parce que le rapport de jeu était tendu.
Elsa Zylberstein : Comme on devait tout le temps s’affronter, c’est vrai que ce n’était pas évident. Mais elle est travailleuse et consciencieuse. Parfois, je lui disais de sortir du texte pour revenir au sens de la scène. Je voulais que ça sorte d’elle, mais ce n’est pas évident car elle avait 11 ans au moment du tournage. Mais elle a assuré, vraiment, et nos scènes étaient jouissives à jouer.
Lucien Jean-Baptiste : Et puis il y a un phénomène de locomotive : quand Elsa donne le tempo de la scène, avec son engagement, normalement ça suit derrière. Tu ne peux pas être en dessous. Sinon c’est naze.
Elsa Zylberstein : Je mettais la barre assez haut pour qu’elle enquille. Et la réalisatrice ne la lâchait pas pour obtenir le bon niveau d’engagement. On reprenait encore et encore, et la petite y allait !
La mixité de votre ex-couple ne pose jamais question dans le film. Paradoxalement, je la pose : est-ce que la question de la diversité à l'écran et de l'évolution des mentalités passe par ce genre de petites choses selon vous ?
Elsa Zylberstein : Quand la réalisatrice m’a dit que j’allais donner la réplique à Lucien Jean-Baptiste, j’ai trouvé que c’était une super idée. Dans le scénario, il n’y a pas écrit que le personnage est noir. Pour moi, ça me paraissait juste évident. Comme Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin par exemple. C’est bien que les choses se fassent ainsi, et tant mieux si cela peut éveiller les consciences. Et puis heureusement qu’il y a des rôles comme ça. Ça me paraît évident, en fait, et ça donne un vrai reflet de la société.
Lucien Jean-Baptiste : Et du coup, on milite juste en créant. C’est une forme de militantisme à laquelle on devrait s’attacher aujourd’hui. Mais que ce soit pour n’importe quelle cause. Faire évoluer les codes du cinéma, les personnages, les rôles… Pourquoi le boucher doit toujours être rond avec une grosse moustache ? Non. Il faut faire évoluer les mentalités de façon douce, sans même que les gens ne le ressentent. Et après, peut-être que dans la rue ils s’étonneront moins de voir un couple mixte, par exemple. Et ce sera peut-être parce qu’ils ont vu des images de Adorables. Ça passe par de petites choses comme ça. Le cinéma est aussi un terrain de lutte, mais une lutte douce et tranquille, par la création.