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    Dune sur Netflix : retour sur le film maudit et renié de David Lynch
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Disponible ce 1er mai sur la plateforme Netflix, le film "Dune" signé par David Lynch, que l'intéressé rejette violemment, reste une blessure encore à vif pour lui, 36 ans après sa sortie. Retour sur ce film maudit... Mais culte.

    AMLF

    En cette période de confinement collectif dû au Covid-19, le réalisateur David Lynch racontait il y a quelques jours encore sa routine quotidienne auprès du Hollywood Reporter. Evoquant les premières photos dévoilées du nouveau film Dune que prépare Denis Villeneuve, le journaliste du HR, Seth Abramovitch, lui demande ce qu'il en pense. "Ca ne m'intéresse absolument pas !" lâchait le cinéaste. Et d'enfoncer le clou : "parce que ca été une grande douleur. C'était un échec et je n'avais pas le final cut. J'ai déjà raconté ça un milliard de fois ! Ca n'était pas le film que je voulais faire. J'aime beaucoup certaines parties, mais globalement ca été un échec personnel total". 36 ans après la sortie de son film maudit et qu'il a largement renié depuis, la plaie reste visiblement encore à vif...

    Dune, de Jodorowsky à David Lynch 

    Ce devait être sans doute un, sinon LE film de Science-Fiction le plus ambitieux jamais réalisé dans l'Histoire du cinéma. Trop ambitieux très certainement. "Je voulais faire un film qui donnerait aux gens qui prenaient du LSD à cette époque les hallucinations qu'on a avec la drogue, mais sans hallucination. Je ne voulais pas qu'ils prennent du LSD, je voulais fabriquer les effets de la drogue et changer la mentalité du public. Je voulais créer un prophète, pour changer les jeunes esprits dans le monde entier. Pour moi, Dune serait l'arrivée d'un dieu. Un dieu artistique et cinématographique. Il ne s'agissait pas de faire juste un film. Je voulais créer un objet sacré, libre, ouvrant de nouvelles perspectives." explique avec une incroyable et émouvante sincérité le grand Jodorowsky, dans l'extraordinaire documentaire Jodorowsky's Dune, justement consacré à cette entreprise maudite.

    En 1975, le producteur français Michel Seydoux propose ainsi à Alejandro Jodorowsky une adaptation très ambitieuse du roman culte de SF Dune au cinéma. Ce dernier, déjà réalisateur des films cultes El Topo et La Montagne sacrée, accepte. Il dresse alors une liste de talents -qu'il appelle d'ailleurs ses "guerriers"- qui ressemble surtout à un véritable Who's Who de collaborations artistiques à donner le tournis. Jean Giraud (Moebius), Dan O'Bannon, le futur scénariste d'Alien, Hans-Ruedi Giger, le futur créateur d'Alien, et Chris Foss, pour commencer. Des noms qui vont être de toutes les (grandes) aventures cinématographiques de SF des années 70-80 : Star Wars, Alien, Blade Runner... Le casting réunit quant à lui Mick Jagger, Orson Welles, Salvador DaliDavid Carradine ou Amanda Lear, mais également le jeune fils du cinéaste, Brontis JodorowskyPink Floyd et Magma acceptent de signer la musique du film.

    Le producteur et Jodorowsky réunissent alors tous les Artworks, dessins préparatoires, scripts et storyboard dans une colossale Bible du projet, et donnée à toutes les Majors, afin de les convaincre de lâcher les 5 millions de dollars nécessaires pour boucler le budget du film, sur une enveloppe globale de 15 millions. Si les studios louent le caractère incontestablement novateur de ce projet, pas un ne souhaite pourtant mettre la main au porte-monnaie. La raison ? Michel Seydoux la donne lapidairement dans le film : aux yeux des Majors, "tout était génial... Sauf le metteur en scène" qui leur faisait peur, car sans doute incontrôlable.

    La blessure

    Par leur refus, les studios ont finalement tué le projet. Ironiquement, il fut récupéré par Raffaella De Laurentiis, la fille du fameux producteur Dino De Laurentiis. L'adaptation fut ainsi d'abord confiée à Ridley Scott en 1980 mais lorsqu'il a appris le décès de son frère aîné, le réalisateur a demandé à avoir un film à tourner dans l'immédiat afin d'oublier sa tristesse. Scott s'est finalement désisté pour s'engager sur la réalisation de Blade Runner. Laurentiis s'est alors tourné vers David Lynch. Elle avait été d'ailleurs très impressionnée par Elephant Man. Lynch, qui venait de refuser Le Retour du Jedi, s'enthousiasme de la proposition de De Laurentiis qui lui assure la production de son film suivant, Blue Velvet. Le réalisateur, âgé alors de 36 ans, se voit confier un budget de 45 millions de dollars. Une grosse somme. Avec l'aide d'Eric Bergren et Christopher De Vore, il se lance dans l'écriture de Dune mais insatisfait des différentes versions, il décide de finaliser seul le scénario. Il réunit devant la caméra un casting composé de José Ferrer (Lawrence d'Arabie), Jürgen Prochnow (Das Boot), Patrick Stewart, Max von Sydow, Sean Young, le chanteur Sting et Kyle MacLachlan qui fait ses débuts à l'écran. La musique est quant à elle confiée au groupe Toto.

    L'équipe s'installe au Mexique, où le tournage, éprouvant, durera un an. Un millier de personnes est confronté aux maladies, aux authentiques tempêtes de sable, à la chaleur et aux autorités locales corrompues. Pour ne rien arranger, le studio est partagé avec l'équipe de Conan le Destructeur de Richard Fleischer, autre production de De Laurentiis qui se tourne au même moment pour réduire les coûts.

    Le premier montage que livre Lynch fait 4h; mais celle qui obtient ses faveurs dure près de 3h. C'est encore trop pour les producteurs, qui souhaitent raboter le montage pour le ramener à une durée plus conventionnelle; soit environ 2h. De Laurentiis père et fille procèdent donc à de nombreuses coupes, retournent même quelques scènes pour simplifier l'histoire, et ajoutent la voix off de Virginia Madsen, notamment pour ouvrir le film.

    En voici d'ailleurs la bande-annonce...

    Malgré une importante campagne publicitaire mettant en avant à la fois les noms de Frank Herbert, David Lynch et Sting, Dune est un échec public et critique cuisant à sa sortie aux Etats-Unis en 1984. Si l'accueil est plus chaleureux en Europe et au Japon, le film ne rentre pas dans ses frais et la suite, sur laquelle Lynch planchait déjà, est immédiatement annulée. Il ne rapporta qu'une trentaine de millions de dollars au Box Office mondial. Autant dire une gifle cinglante...

    En 1988, Dune est diffusé à la télévision américaine sous le format d'une mini-série de deux épisodes d'1h30 chacun (une version de 3h et d'une traite a d'ailleurs été disponible en DVD zone 1). Une version que David Lynch a logiquement renié, exigeant que son nom soit retiré du générique et remplacé par les noms d'Alan Smithee au poste de réalisateur et de Judas Booth à celui de scénariste (Judas pour l'apôtre de Jésus et Booth pour l'assassin d'Abraham Lincoln). Nous avions d'ailleurs largement évoqué dans un précédent papier l'histoire de ce fameux pseudonyme.

    "J’aime à dire que mes films sont mes enfants et qu’il est hors de question que je les mette en rang pour choisir celui que je préfère. Je peux vous dire en revanche que l’un d’eux me cause beaucoup de souci : Dune" lâchait le cinéaste aux Inrocks dans une interview en octobre 2011. Un sentiment qui reste inchangé, malgré le poids des années...

    Dune
    Dune
    Sortie : 6 février 1985 | 2h 20min
    De David Lynch
    Avec Kyle MacLachlan, Jürgen Prochnow, Francesca Annis
    Spectateurs
    3,1
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