Tout commence avec un glaçon. Un glaçon qu'Hunter, l'épouse d'un riche héritier promis à un bel avenir, avale dans son intégralité, sans sourciller. S'en suit une descente aux enfers, ou plutôt un acte de rebellion, celui d'une femme qui avale tout ce qui traîne pour exorciser son mal-être. Ce trouble obsessionnel compulsif (TOC) existe et il a un nom : Pica. La maladie est le sujet du premier long-métrage de Carlo Mirabella-Davis, Swallow, auréolé du Prix spécial au 45e Festival du cinéma américain de Deauville en 2019. Dans la peau du personnage principal, Haley Bennett est une véritable révélation. Habituée aux seconds rôles (Equalizer, La Fille du train), l'actrice incarne ici une femme au foyer brisée par les conventions sociales. Une performance saisissante qui rappelle celle de Julianne Moore dans l'immense Safe de Todd Haynes ou celle de Delphine Seyrig dans le film culte de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Rencontre avec une comédienne méticuleuse.
Allociné : Vous étiez le premier choix du réalisateur, Carlo Mirabella-Davis. Il vous a même écrit une lettre pour vous proposer le rôle. Lorsque vous avez lu le script pour la première fois, qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter son invitation ?
Haley Bennett : C’est vrai, il m’avait envoyé une lettre. C’est toujours très étrange quand un cinéaste pense directement à vous et estime que vous êtes le choix idéal. C’est difficile à croire. J’ai donc lu sa lettre, dans laquelle il expliquait le destin de sa grand-mère, qui a inspiré ce film. Cela m’a beaucoup intrigué. Mais quand j’ai découvert le scénario, j’étais époustouflé. Je l’ai tellement aimé que je pensais être folle et c’est peut-être pour cette raison qu’il m’a choisie (rires). Quand nous nous sommes rencontrés, j’ai tout de suite compris que nous étions sur la même longueur d’ondes et que nous partagions la même vision. On m’a, par la suite, proposé d’être productrice, car c’est un film à petit budget. Nous avons donc eu beaucoup de discussions sur le script, mais aussi sur les personnages, les décors et les costumes. Dès le départ, l’investissement a été total. D’ailleurs, je ne me suis jamais autant investie dans un film que dans celui-ci.
Vous ne connaissiez pas l’existence de la maladie de Pica avant ce film. Comment avez-vous construit un personnage si complexe, atteint d’un syndrome qui vous était inconnu ?
J’avais cette idée que mon personnage, Hunter, portait des masques et qu’une fois qu’elle enlevait ces masques, elle dévoilait de nouvelles facettes d'elle-même. Il existe plusieurs versions de cette héroïne. C’est une femme qui vient d’une classe moyenne, mais qui essaye de s’intégrer dans un milieu bourgeois et très patriarcal. Elle joue sans cesse un rôle. Elle est également une femme qui a longtemps été maltraitée par sa mère et qui renferme un lourd secret. Et puis, il y a cette Hunter qui essaye désespérément d'accéder au bonheur, de tracer sa route, mais qui finit par devenir la propriété d’un homme, d’une famille. J’avais besoin de comprendre tous ces aspects avant d’entendre le premier "Action !". Durant le tournage, je pouvais alterner entre ces différentes personnalités. Celle qui essaye de se libérer. Celle qui essaye de se conformer. Et celle qui fait face à la honte. C’était beaucoup à digérer, je vous l’accorde.
Les spectateurs remarqueront l’importance de vos tenues vestimentaires dans le film, ou celle de votre coupe de cheveux, qui évolue au cours de l’intrigue. Comment avez-vous collaboré avec la costumière pour apporter tant de précision à ce personnage ?
J’avais une vision très spécifique. Je voulais que les tenues d'Hunter soient comme des armures. Ce qu’elle ressent à l’intérieur, elle ne peut pas l’exprimer, alors elle doit extirper ses sentiments d’une autre façon. J’ai eu des échanges très intéressants avec Liene Dobraja (la créatrice des costumes, NDLR), qui a été très réceptive à mes idées. Sur le plateau, chaque personne de l’équipe avait la possibilité de faire entendre sa voix, c’est d’ailleurs la grande force des films indépendants. Nous avions un petit budget, donc nous devions être efficace. Nous voulions que les costumes, les décors et la photographie du film forment un triangle et se répondent. Comme si on réunissait les pièces d’un puzzle. Au début du film, les couleurs sont très vives et puis, plus avance, plus tout devient très terne. Nous voyons Hunter perdre ses couleurs, tout comme l’environnement qui l’entoure.
Il me semble que le tournage a duré vingt-et-un jours. C’était très court. Est-ce difficile de travailler sur un personnage aussi complexe en si peu de temps ?
Je crois même que c’était dix-huit jours. Et en plus de ça, j’étais enceinte de trois mois (rires). J’ai appris ma grossesse quelques jours avant de commencer le tournage, mais j'ai mis tout ça de côté. Je n’ai pas vraiment pensé au temps dont nous disposions et aux difficultés que cela pouvait apporter. Je me souviens que la fin du tournage était très émouvante. Lorsque nous filmions la dernière scène, je me sentais heureuse et la femme que j’incarnais était, elle-même, sur le point de trouver l'apaisement. Pourtant, c’est une séquence très difficile, que je ne dévoilerai pas. La beauté de ce film, c’est que rien n’est jamais blanc ou noir, mais plutôt amer. Cette dernière scène représente à elle seule la vie de mon personnage.
Dans l’une des dernières scènes justement vous jouez aux côtés de Denis O’Hare. C’est une séquence très difficile pour les spectateurs, on imagine qu’elle devait l’être également pour vous, en tant qu’acteurs. Comment s’est passé votre collaboration ?
Nous avons tourné cette scène en deux jours seulement. Ou même un jour, je crois. Et il me semble que nous n’avions pas fait plus de deux prises. C’était un moment suspendu dans le temps, très pur, et extrêmement poignant. Denis O’Hare est un acteur extraordinaire, il a fait un superbe travail.
Comme vous le disiez, vous êtes l’une des productrices du film. C’était votre première fois. Seriez-vous prête à produire un autre projet dans le futur ?
Absolument ! Je suis vraiment fière du travail qui a été fait sur ce film. C’est assez terrifiant, c’est vrai, mais le plus difficile est de trouver un autre projet aussi bon que celui-ci. J’ai aimé travailler avec Joe (Joe Wright, son mari et l’un des producteurs, NDLR) et avec Carlo Mirabella-Davis. J’adorerais refaire un film avec lui, peut-être que nous referons équipe plus tard.
Swallow est un long-métrage à vif, engagé et très féministe. Qu’espérez-vous que les spectateurs retiendront de ce film ?
C’est intéressant parce que beaucoup mentionnent l’aspect féministe du film. Cela ne m’avait jamais traversé l’esprit. Je ne me suis jamais dit : "Je suis en train de faire un film féministe". C’est pourtant l’effet qu’il a eu sur les spectateurs. J’en suis heureuse, mais pour moi, c’est surtout un film sur le monde dans lequel on vit. J’espère qu’il pourra inspirer des débats, des conversations sur les injonctions faites aux femmes d'avoir des enfants à tout prix. Le cinéma a le pouvoir de toucher les gens et de changer les choses. Ce film représente parfaitement cette idée.
Vous avez dernièrement tourné dans le dernier long-métrage de Ron Howard, Hillbilly Elegy, aux côtés d’Amy Adams et Glenn Close. Un mot sur cette expérience ?
C’était incroyable. Ron Howard a réalisé un film qui a beaucoup compté dans mon enfance, Le Grinch (rires), donc j’étais heureuse de travailler pour lui. Le long-métrage est adapté d’un livre de J. D. Vance que j’aime énormément. Il parle des habitants de la "Rust Belt", une région industrielle au nord-est des États-Unis. Je viens moi-même de l’Ohio, donc je connais ces gens très bien. J’ai également eu beaucoup de chances d’apprendre en travaillant avec Amy Adams, qui joue ma mère, et Glenn Close, qui interprète ma grand-mère. C’était un rêve devenu réalité. Le job idéal.
Découvrez la bande-annonce du film "Swallow" :