Après avoir livré une importante enquête sur les agissements du réalisateur Christophe Ruggia sur Adèle Haenel lorsqu'elle était mineure, Mediapart continue son investigation de l'omerta qui règne dans le cinéma français quant aux violences sexuelles. La journaliste Lenaïg Bredoux a rencontré l'actrice et scénariste Noémie Kocher qui avait dénoncé son agresseur, le réalisateur Jean-Claude Brisseau (Noce blanche, L'Ange Noir, Choses secrètes, Les Anges exterminateurs) au début des années 2000. Ce dernier, qui avait été condamné en 2005 pour harcèlement sexuel et l'année suivante pour agression sexuelle, est décédé le 11 mai 2019.
Noémie Kocher faisait partie des quatre comédiennes à avoir porté plainte contre le cinéaste français, très apprécié par la profession. Mais en réalité, selon Mediapart, plus d'une vingtaine de femmes ont apporté des témoignages sur le comportement de Jean-Claude Brisseau qui imposait des essais érotiques aux actrices lors de castings pour "satisfaire [ses] pulsions sexuelles". Pourtant, comme le rappelle Mediapart, ce scandale n'a pas éclaboussé le cinéma français, bien au contraire. Initiée par Les Inrocks, une pétition avait été lancée en soutien au réalisateur. Parmi les signataires, des journalistes, des étudiant(e)s en cinéma, des acteurs, des actrices, des cinéastes, des producteurs (la liste complète). On retrouve notamment Jean-Pierre et Luc Dardenne, Eric Rohmer, Olivier Assayas, Rebecca Zlotowski, Claire Denis, Bertrand Bonello, Roschdy Zem, Aure Atika.
Avaient également signé à l'époque : Christophe Ruggia, accusé récemment par Adèle Haenel d'attouchements sur mineure, et Catherine Corsini et Bertrand Bonello, co-présidents de la SRF (Société des Réalisateurs de Films). La pétition stipulait alors : "Nous aimons les films de Jean-Claude Brisseau. Nous avons vu et admiré De bruit et de fureur, Noce blanche, L'ange noir, Choses secrètes, etc. La manière dont certains médias ont rendu compte du procès qui lui est fait nous semble insupportable. C'est un artiste, un artiste blessé. Jean-Claude Brisseau n'est pas seul, nous sommes à ses côtés. Nous le soutenons et attendons ses films à venir. Tous ses films."
À l'époque des faits et même lorsque l'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo ont émergé, certains médias, conciliants avec Jean-Claude Brisseau considéré comme un "enfant-symptôme du cinéma", n'ont pas pris au sérieux les témoignages des victimes du cinéaste. Alors quinze ans plus tard, le témoignage de Noémie Kocher, bouleversée par la prise de parole d'Adèle Haenel, apporte un nouvel éclairage sur l'omerta qui règne dans le milieu du cinéma français et des critiques de cinéma.
Pour autant, l'actrice et scénariste, qui a été virée du tournage de Choses secrètes par Jean-Claude Brisseau après avoir refusé la violence sexuelle subie, a ainsi confié à Mediapart qu'elle ne perdait pas espoir : "Aujourd'hui, je suis optimiste pour la société dans son ensemble. Si elle accepte d'entendre et d'évoluer. Si elle écoute le cri que les femmes s'autorisent aujourd'hui. Je ne sais pas s'il y a eu des conséquences négatives sur ma carrière et je ne le saurai jamais. Ça n'a aucune importance. Si c'était à refaire, je ferais la même chose."
Jean-Claude Brisseau m’a coupé les ailes à un moment où je prenais mon envol.
Mais cela n'empêche pas de cacher des blessures, comme Noémie Kocher le raconte à Mediapart : "Ce que je sais en revanche, c’est que Jean-Claude Brisseau m’a coupé les ailes à un moment où je prenais mon envol, où j’avais des premiers rôles à la télévision, où j’avais eu un premier rôle au cinéma. Il m’a ensuite fallu du temps. Il m’a fait perdre des années. Ce gâchis, c’est lui, et uniquement lui. Ce n’est pas le 'milieu'. Et je ne crois pas que j’ai été refusée pour des rôles parce que j’ai dit 'non' à cet homme et que j’ai été jusqu’au bout pour être entendue. Et si c’est le cas, tant pis !"
Elle s'est rendue compte que les comportements avaient changé autour d'elle, notamment avec l'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, alors qu'à l'époque, l'actrice et les autres plaignantes ont été conspuées. Elle explique à Mediapart : "On a tellement été critiquées et décrédibilisées dans la presse, qu'on ne s'est pas rendu compte qu'on avait fait quelque chose de bien. Je l'ai réalisé il y a deux ans, avec l'affaire Weinstein. Par les mots, les témoignages que j'ai reçus alors." Ainsi, plus de dix-huit ans après, la parole de Noémie Kocher émerge à nouveau, faisant suite au témoignage marquant d'Adèle Haenel.