L'histoire : Camille, 12 ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement. La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire. Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et sœurs.
AlloCiné : Les Eblouis est une histoire que vous portez depuis très longtemps. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la genèse de ce projet qui vous est très personnel ?
Sarah Suco, réalisatrice et coscénariste : Ce film est d’après une histoire que j’ai vécue moi-même quand j’étais enfant. Cela faisait quelques années que j’avais envie d’écrire là-dessus. Au-delà de mon histoire personnelle, je trouve que c’était un sujet fort. Cela offrait une matière cinématographique énorme, par le sujet bien sûr – la dérive sectaire, l’embrigadement - , qu’on ne connaît pas bien en France, qu’on méconnait en général. On pense souvent au Temple solaire, etc. mais on ne sait pas comment ça se passe vraiment à l’intérieur, donc forcément ça m’intéressait de le raconter. Et surtout, je trouvais que c’était un vraie possibilité de raconter cet âge adolescent, et ce conflit de loyauté d’une jeune fille envers sa mère.
Quand on est enfant, on défend toujours ses parents, même quand on est adulte, donc ça m’intéressait de raconter ça dans un cadre extraordinaire. De voir cette jeune fille qui doit apprendre à juger ses parents, au moment où ses parents deviennent complètement fous. Perdre tout libre arbitre, perdre tout moyen de pensée, revedenir des enfants quand elle doit devenir une femme, une adulte, prendre les choses en main.
Donc j’ai mis presque 4 ans à l’écrire, avec Nicolas Silhol qui était mon coscénariste, qui est réalisateur aussi, qui a fait Corporate. Donc c’était super de pouvoir écrire à deux, pour avoir le recul, pour avoir un échange. C’est un vrai scénariste, ce qui n’était pas mon cas : je suis actrice donc je n’avais pas forcément toutes les armes. J’ai pris mon temps car le temps de pause, le temps où l’on fait reposer le scénario est presque plus productif que quand on écrit, en tout cas pour moi.
Le film a-t-il été compliqué à produire ? Autrement dit, est-ce que ce projet, par son sujet, a fait peur?
Non. J’avais peur qu’il fasse peur. On a beaucoup travaillé le scénario donc on est arrivés avec quelque chose d’assez abouti. C’était une telle nécessité pour moi. J’avais une urgence, un besoin de faire ce film. Peut être que ça s’est vu. On a eu l’avance sur recettes, qui est vraiment une aide précieuse. On est dans un pays où on a encore cette chance d’être soutenus, c’est précieux. Une fois qu’on a eu l’avance sur recettes, les distributeurs derrière voulaient vraiment sortir le film. Donc ça c’était super. Pyramide a fait un travail formidable dès le début.
Dominique Besnehard, Michel Feller, avec Mon Voisin Productions, m’ont donné une vraie confiance, ils avaient foi très tôt dans ce projet. Cela aide beaucoup. Et c’est vrai que derrière, on a la chance d’être suivis par les chaines de télévision. J’avais peur que le sujet fasse plus peur. Mais je crois que la folie de cette histoire, la véracité, mais pas que, puisque je me suis quand même très éloignée de mon histoire, et je pense que porté par ces acteurs là aussi, j’ai l’impression que ça leur a plutôt fait envie, excité, et j’avoue que je me sens très chanceuse. C’était très fort, très accompagnant de sentir qu’il y avait une envie du métier, des chaines de télévision. Ca nous aide dans la légitimité et de se dire : allez, on y va ! Le combat a l’air d’intéresser.
Y avait-il des précautions à prendre ? Pour des questions juridiques notamment ?
J’ai changé les noms. La communauté, dans laquelle j’étais, existe toujours et j’ai donc changé le nom. Légalement, juridiquement, je m’en fous. J’ai envie de dire : je les emm****. Moi je ne fais que raconter une histoire qui a existé, et ce sont des choses qui existent : la dérive sectaire, c’est une réalité. Aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah, les Scientologues, les Mormons… En France, on a une chance inouïe, on a une vraie liberté de religion, de pensée, c’est bien. Mais parfois dans ces associations, dans ces groupes, il y a des dérives et c'est une réalité, donc si ces gens là ont envie de m'emmerder, de me dire - pardon, je ne suis pas polie -, s'ils ont envie de dire "oui...", qu'ils le fassent, ce n'est pas mon problème. Là, moi je suis une cinéaste, je viens raconter un film, c'est une fiction. Je pense que si ces gens se sentent attaqués, c'est qu'ils ont des choses à se rapprocher. Et puis je pense que c'est trop important. On a le droit de faire les films qu'on veut. Si on commence à avoir peur du juridique, où est-ce qu'on va ?
Les dérives sectaires en France, qu’est-ce que ça représente ?
Les chiffres sont difficiles à avoir précisément. L’organisme de l’Etat qui gère ça, qui a été évidemment extrêmement mobilisé au moment des attentats, etc., et ça m’a fait plaisir d’ailleurs de faire ce film sur la dérive sectaire catholique, parce qu’on balaye un peu devant notre porte. Il faut arrêter de faire des amalgames seulement sur une religion qui s’est un peu tout pris sur la tronche de manière totalement injuste.
Les chiffres qu’on connaît, c’est environ 50 000 enfants en France, victimes des dérives sectaires qu’elles quelles soient. Victime, ça veut dire embrigadé psychiquement, avec des maltraitances aussi physiques, graves, au quotidien. Des gens qui ne mangent pas assez, des enfants privés d’une vie sociale, privés de pouvoir faire des études, et puis au quotidien, c’est très compliqué. Après, c’est difficile car –comme je le montre dans le film- ce sont des enfants qui ont peur de parler. Ils protègent leurs parents, ils protègent le groupe. Parfois, ils sont nés dedans, donc c’est très compliqué de se rendre compte.
Grâce maintenant à l’Education nationale, à des professeurs, des directeurs d’établissement qui sont de plus en plus vigilants, etc., il y a quand même un travail qui est fait et il faut. On espère que ces chiffres là vont baisser. La police aussi, la brigade des mineurs fait vraiment des choses assez fortes. Ils essayent d’être très vigilants, mais comme on le voit dans le film, quand des enfants ne parlent pas, et qu’il n’y a pas matière à faire quoi que ce soit, c’est très difficile. Parce que les critères pour définir une dérive sectaire, ils sont très nombreux. Un enfant a du mal à dire : c’est bizarre ce que je vis à la maison. Même les enfants battus, ils le cachent. Ils disent qu’ils sont tombés.
Donc vous imaginez quand c’est aussi sournois qu’une emprise jour par jour, c’est très compliqué là-dessus. Ce n’est pas le Temple solaire. Ce n’est pas le suicide collectif sur une place. Donc les chiffres sont importants mais ils sont difficiles à préciser. Au-delà de ça, j’avais vraiment envie qu’on s’identifie à ces personnages, notamment à celui de l’adolescente qui est dans un vrai combat pour sauver ses frères et sœurs, ses parents qu’elle aime plus que tout. Qu’on soit dans une forme très particulière et ambiguë d’empathie face à des gens qui sont en train de faire des horreurs. Au delà de ce cadre de la secte, je pense que beaucoup d’enfants et même de jeunes adultes vont aimer leurs parents en dépit de choses terribles, et ça ça m’intéresse de le montrer.
Céleste, comment as-tu rejoint ce film qui est ton premier rôle au cinéma ?
Céleste Brunnquell comédienne : Je fais du théâtre à Paris et une casteuse est venue pour chercher des gens pour le rôle. Elle a appelé mes parents, j’ai fait des castings, et au bout de ces différents rendez-vous, Sarah Suco m’a prise.
Quand j'ai commencé à faire du théâtre, c’était un peu par hasard. D’abord à l’école avec ma prof de français, qui donnait des cours de théâtre l’après-midi. J’ai fait ça avec la classe. Et j’ai commencé à vraiment bien aimer, il y avait une très bonne ambiance. J’ai aussi fait du théâtre avec une compagnie. Après le collège j’ai voulu continuer, sans me dire que je voulais faire ça.
C’est un truc que j’aimais vraiment. Mais le cinéma est très différent. Sarah Suco m’a beaucoup parlé, mais je ne sentais pas le poids de son histoire sur mes épaules. J’étais assez libre. Sur le tournage, ça s’est fait très simplement. On travaillait scène par scène donc je n’avais pas tout le poids du film. Elle m’a très bien dirigé.
La bande-annonce de Les Éblouis, à l'affiche ce mercredi :
Propos recueillis par Brigitte Baronnet au Festival du film francophone d'Angoulême 2019 - Cadre : Laetitia Ratane