Le cinéma coréen
Un système de quotas a été instauré dans les années 90 pour protéger les cinéastes coréens. Quand je préparais mon premier film Barking Dogs Never Bite (1999), ce mouvement était porté par le réalisateur Im Kwon-taek (Ivre de peinture et de femmes) qui s’était même rasé la tête avec plusieurs de ses collègues en signe de protestation tandis que des réalisateurs français ont signé des pétitions pour soutenir cette démarche.
Mais d’autres ont eu des méthodes plus préhistoriques, comme par exemple quand des militants ont lâché des serpents dans des salles de cinéma pour dénoncer la firme United International Pictures, première société américaine implantée dans le marché cinématographique sud-coréenne. Aujourd’hui ces quotas n’existent plus, et le rapport des films coréens avec le cinéma américain est à peu près de 50/50.
La Corée du Sud a connu la dictature militaire dans les années 80, et c’était pour nous comme une sorte de comédie noire quand dans les années 2000 des cinéastes ont été blacklistés à cause de leurs opinions politiques par la ministre de la Culture Cho Yoon-Sun. Park Chan-wook et moi-même figurions sur cette liste, mais nous n’avons pas changé notre façon de travailler ; en revanche, la situation était beaucoup plus dramatique pour les réalisateurs de documentaires dont tout le travail reposait sur les subventions d’État.
La politique ne m’intéresse pas, seule la beauté du cinéma compte à mes yeux. Mais en tant que citoyen coréen, il est des réalités que je ne peux pas ignorer.
Memories of Murder
Cela est resté pendant longtemps une affaire non-résolue. Pendant le tournage j’aurais rêvé de pouvoir rencontrer le tueur mais en 2003 il n’avait pas encore été identifié. Alors quand il a été arrêté il y a trois semaines de cela, ça a été un vrai choc d’enfin découvrir son visage dans les journaux. Désormais la scène finale ne sera plus vue de la même façon. Personnellement je ne souhaite pas modifier le film, car il fait office d’archive de l’époque à laquelle il a été tourné. Mais il est évident que le public ne verra désormais plus le film de la même façon.
Je me suis énormément documenté sur le profil du tueur, auprès du voisinage, de la police etc... Finalement j’ai pu rencontrer tout le monde, sauf le tueur lui-même. N’ayant pas son identité, je n’avais pour inspiration que d’autres films qui ont été tournés sur ce même sujet, comme La vengeance est à moi de Shōhei Imamura (1979) de Cure de Kiyoshi Kurosawa (1997).
J’ai un tempérament bizarre, je suis quelqu’un qui aime aller dans tous les sens. C’est pourquoi je serais incapable de faire un film qui suivrait pendant deux heures la même tonalité. Il suffit de regarder les archives pour comprendre d’où vient ce mélange de drame et de comédie dans le film. Les meurtres sont horribles certes, mais les policiers chargés de l’enquête m’évoquaient des personnages de comédie. Ils souhaitaient tellement arrêter le tueur, et leurs nerfs étaient tellement à vif, qu’ils ont à un moment donné décidé de rencontrer un shaman qui les a convaincus de déplacer la porte d’entrée du commissariat de la direction nord à la direction de l’est ! (rires)
Aujourd’hui, la police coréenne s’est modernisée mais à l’époque ce n’était pas le cas. L’obstination des policiers dans cette affaire est à la fois drôle et triste, car on ressent toute leur déception de n’avoir pas su démasquer l’identité du tueur !
The Host
C’est totalement inconscient quand j’écris mes films, mais ils sont systématiquement l’opposé du précédent que j’ai réalisé. Par exemple, mon premier film Barking Dog Never Bite – que je vous recommande vivement de ne pas regarder (rires) – est construit autour des petits détails de la vie quotidienne, tandis que mon second Memories of Murder est tiré d’un authentique fait divers. Ensuite j’ai fait The Host qui est un film de science-fiction qui traite de l’absence de figure maternelle, soit l’exact opposé de mon film suivant Mother. Quant à Transperceneige, je l’ai tout simplement fait car j’adore la bande-dessinée du même nom.
Dans The Host, la famille au coeur du film tient un modeste snack aux abords du fleuve Han. Se sachant issus de la classe modeste, ils se demandent si le pouvoir en place va les protéger de la situation. A partir de ce constat, les éléments comiques se sont mis en place dans mon esprit.
Quand j’ai tourné The Host, j’ai cherché à me démarquer des précédents films de monstres. En général, la créature dévore ses victimes alors que dans le cas présent, elle les met dans sa bouche pour les kidnapper et les déposer dans son nid. Pour des raisons budgétaires, car nous n’avions pas beaucoup d’argent, je n’ai pas abusé de plans à effets spéciaux, je ne pouvais inclure la créature que dans 130 plans maximum. Par conséquent j’ai dû faire preuve d’inventivité pour suggérer sa présence, et je me suis beaucoup reposé sur les expressions des personnages, et notamment de mon acteur fétiche Song Kang-ho.
Nous avons créé la créature de The Host en nous inspirant du visage de Steve Buscemi jeune. Je n’ai jamais osé lui dire, mais il faudrait quand même que je le lui avoue. (rires)
Parasite
Dans mes films, les familles ont des failles et on note soit l’absence du père soit de la mère. Mais dans Parasite, il y a de vraies familles complètes, une riche et une pauvre. Parasite dresse le portrait d’une société capitaliste, l’enrichissement personnel et ses conséquences. Dans une telle société, toute personne pauvre est une sorte de fantôme aux yeux des plus favorisés.
Pendant le tournage on trouvait l’histoire tellement bizarre qu’on se disait que ce serait déjà bien si le film se rentabilisait au box-office. Le succès de Parasite m’échappe, comment l’expliquer ? En interview, j’ai désormais l’habitude de dire que le film traite du capitalisme, en opposant une famille riche à une famille pauvre, ce qui est un thème universel, mais la vérité est que je n’en sais rien ! Quand je tournais le film, je n’étais même pas sûr de savoir ce que j’étais en train de faire. Alors je ne sais pas pourquoi le film a tant marché, je pense qu’en réalité c’est vous qui détenez la réponse ! (rires)
Parasite de Bong Joon-ho récompensé cette année par la Palme d'Or 2019 :