Qu'est-ce qu'un film de super-héros ?
Lorsqu'on se pose cette question, on remarque à quel point la littérature analytique est pauvre sur ce genre cinématographique. Citons tout de même parmi eux Superheroes on World Screens de Nina Mickwitz ou Marvel Comics into Film: essays on adaptations since the 1940s. Mais ces ouvrages éludent souvent la difficile question de définir ce qui fait intrinséquement d'un long métrage un "film de super-héros".
Si l'on en parle, c'est parce que le genre a connu une revitalisation grâce à la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, ce qui a conduit à la multiplication de films à moindre budget cherchant à surfer sur la vague de sa réussite et qui recevront des avis plutôt négatifs. Catwoman, Daredevil ou Elektra sont autant de films faisant montre d'une méconnaissance et d'un non-intérêt des professionnels de l'industrie américaine pour le matériau de base (en l'occurrence, les comics). Il faudra attendre la trilogie Batman de Christopher Nolan et le succès croissant des films Marvel Studios et de leur univers connecté pour que ces films touchent réellement le grand public.
Par leur représentation d'univers fantastiques dépassant parfois l'entendement comme des galaxies inconnues, des entités abstraites ou des créatures aux formes n'ayant aucun équivalent dans notre monde, ces films usent énormément des effets spéciaux, surtout numériques. Ces effets spéciaux de plus en plus travaillés participent vraiment de l'expérience cinématographique et sont devenus un élément indispensable de ces films.
Pour ce qui est de la forme, le film de super-héros est encore à définir, son essor ne datant que d'une vingtaine d'années. On peut cependant noter que les films de super-héros ont très souvent des "hero shots", des plans iconiques mettant en valeur ses personnages principaux. Aquaman en regorge. Souvent en contre-plongées ou circulaires, ces plans sont destinés à faire des héros des icônes. Le plus connu de ces plans se trouve dans Avengers de Joss Whedon :
Faute d'une définition officielle du genre, on peut affirmer de prime abord qu'un film de super-héros met en scène un ou plusieurs personnages dotés de capacités surnaturelles et enclins à protéger le grand public. Très souvent mais pas exclusivement, ces personnages sont adaptés pour l'écran à partir d'une source "papier" comme les comics, bandes-dessinées, comic-strips, magazines ou les kamishibai (pièces de théâtre sur papier, c'est par exemple le cas pour Ōgon Bat, l'un des premiers super-héros japonais).
Mais si l'on s'en tient à cette définition, peut-on dire que les longs métrages mettant en scène Batman sont des films de super-héros ? A l'évidence, non. C'est donc que la définition basée sur les super-pouvoirs n'est pas suffisante. Il faut élargir le spectre et dès lors, Bruce Wayne n'a certes aucun pouvoir, mais les comics nous font comprendre que n'importe qui portant le costume de la chauve-souris ne donnerait pas Batman. Il faut une intelligence rare et un entraînement drastique que seul Bruce Wayne semble posséder. Dès lors, le film de super-héros peut aussi mettre en scène des héros "hors du commun" disposants ou non de super-pouvoirs, avec pour but final de faire le bien. Du reste, les films Batman possèdent des "hero shots", ce qui les fait parfaitement entrer sur le fond et sur la forme, dans la catégorie "film de superhéros".
L'impasse "Joker"
Ce personnage issu de l'univers de Batman est originaire des comics Detective puis DC mais la version proposée par Todd Philipps en octobre prochain est annoncée comme n'étant rattachée à aucune intrigue préexistante dans ces comics. Le réalisateur assume donc sa volonté de proposer "sa" version de l'origine du Joker, ce clown psychopathe et meurtrier. Etant la némésis absolue de Batman qui est lui-même un super-héros, le Joker (et le film qui lui est consacré) semble inclus d'office dans le genre super-héroïque. Du reste, Joker va peut-être trouver un adversaire à son personnage principal, l'obligeant ainsi à jouer les héros ?
Quoi qu'il en sera, le clown joué par Joaquin Phoenix ne possède aucune capacité surnaturelle (le scénariste voulant un film "réaliste") et ne souhaite pas protéger le peuple, bien au contraire ! Cela l'empêche donc de faire partie du genre tel que nous l'avons défini sur le fond. Quant à la forme, il faudra attendre de voir le film le 9 octobre pour s'assurer de la présence de "hero shots" qui classeraient esthétiquement Joker dans le genre super-héroïque, mais il n'est pas encore certain que le film n'optera pas pour un style similaire à celui des films Marvel et DC jusqu'ici.
Peut-être devons-nous reconsidérer le film de super-héros comme n'étant pas limité à mettre en scène des héros propres sur eux et clinquants comme Captain America. D'ailleurs, les super-héros sont parfois des anti-héros, en témoignent Deadpool ou Wolverine (du moins à l'origine), qui n'ont aucun pitié pour leurs adversaires, supportent mal l'autorité et ont un côté sauvage tout en œuvrant pour le bien. Guidé par une psychopathie de tous les instants, Joker ne peut certainement pas être considéré comme un anti-héros. Dès lors, que faire ?
"Joker" novateur ?
Lorsque le Punisher mitraille des trafiquants de drogue, peut-on vraiment parler de film de super-héros ? On voit bien que s'en tenir aux personnages "enclins à protéger la population" ne suffit plus. Peut-être faudrait-il définir le genre comme "mettant en scène des personnes dotées de capacités surnaturelles tiraillées par le choix de ce qui est bon et mauvais" ? En tant que film sur un super-vilain plus que sur un super-héros, Joker pourrait plus facilement être raccord avec une telle définition.
Ce nouveau film est peut-être en train de marquer une nouvelle étape dans le genre super-héroïque, qui rendrait caduque l'appellation même de "film de super-héros". Quelle que soit la qualité du film, s'il propose véritablement un style et un personnage inédits dans le genre, peut-être va-t-il obliger les cinéphiles et les historiens du cinéma à revoir leur dénomination.
Joker : 8 minutes de standing-ovation à Venise, Joaquin Phoenix en route vers l'Oscar ?Peut-être le terme "film de super-héros" n'est-il plus qu'un carcan qui ne reflète plus la protéiformité que connaît actuellement le genre. Peut-être faudrait-il inventer une nouvelle dénomination ou parler plus largement "d'adaptations de comics", bien que cela exclut les personnages dotés de capacités magiques comme Mandrake (magicien de bandes-dessinées) ou Zorro (issu de romans et qui, comme le vengeur masqué Judex avant lui, qui contribua à inspirer Batman).
Quoiqu'il advienne dans ce domaine, il apparaît qu'en étant radicalement différent des films de super-héros comme Marvel Studios ou Warner ont proposé ces dernières années, Joker est inclassable. Pas vraiment film de super-héros, pas vraiment étranger au genre, il brouille les pistes. Et c'est en partie ce mystère et sa prestigieuse récompense au festival de Venise qui contribuent à l'énorme attente précédent la sortie du film sur nos écrans le 9 octobre prochain.
Connaissez-vous le prénom de ces super-méchants ?
Connaissez-vous le prénom de ces super-méchants ?