Le 15 décembre 1978, Superman se pose enfin dans les salles américaines, après une gestation compliquée, pour aussitôt décoller au box-office. Voyant l'appétit du public pour les super-héros sur grand écran, la Warner décide d'offrir une suite aux aventures de Christopher Reeves, et de donner sa chance à l'autre icône de DC Comics : Batman. Créé en 1939, l'Homme Chauve-Souris ne compte jusqu'ici qu'une seule apparition en chair et en os sur grand écran, dans le film adapté de la série de la fin des années 60 et sorti entre les saisons 1 et 2. Kitsch et parodique, il collait alors avec les parutions de l'époque, moins sombres et plus rigolardes, pour satisfaire aux demandes de l'organisme qui contrôle leur contenu. Mais la noirceur a, depuis, fait son retour, et il est temps de mettre le héros au cœur d'un vrai blockbuster. Sur le papier, l'évidence est là. Dans les faits, ce sera plus compliqué.
Un premier scénario est commandé à Tom Mankiewicz, fils du réalisateur d'Eve, qui avait retouché celui de Superman sans être crédité. L'histoire devait se focaliser sur les origines de Batman et Robin, confrontés au Joker et au Pingouin, alors que Rupert Thorne et Barbara Gordon devaient apparaître. Doté d'un budget de vingt millions de dollars, le projet se cherche un réalisateur mais en vain. Il se murmure qu'Ivan Reitman est intéressé pour diriger une version comique et aurait auditionné Michael J. Fox et Eddie Murphy pour le rôle de Robin, mais les producteurs enterrent la rumeur en affirmant qu'ils veulent jouer la carte du sérieux, autant pour être fidèles aux comic books que se démarquer de la série et du film des années 60. L'offre faite à Joe Dante est, en revanche, bien réelle, et il aurait pu diriger John Lithgow en Joker, tandis que la Warner voulait un inconnu pour le rôle principal, William Holden en Coommissaire Gordon et David Niven en Alfred. Mais l'affaire capote lorsque le metteur en scène reconnaît être moins intéressé par Batman que par sa némésis et décline la proposition, jugeant que son approche ne serait pas la bonne.
Retour à la case départ donc. Jadis interéssé par une adaptation dans laquelle il mettrait Harrison Ford aux prises avec Tim Curry, Dustin Hoffman (le Pingouin) et Martin Sheen (Harvey 'Double-Face' Dent), Steven Spielberg ne se manifeste pas. Il est aussi question de Richard Donner, réalisateur de Superman, mais l'idée ne se concrétise pas. Auréolé du succès de Repo Man, Alex Cox refuse la proposition. Comme David Cronenberg. Et les frères Coen, qui ne veulent pas diriger un film dont ils ne sont pas à l'initiative. De son côté, Sam Raimi est chaud, mais son nom n'est pas assez gros pour les producteurs, qui lui referont le même coup au début des années 90, au profit de Joel Schumacher. Et si le metteur en scène se consolera avec Darkman puis la trilogie Spider-Man, Batman est toujours bloqué dans sa Bat-cave et le projet momentanément abandonné, avant que Jon Peters et Peter Guber ne le ressuscitent et trouvent l'heureux élu, qui travaille déjà pour la Warner.
TIM BURTON'S BIG ADVENTURE
Passé par les studios Disney, où son goût pour le macabre n'a jamais collé avec le style d'animation de la maison, Tim Burton est passé au long métrage en 1985 grâce à Pee-Wee Big Adventure pour le compte de la Warner, qui compte bien voir les choses en grand avec lui en lui offrant Batman. Alors qu'il vient de fêter ses 27 ans, le jeune metteur en scène accepte mais se dit peu satisfait du scénario de Tom Mankiewicz dont il décide de se débarrasser au profit d'un traitement d'une trentaine de pages qu'il co-écrit avec sa compagne de l'époque, Julie Hickson, avant de confier à Sam Hamm le soin de le développer en 1986. Un travail qui va prendre beaucoup plus de temps que prévu, et il lui sera impossible de livrer d'autres versions en 1988, à cause d'une grève des scénaristes qui s'étend du 7 mars au 7 août.
En attendant que l'affaire ne se débloque, Tim Burton se tourne vers Beetlejuice et devra patienter jusqu'à la sortie de cet opus pour que la Warner, rassurée par les premiers chiffres au box-office, ne donne officiellement son feu vert à Batman. Avec un script désormais confié au co-scénariste de sa comédie fantastique, Warren Skaaren, et qui continue d'évoluer. Tout un gros segment consacré à l'entraînement de Bruce Wayne aux côtés d'Henri Ducard, que l'on retrouvera dans Batman Begins en 2005, est coupé. Un caméo d'Adam West et Julie Newmar, qui incarnaient respectivement l'Homme Chauve-Souris et Catwoman dans la série des années 60, est également envisagé pour les rôles des parents du héros, dont la mort symboliserait, auprès du public, une façon de tourner la page de la précédente adaptation. Mais l'idée est abandonnée au fil des réécritures et l'acteur a plus tard avoué qu'il aurait refusé la proposition, tout en se plaignant de ne pas avoir été contacté pour interpréter le rôle principal. Sans doute pour une question d'âge, puisqu'il venait d'entrer dans la soixantaine, vu que le tout-Hollywood a été évoqué à un moment ou à un autre pour interpréter celui qui, dans le script original, est décrit comme "une montagne de muscles recouvert de cicatrices dues à ses combat nocturnes."
Assez pour que la Warner songe à Steven Seagal. Puis à Kurt Russell, Bruce Willis, Mickey Rourke, John Travolta, Tom Cruise, Patrick Swayze, Nicolas Cage, Michael Biehn ou Kevin Costner, sans que l'on sache vraiment si leurs nom ont simplement été mentionnés, ou si des approches plus concrètes et auditions ont pu avoir lieu. Il se dit en tout cas que Charlie Sheen aurait été jugé trop jeune pour le rôle. Pas Mel Gibson, premier choix des producteurs (et de Richard Donner quand celui-ci était envisagé derrière la caméra), qui est contraint de refuser au profit de L'Arme Fatale 2 ; ni Pierce Brosnan, qui avoue ne pas réussir à prendre le personnage au sérieux malgré son entretien avec Tim Burton, qui le dirigera plus tard dans Mars Attacks ! ; ou Ray Liotta, à qui les personnages de Batman, du Joker et Harvey Dent sont proposés, mais qui refuse pour tourner dans Les Affranchis. Le studio va même jusqu'à mettre Bruce Payne dans sa shortlist, juste pour pouvoir écrire "Bruce Payne est Bruce Wayne" dans sa campagne marketing, mais le comédien avoue avoir été battu par la future tête d'affiche.
Estimant que Batman est un homme qui se déguise en chauve-souris pour se créer une personnalité menaçante, Tim Burton n'est pas convaincu par les acteurs dotés d'une mâchoire carrée et d'une allure héroïque qu'il a rencontrés, et c'est à Jon Peters qu'il doit la solution de son casse-tête, lorsque le producteur lui suggère le nom de son Beetlejuice : Michael Keaton. Peu sûr, le réalisateur donne quand même une copie du scénario au comédien qui, comme lui, n'est pas familier des comic books. C'est d'ailleurs pour cette raison que le principal intéressé compte dire "non" après une lecture qu'il fait par politesse, mais se ravise et accepte pour devenir, officiellement, le successeur d'Adam West dans le costume de l'Homme Chauve-Souris. Un choix original et audacieux. Peut-être trop au goût des fans de comic books de l'époque, qui envoient quelques cinquante milles lettres de protestations dans les bureaux de Warner, soutenu par le producteur délégué Michael E. Uslan, le co-scénariste Sam Hamm ainsi que Bob Kane, le créateur du personnage. Ambiance.
VERY BAT TRIP
Même s'il ne fera pas l'objet de polémiques, le casting du Joker n'en est pas moins compliqué. Là encore, beaucoup de noms circulent, à commencer par celui de Tim Curry, qui plaît autant à Tim Burton qu'à Steven Spielberg. Mais cela n'aboutit pas. Pas plus qu'avec Willem Dafoe, qui ressemble énormément au prince clown du crime selon Sam Hamm, alors que le principal intéressé a affirmé avoir aussi été dans la course pour jouer Bruce Wayne. Il est aussi question de David Bowie, James Woods, Robert De Niro ou Christopher Lloyd, mais la réalisateur a trouvé son chouchou en la personne de Brad Dourif. Que la Warner lui refusera. Et c'est sur son partenaire de Vol au-dessus d'un nid de coucou, Jack Nicholson, que tout le monde jette son dévolu.
Bien qu'ayant été un énorme fan de comic books à l'époque des débuts de Batman, avec une affection toute particulière pour le Joker qu'il considère comme son personnage préféré, l'acteur est d'abord hésitant, à cause notamment d'une brouille avec le producteur Jon Peters pendant le tournage des Sorcières d'Eastwick. Dans le doute, la Warner se tourne alors vers Robin Williams, qui semble partant, mais Jack Nicholson se ravise après s'être fait payer une visite des décors et avoir lui-même validé le look et le maquillage du grand méchant, et obtenu des garanties financières et personnelles de la part de la production. La star de Shining signe enfin son contrat et fait engager son ami Tracey Walter dans le rôle de Bob, et le futur Génie d'Aladdin, sentant qu'il a été utilisé comme moyen de pression, refusera ensuite de jouer l'Homme-Mystère dans Batman Forever, et d'apparaître dans tout long métrage du studio tant que des excuses ne lui auront pas été présentées.
Une fois le duo central trouvé, les choses s'accélèrent : très friand de son travail dans le cinéma d'horreur, Tim Burton fait de Michael Gough son Alfred Pennyworth ; alors que le nom de Don Johnson a circulé, c'est Billy Dee Williams qui décroche le rôle d'Harvey Dent ; et si Michelle Pfeiffer a bien failli incarner Vicky Vale, Michael Keaton, son petit ami de l'époque, a jugé que ce serait trop étrange, et c'est Sean Young qui en a profité. Avant de chuter de cheval et se casser la clavicule à une semaine du début des prises de vues. Elle est remplacée par Kim Basinger, et la journaliste, rousse dans les comic books, devient blonde en passant sur grand écran. Ou plutôt, elle le redevient, Bob Kane ayant affirmé que c'était sa couleur de cheveux initiale sur papier, mais qu'une erreur d'impression en avait décidé autrement. Reste alors une question : et Robin alors ?
Dans le scénario initial, les parents de Dick Grayson devaient apparaître lors de la scène de la parade dans Gotham City, et mourir des suites d'une chute provoquée par le Joker. Et le sidekick de Batman était censé arborer son costume à la fin du long métrage. Supprimée de la version finale, son existence se réduit aujourd'hui à des extraits de storyboard présents dans une édition DVD du long métrage, et suscite encore bon nombre de fantasmes et rumeurs, comme celle qui veut que Ben Affleck et Matt Damon aient auditionné pour le rôle… alors qu'ils n'étaient absolument pas connus. Révélé par Stand by Me et Génération perdue, Kiefer Sutherland l'est un peu plus mais il refuse l'offre, ce qui fait les affaires de l'Irlandais Ricky Addison Reed. Jusqu'à ce que le personnage ne soit exclu d'un film qui est fin prêt à se tourner.
Alors que les divers retards lors de la pré-production ont fait gonfler le budget, le premier tour de manivelle est donné le 17 octobre 1988. Non pas dans les studios de la Warner à Burbank (Californie), comme initialement envisagé, mais à Pinewood, en Grande-Bretagne. Une délocalisation décidée pour se tenir éloignés des médias friands de rumeurs sur le film et des critiques concernant l'implication de Tim Burton et Michael Keaton, parti étudier les chauve-souris, lire "The Dark Knight Returns" de Frank Miller et vivre seul à Londres avant le début de prises de vues qui ne seront pas de tout repos pour lui : fait de latex et inspiré du design des illustrations de Neal Adams, dont il nous offre une version plus sombre, le costume empêche l'acteur de tourner la tête et d'entendre quoi que ce soit. Souffrant de claustrophobie, il met celle-ci à profit pour mieux saisir l'état d'esprit du personnage. Non content d'être à l'origine du célèbre "Je suis Batman", qui remplace le "Je suis la nuit" du scénario, il trouve également l'idée de prendre une voix différente, approche que l'on retrouvera chez Christian Bale et Ben Affleck par la suite.
Bien qu'éloigné des tabloïds américains, Tim Burton n'en reste pas moins nerveux au début du tournage, autant effrayé par l'idée de mettre en scène son premier gros film que celle de devoir diriger Jack Palance, engagé pour incarner le patron du futur Joker Jack Napier. Atteint de problèmes d'audition, l'acteur ne se présente pas alors qu'il doit tourner une séquence et prend son réalisateur de haut lorsque celui-ci vient le chercher : "J'ai fait plus de cent longs métrages, tu en as fait combien toi ?", explique le cinéaste dans le commentaire audio de Batman. S'il a reconnu que le comédien était parfait dans le rôle ("Je ne peux imaginer personne d'autre pour jouer le boss de Jack Nicholson"), il compare cette expérience à la traversée d'une tempête, même si ce cas va vite devenir le cadet de ses soucis.
BIENVENUE DANS LE TOURNAGE INGRAT
"C'était la première fois que je faisais cette expérience typiquement hollywoodienne où vous faites un gros film avec un scénario que tout le monde semble apprécier, et soudain tout se dégrade", précise Tim Burton toujours dans le commentaire audio, où il évoque les changements liés aux fluctuations d'un budget dont Jack Nicholson, avec ses six millions de dollars de salaire, a participé à l'inflation. "Mais je ne me rappelle pas avoir ajouté des choses pour lui et retiré quoi que ce soit aux autres, et le scénario a pu changer pour diverses raisons", tempère-t-il. Et la première de ces raisons, c'est qu'il n'a cessé d'être réécrit au fil des prises de vues. À tel point que le réalisateur ne savait pas comment le récit allait se terminer lorsqu'il a commencé à tourner les scènes finales dans la cathédrale, ce qui n'a pas manqué de perturber Jack Nicholson.
C'est pourtant à l'acteur et au producteur Jon Peters que l'idée de l'affrontement final dans le clocher, absente du scénario original, est trouvée lorsque les deux hommes se rendent à une représentation de la comédie musicale "Le Fantôme de l'Opéra" signée Andrew Lloyd Webber. Il s'agissait là de l'une des nombreuses sorties nocturnes de Jack Nicholson, qui avait pris soin de stipuler dans son contrat qu'il devait arriver plus tard que les autres et ne débarquait pas avant, au mieux, 10h du matin. Une fois sur les lieux, il profitait des deux heures quotidiennes nécessaires pour poser les trois-cent-cinquante-cinq adhésifs de sillicone et appliquer le maquillage blanc destinés à faire de lui le Joker pour terminer sa nuit raccourcie par les fêtes auxquelles il participait. Ou regarder les matches de baseball qu'il avait obtenu qu'on lui enregistre.
Le tournage s'achève le 12 janvier 1989, année des 50 ans du héros, et de nouvelles tensions voient le jour pendant la post-production. La Warner cherche en effet à s'attacher les services d'un star pour la bande-originale, et approche George Michael puis Michael Jackson qui, pris par les concerts qu'il doit donner, se voit contraint de refuser. Et c'est Prince qui décroche la timbale et les chansons du film, au grand dam de Tim Burton, qui parvient à faire embaucher Danny Elfman pour le score. Un choix auquel le studio a d'abord tenté de mettre son veto, mais Jon Peters s'est ravisé en entendant le thème du long métrage. Cela suffit à calmer la nervosité qui règne en coulisses, mais pas les rumeurs qui entourent le blockbuster.
Car même sans internet, les fans ont entendu parler des pressions exercées sur Tim Burton par la Warner et des difficultés rencontrées sur le tournage comme ce vol de deux bobines. Pour tenter d'enrayer un éventuel bouche-à-oreille négatif, le studio fait monter, à la hâte, un teaser destiné aux cinémas et le teste sur le public d'une salle de Westwood, en Californie, qui ne s'y attend pas. Quatre-vingt-dix secondes et une standing ovation plus tard, les producteurs sont quelque peu rassurés, sans se douter que la Batmania vient officiellement de se lancer. Une version pirate de la vidéo fait fureur dans les conventions tandis que certains spectateurs payent leur place pour la voir sur grand écran et quittent la salle avant le début du film projeté, phénomène qui se reproduira une décennie plus tard avec Star Wars - Episode I.
Après une avant-première à Westwood, là où la folie avait commencé, Batman sort dans les salles américaines le 23 juin 1989. Et les 40,5 millions de dollars qu'il engrange en un week-end lui permettent de prendre, sans mal, la tête du box-office local, devant Chérie, j'ai rétréci les gosses et S.O.S. Fantômes 2. Terminant sa course avec 251,3 millions de billets verts, il devient le champion de l'année outre-Atlantique, devant les 197,1 d'Indiana Jones et la dernière croisade, qui prend sa revanche avec un meilleur total mondial (472,2 contre 411,5). Pas de quoi ternir ce qui sera le plus gros succès des années 80 de la Warner, alors que son record de la décennie précédente était détenu par Superman.
Pendant que le public se trémousse tout l'été au son de la "Batdance" de Prince, plus encore que le Joker lâché dans un musée, les produits dérivés se vendent par milliers et les spectateurs louent aussi bien l'esthétique du film que ses interprètes, ainsi que son parti pris scénaristique de lier Bruce Wayne et Jack Napier en faisant du second le meurtrier des parents du premier, réécriture des origines de la némésis de Batman qui aurait pu scandaliser les fans hardcore. Mais ces derniers accueillent très bien cette surprise qui n'en est pas une pour tout le monde depuis la veille de la sortie et cette bourde de Michael Keaton, qui spoile cette révélation dans le talk-show de David Letterman.
BAT BUZZ
Critiqué au moment de son casting, l'acteur provoque l'un des plus beaux retournements de vestes de l'Histoire du cinéma et fait presque l'unanimité dans le double-rôle de Bruce Wayne et Batman, fort de l'approche de Tim Burton, qui fait de lui un personnage torturé qui n'est lui-même que lorsqu'il enfile son costume et son masque aux oreilles pointues, et pas en civil. De son côté, Jack Nicholson n'est pas en reste, et accède immédiatement au Panthéon des plus grands méchants du 7ème Art, tout en établissant un record de cachet. Car s'il a consenti à baisser son salaire, le comédien a négocié un pourcentage sur les recettes qui porte le total de son pactole à soixante millions de dollars, record qu'il détiendra jusqu'en 2003, détrôné par Keanu Reeves grâce aux deux suites de Matrix.
En lice pour un Golden Globe (Meilleur Acteur dans une Comédie ou une Comédie Musicale pour Jack Nicholson) et six BAFTAS, Batman fait chou blanc aux deux cérémonies mais pas aux Oscars, où il remporte le seul trophée pour lequel il était en lice (Meilleurs Décors), et entre un peu plus dans l'Histoire, devenant le premier film de super-héros à s'immiscer au palmarès de l'Académie, alors fermée aux blockbusters. La camapagne menée par la Warner s'est donc révélée efficace, et il faudra attendre The Dark Knight pour que l'opus de Tim Burton soit dépassé, au box-office comme aux Oscars. À ceci près que le long métrage de Christopher Nolan n'aura pas un impact aussi durable sur le box-office et Hollywood.
Mais peut-on parler de révolution ? Oui selon le papa d'Inception et Memento qui, dans une interview donnée à About.com, qualifie de "film brillant, visionnaire et idiosyncrasique" le Batman de Tim Burton, qui parvient à être fidèle à son matériau d'origine, tout en portant la patte de son auteur, friand de monstres, de masques et de marginaux. Son influence se fera sentir dans les comic books, où les décors d'Anton Furst qui convoquent l'expressionnisme allemand et une esthétique de film noir, seront repris au début des années 90 ; dans la série animée lancée en 1992, qui s'ouvre au son du thème musical de Danny Elfman ; et à Hollywood où, dans la lignée des Star Wars de George Lucas, les produits dérivés deviennent un élément essentiel dans la stratégie des studios avec leurs blockbusters estivaux, alors que les participations de stars de la chanson aux bandes-originales vont être de plus en plus fréquentes et que le mot "franchise" fait son apparition dans le jargon des exécutifs.
C'est un phénomène culturel qu'un grand film
"J'aime certaines parties, mais je trouve le film majoritairement ennuyeux", déclarait pourtant Tim Burton à Empire en 1992. "Ça va, mais c'est un phénomène culturel qu'un grand film." Si le réalisateur a revu son jugement au fil des ans (et fini par apprécier la présence de Prince dans la bande-originale), impossible de lui donner tort sur la notion de "phénomène culturel", qui s'est étendu au-delà du grand écran et a fait entrer les blockbusters dans une nouvelle ère, comme l'a déploré Sylvester Stallone auprès du Los Angeles Times en 2010 : "Les images ont pris le dessus [sur les montagnes de muscles]. Les effets spéciaux sont devenus plus importants que la personne. J'aurais aimé avoir pensé aux muscles en Velcro. Je n'aurais pas eu à aller à la salle pendant toutes ces années, pendant toutes ces heures consacrées au jeu de fer, comme on l'appelait."
Si Sly et les siens ont perduré pendant les années 90, Batman a clairement ouvert une brèche et prouvé, plus encore que Superman, que les super-héros pouvaient truster le box-office, pavant ainsi la voie qui allait mener Marvel sur le toit du box-office mondial avec Avengers - Endgame trente ans plus tard. Fort de ce succès, Tim Burton devient l'une des stars d'Hollywood, et la Warner lui laisse carte blanche pour réaliser la suite, sur laquelle il officie également en tant que producteur, sans doute pour ne pas revivre les mêmes mésaventures que sur le premier épisode. Beaucoup plus sombre et personnel, Batman, le défi accentue les obsessions du réalisateur et les névroses de ses personnages, pour un résultat plus abouti encore sur le plan artistique. Mais financièrement décevant pour la Warner qui espérait sans doute plus que ces 266,9 millions de dollars récoltés dans le monde (dont 162,9 aux États-Unis) par ce film qui a également effrayé les enfants et impacté la vente de produits dérivés.
Une contre-performance, certes relative, qui a marqué la fin de l'aventure à Gotham City pour Tim Burton : d'abord attaché au troisième opus de la saga, qu'il annonçait comme son dernier et dans lequel il comptait explorer les thèmes de la peur, de la rédemption et de la façon dont on continue à vivre après avoir été confronté à la mort, il a préféré se désister au profit de Joel Schumacher plutôt que d'accepter que le ton soit plus léger que celui de Batman, le défi. Le metteur en scène est suivi par son interprète Michael Keaton, qui explique sa décision de la sorte dans le livre "Batman - The Complete History" : "Rendre le film plus léger et lumineux pour en faire un cartoon ne m'intéressait pas." Privés de la conclusion de l'histoire entamée en 1989, les fans ne feront pas de triomphe à ses successeurs Val Kilmer et George Clooney.
L'échec artistique des deux films emmenés par ces acteurs aura au moins servi à souligner les qualités de ceux de Tim Burton et Michael Keaton. Le réalisateur et le comédien qui auront réussi à faire entrer les blockbusters et super-héros dans une ère moderne, en créant un système qui les a menés à leur "perte" lorsque la question des ventes de produits dérivés a mené à leur rupture avec la Warner au sujet de l'Homme Chauve-Souris. Une ironie que n'aurait pas reniée le Joker.
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