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    Vita & Virginia : "Elles étaient en avance sur leur temps !" - entretien avec la réalisatrice du film

    En salle depuis mercredi, "Vita & Virginia" revient sur la passion fulgurante, intense, et souvent douloureuse, entre un génie littéraire, Virginia Woolf, et sa muse, incarnée par Gemma Arterton. Entretien avec la réalisatrice du film, Chanya Button.

    Pyramide Films

    Virginia Woolf et Vita Sackville-West se rencontrent en 1922. La première est une femme de lettres révolutionnaire, la deuxième une aristocrate mondaine. Quand leurs chemins se croisent, l’irrésistible Vita jette son dévolu sur la brillante et fragile Virginia. Commence une relation passionnelle qui fait fi des conventions sociales et de leurs mariages respectifs. La fascination que Virginia ressent pour Vita, l’abîme entre sa vie d’artiste et le faste de l’excentrique aristocrate donneront naissance à Orlando, une de ses oeuvres maîtresses, bouleversante réflexion sur le genre et sur l’art.

    En voici les images, ci-dessous...

    Porté par un lumineux duo d'actrices, Gemma Arterton et Elizabeth Debicki, qui incarne respectivement Vita & Virginia, ce film est la seconde réalisation d'une réalisatrice britannique de 32 ans, Chanya Button. Nous l'avons jointe par mail pour lui poser quelques questions.

    AlloCiné : après "Burn, Burn, Burn" en 2015, "Vita & Virginia" est votre second film. Qu'est-ce qui vous a attiré sur cette histoire ?

    Chanya Button : C'est Gemma Arterton qui m'a amené sur le projet, ce qui était très généreux de sa part ! Elle sait à quel point j'aime les écrits de Virginia Woolf, et nous avions vraiment envie de travailler ensemble. Une belle opportunité de faire un film sur ces deux femmes, qui possède plusieurs couches ou niveaux de lecture : l'artiste et la muse; amantes, les collaborateurs, les amis... Et une passion incarnée, la créativité, l'intelligence. Le tout vu à travers le prisme d'une écrivaine iconique que fut Virginia Woolf. Tout ça me semblait une évolution parfaite depuis mon précédent film.

    Parlez-nous de votre relation personnelle avec les écrits de Virginia Woolf justement. J'ai cru comprendre que vous aviez fait un mémoire de fin d'étude à l'Université sur le sujet ?

    Absolument, j'ai étudié ses écrits dans le cadre de mes études de littérature anglaise à l'Université d'Oxford. Et j'ajoute que son recueil "Le cinéma et autres essais" est ce qui m'a donné envie de devenir réalisatrice ! Elle parle merveilleusement bien de la valeur philosophique des films. Que ca nous donne la chance d'être objectif pour la première fois, alors que nous nous regardons à travers la caméra, plutôt qu'à travers le filtre et la perspective d'un écrivain ou l'oeil d'un artiste. Elle parle de l'expérience humaine avec une éloquence tellement profonde ! Pour moi, elle est la source d'une grande inspiration en tant qu'écrivaine, et ca été un grand privilège d'étudier la manière dont est né ce qui est considéré comme un de ses plus grands chefs-d'oeuvre Orlando. La voir aimer Vita, en être inspirée et motivée. Notre film met en scène une femme iconique vivant une expérience universelle; de passion et de création, d'humour mais aussi de coeur brisé.

    En parlant de lettres, il y a de courtes scènes dans votre film où les personnages se lisent mutuellement des lettres par caméra interposée. Est-ce que ce sont de vraies lettres ? Avez-vous basé, même partiellement, votre film sur leur correspondance ?

    Tout à fait, les lettres que les comédiennes déclament sont extraites de leur abondante correspondance tout au long de leur longue relation. Je voulais que les spectateurs aient une expérience qu'ils n'auraient pas eu en se contentant de lire les lettres. Nous avons opté pour cette idée de mise en scène finalement très simple et directe. Gemma et Elizabeth s'adressent directement face à la caméra, afin que le public puisse se sentir séduit et inspiré par ces femmes.

    Vous avez co-écrit le film avec Eileen June Atkins, qui a créé la pièce de théâtre en 1992. Comme avez-vous travaillé avec elle ?

    Nous avons effectivement travaillé ensemble sur l'écriture du script du film, basé sur sa pièce de théâtre. Mais le film a suivi sa propre évolution, pour au final tendre vers quelque chose de très différent de la pièce. J'ai vraiment travaillé étroitement avec elle, jusqu'à "absorber" son expérience de la scène de théâtre, mais aussi me nourrir de son expérience d'actrice, car elle a joué à de très nombreuses reprises le rôle de Virginia Woolf. Elle m'a toujours encouragé à m'emparer à bras le corps du script, y apposer ma patte. Nous avons travaillé ainsi durant de nombreux mois, à faire également beaucoup de recherches. C'est une femme brillante ! 

    Comment avez-vous choisi et isolé les éléments des vies respectives de ces deux femmes pour construire votre récit ?

    J'ai pensé que le plus important, c'était de se concentrer sur ce moment justement où ces deux femmes sont à un tournant de leurs vies respectives, tant professionnel que personnel. Pour Virginia, c'était une période d'une intense passion et d'inspiration grâce à Vita; une chose qu'elle n'avait jamais éprouvé auparavant. Tout son entourage l'avait mise en garde, en lui signifiant que cette passion finirait par la submerger, d'où les profonds bouleversements émotionnels et psychologiques qu'elle a vécu. Mais elle a su utiliser son génie créatif et littéraire pour surmonter le chaos engendré par sa rupture avec Vita, pour finalement accoucher de l'une de ses plus brillantes oeuvres. Orlando capture justement l'esprit de Vita Sackville-West sans écrire un mot à son sujet ! Woolf a réinventé la biographie avec cette nouvelle. Ces femmes étaient révolutionnaires, dans leur approche de leur Art et dans leur relation l'une envers l'autre. J'ai donc trouvé qu'il y avait quelque chose de profondément moderne dans cette histoire.

    Vous avez déclaré que le fait que cette histoire se déroule dans les années 1920 était secondaire. "Nous voulons lui donner un ton plus contemporain". Pouvez-vous développer ?

    Vita & Virginia avaient un état d'esprit très progressiste par rapport à leurs écrits, leurs mariages respectifs, et bien entendu dans leur relation commune. Elles étaient en avance sur leur temps, et je pense même qu'elles seraient encore considérées comme progressistes de nos jours si elles étaient encore vivantes. D'une certaine manière, elles étaient un peu les punks de Bloomsbury ! La manière la plus évidente de souligner cet aspect dans le film est sa bande-originale, composée par Isobel Waller-Bridge. Très moderne, elle capture je trouve l'esprit des deux personnages. Elle est même presque futuriste !

    Comment Elizabeth Debicki est arrivée sur le projet ?

    Si Gemma m'a proposé le film, j'ai proposé le rôle de Virginia Woolf à Elilzabeth après l'avoir vue dans une pièce de théâtre au National Theatre de Londres. Je l'ai trouvée absolument captivante. Les deux comédiennes incarnent la force et la vulnérabilité de ces personnages d'une manière très neuve, profonde et brillante.

    Il y a dans votre films des séquences où Virginia Woolf est victime d'hallucinations, montrées à l'écran avec des effets en CGI. Pourquoi ce choix ?

    Ces moments où la réalité semble se rompre suggèrent ce qui peut se passer dans la tête de quelqu'un d'aussi brillant que Virginia Woolf. Mais ces moments reflètent aussi en un sens ce qu'est l'esprit d'Orlando, son oeuvre à venir. Ce récit qui court sur 300 ans, et transforme un homme en une femme, puis à nouveau en homme. Il était fondamental pour nous de parvenir à capter l'esprit créatif de Virginia, et comment il était aussi intimement lié à sa fragilité. C'était grisant de pouvoir faire quelque chose d'aussi libre et créatif !

    Avec leurs esprits libres, leurs modes de vies, ces femmes étaient en avance sur leur temps, dans une époque où, justement, l'homosexualité était fermement condamnée et punie. Pensez-vous que, sur cet aspect, la portée de leur histoire fait plus que jamais sens aujourd'hui ?

    Totalement ! C'est une histoire très intemporelle. J'espère que la jeune génération de LGBTQ verra ce film, voir qui ils sont à travers l'histoire.Ces moments ont été tellement cachés dans la littérature, les films... C'est un grand honneur pour moi d'avoir pu ramener à la vie une de ces histoires.

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