Il ne s'agit certes pas du premier jalon d'un revirement de la stratégie de Netflix concernant l'exploitation de ses productions dans les salles de cinéma, mais la prise de guerre est tout à fait symbolique de l'appétit du géant de la Sillicon Valley. Selon le site Deadline qui rapporte l'information, la firme est en négociation pour racheter à l'American Cinematheque, située à Los Angeles, le célébrissime Grauman's Egyptian Theatre. Cette salle de cinéma mythique construite en 1922 et qui pouvait accueillir plus de 1700 personnes est tout à fait caractéristique des années folles et ses constructions extravagantes dignes d'un palace. C'est notamment là, au 6706 Hollywood Blvd, que se déroula la toute première avant-première d'un film à Hollywood; en l'occurence le Robin des bois avec Douglas Fairbanks. C'est dire l'importance historique du lieu.
Malheureusement, avec la crise qui frappa l'industrie du cinéma dans les années 1980-1990, la salle végéta dans un état de semi abandon, faute de réelle exploitation et d'entretien. Elle fut vendue pour un dollar symbolique en 1996 à l'American Cinematheque, qui se chargea de restaurer l'ensemble pour une facture de plus de 12 millions de $, grâce notamment à des généreux mécènes, dont Steven Spielberg. La mission de l'American Cinematheque n'étant pas de gagner de l'argent mais de préserver le patrimoine cinématographique, il apparaît que celle-ci semble avoir du mal depuis un moment à maintenir à flot l'exploitation du lieu, qui voit régulièrement passer des rétrospectives et quelques avant-premières.
Le deal qui est en train de se conclure entre l'American Cinematheque et Netflix laisse entendre selon Deadline que la cinémathèque continuera de projeter ses oeuvres le week end ainsi que lors de différentes manifestations culturelles organisées, tandis que Netflix aura la main sur la programmation les autres jours de la semaine, tout en ayant aussi la possibilité d'utiliser l'espace pour des soirées événements comme les avant-premières et autres gros projets. A noter par ailleurs que Ted Sarandos, le responsable des contenus sur Netflix, est membre du conseil d'administration de l'American Cinematheque, même si certaines sources précisent que l'intéressé s'est retiré du conseil lors du vote concernant cet accord, afin de ne pas être accusé d'être juge et partie.
La manoeuvre de Netflix est tout de même habile et astucieuse. En rachetant un lieu aussi mythique, situé à une adresse non moins mythique, la firme espère s'attirer les bonnes grâces des cinéphiles, et que, même en étant une plateforme de streaming, elle n'en demeure pas moins soucieuse de préserver les salles de cinéma et de l'expérience qu'elles peuvent y offrir. Comme un écho à la diatribe de Steven Spielberg, qui s'opposait à ce que des oeuvres produites par Netflix puissent être éligibles aux Oscars. Désormais, Netflix va pouvoir organiser en grande pompe ses avant-premières sur Hollywood Boulevard. On prend le pari qu'ils vont y organiser celle du Irishman de Scorsese ?