Nul besoin de présenter encore le regretté Stanley Kubrick, qui fut sans conteste un des plus grands réalisateurs américains du XXe siècle. Il y a tout juste 20 ans, le 7 mars 1999, le cinéaste nous quittait, de mort naturelle d'ailleurs, âgé de 70 ans à peine. L'anniversaire de son décès est pour le coup un bon prétexte pour revenir sur les projets développés par Kubrick, authentique bourreau de travail. Certains de ses projets sont évidemment bien connus, comme son Napoléon, sans doute la grande frustration - et passion- de sa vie; ou encore son projet -déjà moins connu par le grand public- d'adapter le livre Aryan Papers, avant de se faire griller la politesse par Steven Spielberg qui sortira en 1993 sa Liste de Schindler. Vous saviez qu'il caressait l'idée de faire un film sur Pinocchio ?
Napoléon
Napoléon était un projet inabouti -et fameux- que le maître espérait réaliser, après avoir fait quantité de recherches, lectures et photos, notamment sur les essais de costumes. Une bonne partie de ces recherches furent d'ailleurs montrées dans l'extraordinaire exposition consacré à Kubrick à la Cinémathèque de Paris en 2011. Pour les fans du réalisateur et les curieux, les éditions Taschen publièrent justement en 2011 une énorme synthèse sur ce projet, avec un titre on ne peut plus clair : Stanley Kubrick's Napoléon : The Greatest Movie Never Made.
Le clou de cet ouvrage si l'on peut dire, était un accès exclusif à une base de données qui permettait de consulter et de télécharger des documents comme l'intégralité du dossier iconographique de Kubrick, soit près de 17.000 images napoléoniennes. Un rêve, malheureusement tué par la MGM qui devait produire le film. Comme nous l'avait expliqué Jan Harlan avec qui nous avions fait la visite guidée de l'exposition, la Major pris peur suite au gros échec en salle du Waterloo de Serguei Bondartchouk en 1970, et décida de se retirer du projet de Kubrick. En 2013, on a finalement appris que Spielberg récupérait le projet, pour le développer en mini série.
Aryans Papers, la Seconde guerre mondiale... Et Pinocchio
"Pendant des décennies, Stanley a cherché un texte qui lui permettrait de réaliser un film sur l'Holocauste" expliqua Jan Harlan, le beau frère de Stanley Kubrick, cité dans l'ouvrage Les Archives de Stanley Kubrick d'Alison Castle. Une quête débute alors pour trouver le bon récit. Le réalisateur rassemble, en parallèle, de nombreux documents (images d'archives, photos...) sur la période historique et la Shoah. En 1976, il demande à Jan Harlan de s'adresser à l'écrivain Isaac Bashevis Singer – qui a vécu à New York entouré de réfugiés du régime nazi – pour qu'il écrive une histoire originale. Or Singer répond à Harlan qu'il "ne connaît strictement rien sur le sujet".
En 1991, Kubrick découvre le roman de Louis Begley, Une éducation polonaise, publié sous le titre original Wartime Lies. Le récit, qui mêle des éléments autobiographiques, est raconté du point de vue d'un enfant. Il relate l'histoire de Maciek et de sa tante, Tania, deux Juifs qui se font passer pour des catholiques durant l'Occupation nazie en Pologne. Kubrick écrit une base scénaristique qu'il propose à la Warner, sous le titre Aryan Papers. La pré-production démarre. Johanna ter Steege est choisie pour interpréter Tania ; Joseph Mazzello incarnera son neveu. La sortie de la Liste de Schindler de Spielberg, qui traite d'un sujet similaire, tuera net le projet de Kubrick, d'autant que ce dernier n'a pas envie de revivre le succès en demi teinte de son Full Metal Jacket, sorti en 1987, qui a pâti du succès de Platoon, sorti un an auparavant.
En mai 2016, un article du Guardian livre d'étonnantes confidences de l'assistant et ami de longue date de Kubrick, Emilio D'Alessandro. Ce dernier explique que le cinéaste travailla peu avant sa mort en 1999 sur un autre projet ayant pour cadre la Seconde guerre mondiale, et plus particulièrement la bataille du Monte Cassino, qui se déroula en Italie du 17 janvier au 19 mai 1944. Une terrible et sanglante bataille où près de 200.000 hommes s'opposèrent, entre les Alliés et les Nazis.
Ci-dessous, un extrait d'images d'archives de la fameuse bataille, où l'on voit des soldats du Commonwealth (britanniques, indiens et néo-zélandais) ainsi que polonais se lancer à l'assaut du monastère dont les ruines furent transformées en forteresse par les parachutistes allemands, retenant la leçon de Stalingrad...
Toujours selon D'Alessandro, Kubrick envisageait aussi, à la même période, de réaliser un film sur... Pinocchio ! "Stanley m'envoya en Italie acheter des livres sur Pinocchio. Il voulait bien entendu faire un film à sa façon, parce qu'il y avait déjà eu tellement d'adaptations du conte. Il me disait : "Ca serait merveilleux si j'arrivais à faire rire les enfants et les rendre heureux en faisant ce Pinocchio". Kubrick adorait sa famille, et voulait faire un film que son petit-fils aurait aimé. Il insista toutefois sur le fait que ce projet n'avait rien à avoir avec celui de A.I. Intelligence artificielle, qui sera finalement repris par Spielberg". Un film qui aurait peut-être fait mentir le propos souvent répandu que le cinéma de Kubrick était très / trop froid, et manquait terriblement de chaleur humaine.
Burning Secret, le scénario inédit retrouvé
La dernière pépite est tout récente. En tout cas, sa découverte. Nathan Abrams, professeur à l’Université galloise de Bangor et spécialiste mondialement reconnu de Stanley Kubrick, a trouvé en 2018 un scénario sur lequel le fameux réalisateur aurait travaillé à l’époque où il filmait Les Sentiers de la gloire. Baptisé Burning Secret, le film était en fait une adaptation d'une nouvelle écrite par l'immense écrivain d'origine autrichienne Stefan Zweig, en 1913. "C'est un scénario entier, avec un début, un milieu et une fin" a expliqué Abrams à la BBC, ajoutant qu'il y a "largement la matière pour en faire un film. Quant à respecter à la lettre la vision de Kubrick, ca c'est autre chose..."
Brûlant secret évoque l'histoire d'un baron, séducteur impatient, qui décide de séduire une femme d'âge mûr s'occupant de son fils à la santé fragile dans une station des Alpes autrichiennes. Il apprivoise le jeune garçon pour s'attirer la bienveillance de la mère. La nouvelle a déjà fait l'objet d'une adaptation, et déjà très lointaine. Dès 1933 en fait, sous la houlette de Robert Siodmak. Puis une autre version, en 1989, réalisée par Andrew Birkin. Le script de Kubrick sera, qui sait, peut-être un jour récupéré par un autre cinéaste, pour réaliser cette nouvelle adaptation.