Dans les années 80, Jean-Luc Godard annonçait tragiquement « le cinéma est mort ». En 2007, Peter Greenaway lors du festival de Pusan, avançait un diagnostic similaire : « La date de la mort du cinéma est le 31 septembre 1983, quand la télécommande s'est répandue dans les salons ». 2019, Detlef Rossmann, président de la Confédération internationale des cinémas d'art et d'essai (CICAE), accuse les Oscars de s’être dévalués en offrant autant de récompenses à Roma d’Alfonso Cuaron. Ce n’est plus la mort du cinéma mais la mort des cinémas.
Après Cannes, c’est au tour des Oscars de soulever la polémique avec Netflix. Film ou pas film ? La question sonne déjà comme une vieille rengaine et ne manque pas d’inspirer différents acteurs, du CICAE à l’AFCAE (association française des cinémas d’art et essai), qui s’est exprimée, à travers son président François Aymé, dans l’édito du Courrier Art & Essai de janvier. On reproche au géant du streaming de limiter l’exploitation des ses productions à un unique circuit en ligne au détriment des salles de cinéma, et d’avoir mené une campagne massive pour cette édition 2019, d’où la célébration autour de Roma.
Pour Tim Richards, PDG de la chaîne de cinémas anglaise Vue International : « Netflix ne devrait pas sous-estimer la valeur et l’impact d’une sortie en salle pour ses propres productions et nous espérons qu’il reste ouvert à la discussion sur comment atteindre une plus large audience à l’avenir avec les exploitants ». Une tentative de conciliation que ne semble pas prêt à adopter tout le monde. Christian Brauer, de l’association des exploitants allemands, AG Kino est plus vindicatif : « Évidemment, Netflix se fichait de Roma, il voulait seulement se servir des Oscars comme un moyen de promouvoir leur marque. Et d’essayer de passer en force leur stratégie qui met à l’écart le circuit des salles ».
Malgré tout, la voix des exploitants n’est pas uniforme et certains, comme Jason Chae, PDG du distributeur indépendant coréen Mirovision ne voit pas le géant du streaming d’un mauvais oeil : « Netflix a permis à des films plus petits et expérimentaux d’atteindre une large audience et sur d’autres territoires. J’ai personnellement été content de pouvoir trouver un film que j’avais manqué à Sundance et qui était disponible sur Netflix. Les modes de consommation évoluent et il est peut être temps que l’industrie évolue aussi ».
La croissance exponentielle de Netflix fait peur. Son implantation dans le monde l’impose comme un acteur fondamental dans la diffusion des films comme des séries. On pourra effectivement féliciter Netflix d’avoir permis à Roma d’exister, d’offrir de la visibilité à des oeuvres qui en auraient manqués, de permettre la diffusion à grande échelle, à moindre coût. Netflix est entré dans le langage courant. On ne dit plus « qu’est ce qu’il y a à la télé ? » mais « y a quoi sur Netflix ? ». Pour l’instant, on dit toujours que l’on va au cinéma. Les exploitants de salles d’art et essaie, qui n’ont pas les reins aussi solides que les multiplexe craignent un changement de paradigme. On peut entendre cette peur.
Ecoutez le podcast du débrief des Oscars et César d'Allociné :