Voilà trois ans désormais que A Plague Tale : Innocence s'est timidement dévoilé d'abord, sous la tutelle de l'éditeur français Focus Home Interactive, alors tombé sous le charme - et nous avec- avec ce qui n'était pour l'heure qu'un prototype en devenir. Depuis 2017, chaque année, le titre, développé sous la houlette du talentueux studio bordelais Asobo, se révèle un peu plus.
Toujours plein de promesses, le jeu met en scène deux figures enfantines dans un cruel conte ayant pour toile de fond un royaume de France ravagé par la peste noire en 1349. L'histoire de A Plague Tale : Innocence suit ainsi la destinée tragique d'Amicia, 15 ans, et son jeune frère Hugo, 5 ans, qui souffre d'un mal étrange mais dont on ignore la teneur, traqués par la toute puissante Inquisition, trop heureuse de pouvoir dresser des bûchers, même d'enfants, pour exorciser les démons et les souffrances de la population. Pour vous situer les choses et l'ambiance, et prendre un point de comparaison, on est un peu dans une sorte de pendant vidéoludique de l'excellent film Black Death, qui se déroule exactement à la même période mais en Angleterre.
A ce stade, il faut déjà rendre un joli hommage au studio pour s'être risqué à justement proposer un tel Background pour son jeu, loin des univers Medieval Fantasy qui parsèment régulièrement les productions vidéoludiques. Ici, on est dans un ancrage bien plus réaliste, avec son cortège de guerres, de souffrances, de violences, de famines, de cruauté, et bien entendu de peste. De l'aveu même du studio, il fut d'ailleurs difficile de vendre le jeu avec un tel Background et un tel pitch, à des éditeurs plutôt frileux. Ou alors au prix de compromis jugés pas acceptables par le studio, qui tenait à livrer un jeu tel qu'il l'avait envisagé.
Si A Plague Tale : Innocence s'est jusqu'à présent toujours montré sans qu'on puisse malheureusement poser nos mains dessus, nous avons enfin pu le prendre en main le 14 février dernier. Une session de jeu de plus de 3h, permettant d'effectuer les 4 premiers chapitres d'une aventure très Story Driven qui comptera en tout 17 chapitres; soit, à la louche, une durée de vie qui devrait osciller entre 12 et 15h de jeu. A noter d'ailleurs que cette session de jeu s'est aussi faite sur un PC avec les paramètres graphiques calés en "Ultra". Vu la chauffe du PC, avec une carte graphique qui semblait turbiner à mort, on imagine que le studio va mettre à profit la -courte- échéance qui nous sépare de la sortie du jeu, prévue le 14 mai prochain, pour optimiser encore ce qui doit l'être pour ne pas obliger les PC à cracher leurs poumons, même si le jeu est bien entendu également prévu sur consoles.
Un Moyen-âge sous belle influence
La première impression qui ressort manette en main après cette session de jeu sera pour la direction artistique du titre, absolument superbe, et surtout d'une grande cohérence. Les environnements parcourus, de la forêt se parant de son feuillage d'automne au village moyen-âgeux quasi abandonné par sa population qui vit désormais cloîtrée parce que la peste est à ses portes, en passant par la maison familiale d'Amicia et Hugo, les catacombes d'une église, ou un champ de bataille jonchés de cadavres, l'univers visuel de A Plague Tale : Innocence est d'autant plus saisissant qu'il donne toujours l'impression d'être très organique dans son approche. Pour un peu, on pourrait presque sentir l'atmosphère viciée et empoisonnée des lieux que les deux enfants traversent dans leur malheureux périple.
Une direction artistique dont les qualités sont largement mises en évidence par le superbe travail sur les éclairages. Régulièrement, que ce soit par exemple dans une église, dans la demeure familiale que les enfants sont obligés de quitter (nous ne dirons pas pourquoi et encore moins comment pour ne pas vous spoiler), ou même en forêt avec ses rayons de soleil filtrant à travers les branches, on trouve toujours cette envie et cette idée -simple mais forte- de s'inspirer du modèle du peintre Vermeer, surnommé à juste titre "le maître de la lumière", qui utilisait souvent une seule source d'éclairage, par exemple des rayons de soleil filtrant à travers une fenêtre, pour éclairer l'ensemble d'une pièce, apportant toujours un résultat visuel extraordinaire. C'est du reste, entre-autres références, celle du grand Designer Viktor Antonov. Et donc celle de l'équipe derrière A Plague Tale. Comme référence, il y a pire.
Un écrin de choix en tout cas pour emballer les heurs et malheurs des deux enfants en cavale. Deux enfants dont les liens affectifs se tissent par petites touches bien vues, parfois à l'aide de Cut Scenes d'ailleurs, qui contribuent non seulement à leur donner un peu plus de chair, mais surtout - et c'est primordial dans un tel jeu- à les rendre attachants, donnant toujours un peu plus l'envie de poursuivre l'aventure à leurs côtés. "Ce sont des enfants, ce sont des personnages très débrouillards mais faibles. On voulait garder une forme d'authenticité et jouer sur ce contraste intéressant : deux enfants seuls dans un monde médiéval impitoyable" nous disaient déjà les développeurs l'an dernier. L'innocence de l'enfance, confrontée à un monde sans égards pour eux. Ni aucun état d'âme.
De cette faiblesse naît donc cette débrouillardise, cette ingéniosité et cette entraide entre les enfants, au coeur du gameplay du jeu, offrant souvent des situations intéressantes. Il n'y a pas de confrontations directes face aux ennemis; les deux n'y survivraient de toute façon pas. Aussi ces confrontations se font-elles toujours par des moyens détournés, notamment avec la fronde d'Amicia, améliorable d'ailleurs, qui peut lancer des pierres assommant les ennemis, les tuer en visant la tête, ou même éteindre leurs torches, précipitant ceux-ci vers une mort certaine. Car, au-delà des ravages de la peste, la lumière symbolise aussi dans ce jeu ce qui sépare le monde des vivants de celui des morts. C'est en effet la lumière que craignent les immondes essaims de rats grouillants qui sortent de partout, sols, plafonds, parfois des murs. Des milliers de rats capables de fondre sur leurs victimes dès que l'obscurité s'installe ou que la lumière vacille, pour mieux les dévorer. Leur arrivée et leur découverte sont d'ailleurs intelligemment mis en scène, arrivant curieusement mais habilement après un certain temps de jeu, lorsqu'Amicia et Hugo sont obligés de s'aventurer dans leur ignoble tannière suintant la putréfaction. Autant dire que le jeu n'est évidemment pas à conseiller aux personnes atteintes de musophobie, soit la peur profonde des rats et de souris !
Il faudra voir à terme si les situations rencontrées seront aussi variées que celles que nous avons vécu lors de ces quatre premiers chapitres. Un début de réponse est d'ailleurs apporté par les développeurs, qui nous ont dit que la suite de l'aventure, au chapitre 5, voit la rencontre entre Amicia et Hugo avec d'autres enfants, eux-aussi livrés à eux-mêmes, et dont les compétences seront également mis à contribution pour progresser. En avancant, on a toujours la sensation d'être sur des rails invisibles, guidé par une main plus ou moins invisible, mais sans être envahissante, d'autant que rien n'est jamais véritablement bloquant dans les sections que nous avons traversé. On n'est évidemment pas dans un Open World gigantesque à la The Witcher, mais ce n'est de toute façon pas ce qu'on attend d'un jeu comme A Plague Tale : Innocence, qui tirera (ou pas d'ailleurs) sa force de son récit, donc de sa narration, de sa capacité à susciter de l'empathie vis-à-vis de ses deux personnages principaux, le tout emballé dans un très bel écrin, et souligné par une splendide musique signée par l'incontournable Olivier Derivière, qui livre dans ce jeu peut être sa plus belle partition. C'est dire si le jeu d'Asobo a de solides arguments à faire valoir. Rendez-vous le 14 mai prochain.
Ci-dessous, "A Plague Tale : Innocence" en images...
A Plague Tale : Innocence en imagesCi-dessous, la bande-annonce du jeu...